États Généraux de la justice : Des participants témoignent

Par Bakari Gueye

Les Etats Généraux de la justice tenus à Nouakchott du 05 au 11 janvier 2023 sous le haut patronage du président de la République, Son Excellence Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani ont tenu toutes leurs promesses.

Cette vaste concertation nationale est placée sous le thème : « La justice que nous voulons ».

Une semaine durant, les 210 participants issus d’horizons divers (magistrats, avocats, greffiers, notaires, huissiers de justice, experts judiciaires, police nationale, garde nationale, Société Civile, inspecteurs du travail, administrateurs, élus locaux, partis politiques, secteur productif, partenaires techniques et financiers et journalistes) ont débattu de fond en comble de tous les problèmes qui minent le système judiciaire mauritanien.

Les principaux objectifs de ces Etats Généraux sont : l’évaluation des plans et programmes en matière d’appui à la justice ; l’évaluation du degré d’efficacité des réformes entreprises au profit de la justice ; la sensibilisation de l’opinion publique sur le rôle et l’importance de la justice ; la consolidation de la confiance du public en la justice ; l’élaboration d’un « Document National  pour la Réforme et le Développement de la Justice» ; et enfin l’élaboration d’un Plan d’Action et d’un échéancier pour la mise en œuvre des recommandations.

 Avec l’aide des experts venus de la France, du Maroc, des Emirats Arabes Unis, du Sénégal et de la Jordanie, les participants ont procédé à un diagnostic et une analyse approfondis du système judiciaire et proposé 360 recommandations qui serviront de base pour une feuille de route en vue ;une stratégie nouvelle et novatrice qui sera mise en œuvre rapidement grâce à la volonté et à l’engagement affichés par les plus hautes autorités de l’Etat.

Dans les coulisses de ces Etats Généraux de la Justice « Horizons » a recueilli les avis de quelques participants.  

Mohamed Abdallahi Ould Mohamed Yahya, Directeur Adjoint Affaires Pénales et Administration Pénitentiaire

Ces Etats Généraux sont venues à point nommé. Elles sont l’expression d’une volonté politique et d’une forte conviction du Président de la République Son Excellence Mohamed Ould  Cheikh El Ghazouani. Elles traduisent aussi l’engagement du ministre de la justice qui œuvre inlassablement pour améliorer le rendement du secteur. Tous les acteurs concernés de près ou de loin par la justice y ont assisté. Aujourd’hui la réforme de la justice s’impose car une justice forte est le reflet d’un Etat fort qui inspire la confiance des partenaires et notamment les investisseurs. C’est aussi le gage d’une paix sociale et d’une stabilité indispensables au développement du pays.

La supervision du président de la République montre l’importance qu’il accorde à ce secteur vital qui occupe une place de choix dans son programme Taahoudati.

Les débats étaient d’un niveau très élevé dans les différents ateliers et les participants ont débattu en toute franchise de tous les problèmes et proposé les solutions appropriées.

Des spécialistes venus de France, du Sénégal, des Emirats et d’autres pays ont apporté leur expertise. Les résultats de ces Etats Généraux bénéficieront d’une attention particulière comme l’a souligné le ministre de la justice Mohamed Mahmoud Ould Boya, à l’occasion de la cérémonie de clôture.

Le juge Sidi Mohamed Ould Cheina Président de la Cour Pénale Sud spécialisée dans la lutte contre l’esclavage et ses séquelles

Je tiens à souligner que l’indépendance de la justice est une nécessité absolue.

Dans les limites de ce qui est imposé par le devoir de réserve, par les impératifs de la responsabilité morale et du devoir professionnel, nous avons évoqué à maintes reprises, il y a plus d’une décennie, l’importance d’imposer le respect de l’indépendance de la justice, ainsi que le grand avantage et tout le bien que cela implique pour le pays et le citoyen.

Cela implique l’arrêt de l’empiètement et de la domestication du pouvoir judiciaire par l’ingérence dans ses décisions à différents niveaux, en réponse à l’exigence de renforcer son indépendance, notamment par le biais de l’exécutif conformément aux dispositions constitutionnelles (24, 89 et 90).
D’ailleurs, nous avons payé un lourd tribut pour nos prises de position à l’époque…
Il y a lieu de saluer la position louable du président de la République qui a déclaré plus d’une fois « respecter l’autorité judiciaire et ses décisions, considérant qu’il n’y a pas de raison de limiter ses pouvoirs ». Cette position est conforme aux exigences de l’article 24 de la Constitution mauritanienne. Laquelle consacre le respect des valeurs d’Etat de droit, d’Etat des institutions et des valeurs républicaines et démocratiques. Cela nécessite un certain nombre d’aménagements pour l’accompagner :Premièrement / Une précieuse opportunité de, l’émergence de cette nouvelle prise de conscience et des attitudes subséquentes aux plus hauts niveaux de l’autorité du pays concernant « l’importance de la justice » et l’insistance sur « le respect de son indépendance… Tout cela constitue, sans aucun doute, une opportunité et un nouveau tournant pour ce pouvoir constitutionnel, comme pour les élites, les leaders d’opinion nationaux influents, les partenaires de la nation, les bailleurs de fonds… afin d’accompagner chacune de ses positions en ce sens, de consolider le climat de confiance, de renforcer l’État de droit et les institutions et d’arrêter définitivement toutes les tentatives d’ingérence dans le système judiciaire, de cesser de le rabaisser ou ce qui pourrait contribuer à échapper à l’impunité ;
Deuxièmement, la responsabilité des juges.
Nous, en tant que pouvoir judiciaire constitutionnel, devons savoir que la balle est dans notre camp et que l’indépendance réelle du pouvoir judiciaire et des juges est souhaitable. Au contraire, elle est accordée en premier lieu par les juges eux-mêmes pour eux-mêmes à travers : leur travail, leur intégrité, leur professionnalisme, et le respect de la distance entre les différents justiciables.. Allah le Tout-Puissant a dit (En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce que est en eux-mêmes) ;
Troisièmement, un pouvoir judiciaire indépendant.
C’est le plus important levier économique et pilier juridique.. Notre pays fait face à des problèmes économiques majeurs et complexes. Parfois, pour les atténuer, il a recours à la demande d’annulation de la dette et à l’obtention d’aides.
Il ne fait aucun doute que l’une des raisons de ces problèmes, c’est la réticence des investisseurs étrangers à investir dans des pays qui ne disposent pas d’un pouvoir judiciaire fort, indépendant et juste. Par conséquent, soutenir l’indépendance judiciaire nous évitera de demander une aide d’urgence et nous permettra de la remplacer par l’apport de divers investissements étrangers vers notre pays, qui est riche en ressources naturelles.
Par ailleurs, l’on ne saurait envisager une protection effective des droits de l’homme sans un système judiciaire indépendant qui protège les droits et les libertés, et inflige des sanctions à tous ceux qui violent la loi.
Ainsi, soutenir l’indépendance de la justice est une nécessité dictée par l’intérêt économique et imposée par les valeurs démocratiques et républicaines, l’État de droit et l’Etat des institutions.

Moussa Gaoui, Président Association Mauritanienne pour la Promotion des Droits de l’Homme (AMPDH)

Personnellement j’ai pris part à l’atelier portant sur les prisons. Les exposés présentés par le professeur Fall, le juge Cheina et le Procureur de Nouakchott Ouest m’ont édifié sur la situation des prisons en Mauritanie ainsi que sur la politique pénale du pays. Sur ce je pense que les remarques de Ould Cheina sur les prisons en Mauritanie sont pertinentes et doivent trouver des solutions urgentes parce qu’il s’agit d’une question des droits de l’homme en général et des droits des prisonniers en particulier.

Nous avons compris à partir de son exposé qu’en Mauritanie, la majorité des lois ont été réactualisées sauf celles sur les prisons et les prisonniers qui sont toujours régis par des textes datant des années 1970. Donc, nous considérons qu’il  a urgence à faire des lois sur les prisons et les prisonniers en tenant compte des conventions ratifiées par la Mauritanie dans ce cadre.

En ce qui concerne la politique pénale nous considérons qu’une révision du code pénal doit être entreprise pour rassembler tous les textes pénaux. Et comme nous l’avons proposé dans ces journées, nous demandons la mise en place d’un mécanisme de haut niveau concerné par la politique pénale en Mauritanie. 

Amadou Abou Bâ Président du Conseil Régional du Gorgol

Les Etats Généraux de la Justice s’inscrivent en droite ligne dans l’exécution du programme Taahoudati de Son Excellence le président de la République Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Il s’agit de réunir les conditions favorables afin de mettre la justice au service de tous les citoyens. Et surtout assurer l’accès des plus démunis à la justice.

Cette concertation a été élargie à tous pour définir la justice que nous voulons. Le pouvoir judiciaire est un pilier fondamental de l’organisation d’un Etat. Sans la justice rien ne va. Donc amener tous les mauritaniens à se concerter sur la justice qu’ils veulent est indéniablement une très bonne chose.

Il faut noter que cette approche de concertation vise à aboutir à un consensus national sur la politique à mener dans le domaine judiciaire. On sait par ailleurs que la concertation est le fondement de toute pai sociale. Cela participera à l’amélioration des prestations de notre justice et nous permettra d’être en possession de la justice que nous voulons.

Me Dramé Mohamed, Avocat à la Cour

C’est vrai que nous avons des textes et des juges mais avec le temps les choses ont changé donc nous devons changer avec le temps.

J’ai pris part à l’atelier consacré aux conditions des prisonniers. Les détenus ont besoin de bonnes conditions de détention ce qui n’est pas le cas. Aujourd’hui il  y a des lois qui ne sont plus appropriées. Le président de la République estime qu’il faut changer la donne. Avec ces Etats Généraux, c’est sûr qu’il  aura des résultats probants.

NGaidé Abdoulaye, Directeur Adjoint Affaires Civiles et Sceaux

Je tiens tout d’abord à féliciter le président de la République, Son Excellence Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani pour son engagement profond en faveur de la réforme de la justice.

En Mauritanie il existe 3 pouvoirs dont le pouvoir judiciaire qui est indépendant. Là on parle de l’indépendance du juge. Le président de la République est le président du Conseil Supérieur de la Magistrature qui nomme les juges assis. Donc c’est bien grâce à la volonté du président de la République que ces Etats Généraux ont vu le jour. C’est la meilleure voie pour renforcer le système judiciaire. Il s’agira de mettre en place des mécanismes pour permettre à la justice d’avancer. Nous remercions le président de la République et le ministre de la justice qui ne ménage aucun effort et se bat pour l’avènement d’une justice moderne et forte.

Ces journées se sont bien déroulées et les thèmes abordés sont très importants. La mise en œuvre des recommandations nous permettra d’avoir une justice efficace. Cela va attirer les investisseurs étrangers et favoriser le développement économique et social du pays.

En ma qualité de membre de la commission Suivi et Evaluation je suis convaincu que ces recommandations seront prises en considération par les pouvoirs publics et appliquées.

Lô Gourmo Abdoul, Avocat/1er Vice Président de l’Union des Forces de Progrès (UFP)

« La tenue de ces Etats Généraux a permis d’obtenir des résultats. D’abord cela a permis de faire un très large diagnostic des principaux maux qui gangrènent la justice en Mauritanie. Cela s’est fait en présence de tous les acteurs de la justice ce qui est déjà très important.

On a eu droit à des débats francs et directs des gens venus de tous les milieux de la justice ; que ça soit du ministère de la justice, administrativement parlant, que ça soit les juges de tous les niveaux, de la Cour Suprême jusqu’aux tribunaux des Wilayas et donc des plus élevés jusqu’aux plus bas de la hiérarchie judiciaire. On a eu droit également à la participation directe et aux opinions de la part des autres auxiliaires, des autres acteurs de la justice ; à savoir les notaires, les experts judiciaires, les greffiers… Chacun a dit comment il percevait cette justice et qu’est ce qu’il y voyait. »

Cheikh Lam Tidjan, Inspecteur Général de l’Administration Judiciaire/Ministère de la Justice du Sénégal

Nous sommes ici pour partager notre expérience avec nos frères mauritaniens. Au Sénégal la première réforme de la justice a eu lieu en 1984. Parmi ses objectifs l’accroissement de l’accessibilité au niveau des juridictions ; l’arrimage de l’organisation judiciaire sur l’organisation administrative ; le rapprochement de la justice des justiciables ; la démocratisation de l’accès à l’avocature.

En 1992 une deuxième réforme a concerné les Hautes Cours. Dans les années 2000 nous avons mené une étude-diagnostic qui a été finalisée en 2002 et soumise avant son adoption à tous les partenaires judiciaires. Ensuite nous avons lancé un programme décennal (2004-2013). Ce programme visait 3 grands objectifs, les 3A : améliorer l’accessibilité à la justice ; améliorer l’efficacité de la justice et enfin améliorer le cadre institutionnel.

Ce programme avait été décliné en séquençage avec des axes de 3 ans. Nous avons essayé de remédier au déficit du personnel d’appoint et de mettre en place une justice de proximité en accélérant le maillage du territoire. Nous sommes ainsi passés d’une Cour d’Appel à 4 puis 6 cours d’appels fonctionnelles. Avec la Loi de 2004, nous avons créé des maisons de justice qui s’adonnent à la médiation et à la conciliation. Nous avons renforcé le partenariat entre l’Etat et les Collectivités locales. Nous avons aussi créé des Bureaux d’Information Judiciaire (BIJ) au niveau des universités afin de faire une synergie avec la justice. Il y a eu également la mise en place d’une politique de communication car nous avons compris que la justice doit avoir une ouverture sur la société Civile.

Et pour appliquer toutes ces réformes il avait fallu rehausser le budget en passant de 1 à 3%. Nous en sommes encore à 2%.

Aujourd’hui on s’achemine vers l’exploitation du gaz ; donc il faut investir dans la justice en formant des spécialistes.  

Willy Edimo/ Fondation Noura/Chargé du Suivi et la Réinsertion Sociale Projet MAJ (UNICEF)

Concernant les états généraux voici mes impressions. C’est une très bonne initiative du gouvernement.

Cela a permis à ce que tous les acteurs de la société civile ou gouvernementaux de partager leur point de vue au sujet de l’aménagement des prisons et la Fondation Noura le leader en matière d’assistance, d’appui humanitaire dans les maisons ou pénitenciers surtout au CARSEC a donné son point de vue au sujet de la classification des jeunes dans les prisons  selon leurs âges ou les  délits commis.

Il convient aussi de revoir les modalités des peines dans les prisons.

Et aussi mettre un mécanisme de suivi de dossier au niveau du tribunal et faire des réunions de suivi avec les différents partenaires de protection de l’enfance

M.B Cadre du CICR

Les états généraux de la justice ont constitué un franc succès avec l’aubaine qu’ils ont offert à tous les acteurs dans le domaine de la justice d’avoir des moments d’échanges constructifs, afin de dresser l’état des lieux et de prodiguer des recommandations très utiles. D’ou, l’importance de la participation de certains organismes à l’image du CICR qui a partagé ses constats et suggestions pour une meilleure prise en compte des questions relatives aux conditions de détention et à l’amélioration de l’environnement carcéral de manière générale en appelant au renforcement et à la coordination de la synergie de plusieurs acteurs dans le domaine. L’organisation a pu également mettre en relief la nécessité d’une reforme pénale, de prendre en compte l’importance de l’implémentation des traites ou conventions de Droit international Humanitaire comme l’intégration dans la législation nationale ; l’incrimination des crimes de guerre au regard de l’évolution de la situation sécuritaire dans les contextes environnants pouvant avoir des impacts sur le pays. Ainsi que, la prévision d’une exemption humanitaire dans la Loi anti-terroriste afin de faciliter et de protéger le travail des organisations humanitaires en cas de situation conflictuel ou de violence aiguë.

En somme, la tenue de ces états généraux est venue en un moment opportun ou le pays traverse une période charnière qui appelle aussi bien la nécessité du renforcement de la sacralisation de l’état de droit avec la protection des droits et libertés des personnes et aussi, l’indépendance et l’efficacité de la justice comme clé de voute d’une paix sociale et vecteur d’impulsion du développement du pays dans l’attractivité des investissements et d’une bonne gouvernance.

Source : Magazine Mensuel Horizons de l’AMI/N°031/Février 2023

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