Vient de paraître: Les enjeux géopolitiques du financement du terrorisme au Sahel : quelles perspectives pour le Burkina Faso ?

Le terrorisme constitue l’un des problèmes majeurs de sécurité internationale de nos jours. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d’Amérique, ce phénomène complexe a profondément bouleversé les conceptions étatiques de la menace et des moyens appropriés pour s’en protéger.

Par Koné Soumaila*

De plus en plus spectaculaire et fortement médiatisé, il prend de l’ampleur et marque davantage l’esprit de l’humanité qui se trouve plongé dans l’angoisse et développe un sentiment d’insécurité permanent. La multiplication des actes terroristes dans le monde et le renforcement des réseaux terroristes mettent en lumière la triste réalité qui conforte l’idée selon laquelle le terrorisme constitue l’une des principales menaces planétaires actuelles.

Le Sahel, région de prédilection de l’hydre terroriste, est très vaste et désertique. Il comporte deux axes : de l’Atlantique jusqu’à la mer Rouge et de l’Afrique subsaharienne jusqu’à l’Afrique du Nord. C’est aussi un espace où la distribution spatiale des richesses montre des déséquilibres entre Etats voisins et à l’intérieur même des Etats.

Les protagonistes de la crise sécuritaire au Sahel sont nombreux et divers avec des agendas parfois contradictoires, ce qui ne contribue pas à une synergie d’actions pour résoudre le problème sécuritaire. On distingue au Sahel des acteurs étatiques et non-étatiques, des acteurs régionaux et internationaux.

Malgré les moyens matériels, financiers, stratégiques et humains déployés pour lutter contre le terrorisme au Sahel, la situation est toujours préoccupante. D’où les terroristes tirent-ils les ressources nécessaires pour financer leurs actions ?

Ainsi, les enjeux géopolitiques et l’évolution du terrorisme au Sahel et au Burkina Faso en rapport avec le financement du terrorisme d’une part, et d’autre part la lutte contre le financement du terrorisme au Sahel et au Burkina Faso ont été analysés dans ce livre.

Enjeux géopolitiques

La région du Sahel est devenue l’une des principales régions qui connaît ces dernières années une agitation croissante à cause des différentes menaces qui pèsent sur la sécurité et qui sont liées en premier lieu aux activités des groupes terroristes. La situation s’est nettement détériorée avec le développement du crime organisé sous toutes ses formes ; ce qui a transformé cette région en une zone géostratégique qui suscite l’intérêt des différentes puissances du monde, avec à leur tête la France et les Etats-Unis, dans le cadre de leur nouvelle politique en Afrique. Cet intérêt est sans aucun doute lié aux enjeux économiques et géostratégiques qui permettent de disposer d’une force ou d’un poids supplémentaire en ayant la mainmise sur les ressources naturelles qui représentent un moteur pour l’économie mondiale. Cette situation a incité ces puissances à mettre en place des stratégies sécuritaires qui s’adaptent aux nouvelles données liées à la concurrence internationale avec l’entrée en lice de la Chine, de la Russie et d’autres concurrents puissants dans la région.

Aussi, le Sahel regorge de matières premières et les stratégies des pays occidentaux consistent à y sécuriser leurs approvisionnements en matières énergétiques et minérales. Ainsi, avec ses richesses naturelles, le Sahel est un espace tourmenté et convoité.

Par ailleurs, depuis la fin de la guerre froide, le moteur de la compétition internationale s’est déplacé de l’idéologie à l’économie : « Le poids économique est depuis la fin de la confrontation idéologique le principal critère de classification des puissances dans le monde. Il n’est en réalité que l’expression de la puissance industrielle. Celle-ci se construit, entre autres, sur la maîtrise des sources d’approvisionnement en matières premières ». Les interventions militaires au nom de la lutte contre le terrorisme peuvent s’expliquer à l’aune de cette course aux richesses comme le faisait entendre Charles De Gaulle : « Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Dans ces conditions, s’assurer du contrôle des ressources du continent devient une préoccupation pour certains pays occidentaux.

De ce fait, il est légitime de formuler la question suivante : et si la lutte contre le terrorisme était une autre dimension de la lutte économique ? Autrement dit, cette lutte ne serait-elle pas une modalité de l’expansionnisme et du positionnement géostratégique de la France et des Etats-Unis ou toute autre puissance au Sahel ?

En effet, des puissances étrangères peuvent être amenées à instrumentaliser et amplifier certaines menaces afin d’exercer une influence géopolitique sur la région et se positionner au sein de cet espace riche en matières premières.
Aussi, nous avons fait le constat que les interventions des Etats-Unis, de la France et leurs alliés au nom de la lutte contre le terrorisme n’ont pas permis de réduire la menace au Sahel. Au contraire, dans leur engagement, les deux pays oscillent entre rivalité et collaboration, ces fluctuations se révélant aussi à l’épreuve de la nouvelle dynamique mondiale avec l’arrivée de nouvelles puissances aux besoins immenses et aux potentialités énormes, notamment la Chine, l’Inde et la Russie membres du BRICS.
En face de la France se trouvent donc les Etats-Unis, qui « redécouvrent » l’Afrique et surtout ses matières premières, qu’ils lient intrinsèquement à leur sécurité énergétique menacée depuis le 11 septembre 2001.

Bien qu’on ne puisse pas établir de liens systématiques et exclusifs entre le terrorisme et le jeu de positionnement économique afin de garantir les circuits de ravitaillement en matières premières, la concurrence pour le contrôle des richesses naturelles est un élément primordial des antagonistes sahéliens.

D’autre part, si nous observons la carte du projet de gazoduc, nous constatons que tout le long du circuit est menacé par des groupes terroristes ou des acteurs non étatiques. Ce qui nous amène à faire l’analyse selon laquelle les groupes terroristes dans la région du sahel peuvent être manipulés dans le but de transporter le pétrole à moindre frais à destination de l’Europe. Ainsi, à l’avenir le gazoduc pourrait concerner le Burkina Faso en cas de découverte de pétrole sur son territoire comme le cas de l’or où il était quasiment impossible de savoir que notre pays disposait autant de quantité exploitable industriellement.

De même, le Burkina Faso, le Niger et le Mali entendent mieux contrôler la partie saharienne de leur territoire. Il s’agit toutefois pour eux, d’affirmer leur souveraineté sur l’ensemble de leur territoire national, d’assurer leur sécurité et de tirer parti des ressources naturelles. Mais ils redoutent les calculs politiques régionaux de l’Algérie depuis la mise à l’écart de la Libye, qui nourrissait également des ambitions régionales. Au bout du compte, en plus des rivalités entre pays extérieurs au Sahel, les rivalités entre gouvernements régionaux rendent très difficiles l’analyse et la compréhension des événements qui se déroulent dans la région, et par ricochet, elles nuisent à l’élaboration de politiques efficaces dans la région accompagnées souvent de malheureux incidents diplomatiques.

Dans cette course géostratégique des puissances étrangères, le Sahel pourrait connaître de nombreux conflits et être le théâtre de plusieurs opérations militaires ; ce scénario remet ainsi en question toutes les perspectives prometteuses de nombre d’observateurs. De notre point de vue, il convient de gérer de façon globale les questions africaines de l’intérieur.

C’est pour dire que les intérêts ou les priorités des africains ou des pays du Sahel ne sont pas ceux de leurs prétendus partenaires. En effet, pour des problématiques comme le développement, la démocratie et aujourd’hui la sécurité, il faut admettre que le progrès ne surviendra que si les Africains prennent l’initiative et la responsabilité de leurs actions. C’est pourquoi la lutte contre le terrorisme ne sera efficace que lorsque les dirigeants africains ou sahéliens se l’approprieront et en feront une priorité pour leurs populations. Il en est ainsi de la question libyenne qui prouve que les interventions extérieures ont souvent d’autres visées inavouées que les buts nobles affichés.

Le financement du terrorisme

Le risque de financement du terrorisme au Burkina est élevé en raison de la grande vulnérabilité du système financier. Les menaces posées par les groupes terroristes et leurs possibilités à recruter des jeunes marginalisés dans la partie Nord du pays ainsi que la supervision limitée du secteur des organisations à but non lucratif, laisse présager un risque significatif de financement de terrorisme.

Bien que la dimension religieuse puisse suggérer que les groupes soient moins dépendants de la nécessité de donner de l’argent à leurs combattants pour qu’ils restent loyaux et continuent le combat, ils ont toujours besoin de fournir à leurs troupes des armes, des munitions, des véhicules de transport, de la nourriture et de l’eau. Si une partie de ce dont ils ont besoin est volée aux armées nationales, lorsqu’ils attaquent des postes et des fortifications éloignés, ils doivent également acheter des fournitures. C’est pourquoi la mobilisation de ressources par les djihadistes a fait l’objet de nombreuses spéculations, et est parfois présentée comme une sorte de mystère. Au Burkina Faso, les principaux risques de financement du terrorisme sont liés à la position géographique du pays. Il partage une large bande frontalière avec certains États connus pour abriter des activités terroristes.

Au regard de ce qui précède, on peut en déduire qu’il est difficile de cerner le financement du terrorisme car ses mécanismes sont de nature transnationale et couvrent tout un éventail de sources provenant aussi bien de sources légales que d’activités illicites. Etant donné que les terroristes changent constamment leurs façons de collecter, de faire circuler et d’accéder aux fonds, il est essentiel que les agences gouvernementales adaptent leurs réponses.

De ce fait, lutter contre le financement du terrorisme, c’est avant tout détecter les capacités de financement des terroristes. Mais c’est aussi récolter et partager des informations sur les relations financières qui aident à identifier les terroristes, leurs déplacements et leurs réseaux. L’action des autorités publiques pour renforcer la détection de ces flux financiers est un enjeu national et international.

La lutte contre le financement du terrorisme

Lutter contre le financement du terrorisme, qu’il provienne d’activités « légales » (commerciales, industrielles, ou caritatives), ou « illégales » (racket, trafic de drogues, proxénétisme, hold-up…), constitue un objectif prioritaire pour les services engagés dans la lutte opérationnelle contre le terrorisme. En effet, c’est en fonction de leurs sources de financement que les groupes terroristes tirent leur capacité de projection, la possibilité de se fournir en armement puissant, et la possibilité de se faire connaître, de recruter, et d’entraîner leurs membres. Lutter contre le financement du terrorisme constitue un moyen irremplaçable pour remonter les réseaux depuis les cellules d’exécution jusqu’à d’éventuels donneurs d’ordre. Les réponses des Etats du Sahel dont le Burkina Faso, liées au financement du terrorisme sont essentiellement juridiques et institutionnelles.

Propositions pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme

Sur le plan régional, les Etats du Sahel devraient améliorer l’échange de renseignements financiers entre les Cellules de Renseignements Financiers (CRF) des pays du Sahel et celles de pays tiers, et entre les CRF et le secteur privé, conformément aux recommandations et aux bonnes pratiques du GAFI. Aussi, la coopération judiciaire et le partage d’informations en matière de lutte contre le financement du terrorisme pourraient davantage être encouragées et renforcées. Cela permettra la détection des actes illicites liés aux financements du terrorisme et facilitera l’exécution sans délai des décisions de justice en la matière.

Pour être efficaces, les efforts de lutte contre le financement du terrorisme doivent davantage reposer sur l’échange de renseignements financiers entre les pays et sur une coordination renforcée entre les secteurs public et privé. En outre, les régulateurs financiers du secteur public et les entités réglementées et semi-réglementées du secteur privé, y compris les banques, détiennent souvent des informations qui pourraient profiter à l’autre partie si elles étaient partagées par des canaux plus efficaces et plus rapides.

Sur le plan national, les propositions suivantes peuvent être faites pour rendre efficace la lutte contre le financement du terrorisme.

  • Le renforcement des capacités juridiques et institutionnelles de lutte contre le financement du terrorisme à travers la formation des acteurs de la chaîne de la lutte, la dotation suffisante des structures en personnel qualifié et en moyens de fonctionnement.
  • La création d’un cadre administratif et juridique de déclarations de soupçon
    Il est nécessaire de sensibiliser et d’organiser les déclarations de soupçon des différents acteurs tels que les entreprises, les professions non financières hautement vulnérables au financement du terrorisme pour résorber ce déficit. De ce fait, il faudrait étendre le dispositif de déclaration de soupçon à une nouvelle catégorie de déclarants, notamment les fonctionnaires des services économiques ou administratifs de l’Etat. Cela pourrait renforcer davantage les mesures de prévention et de lutte contre le financement du terrorisme.
  • Le renforcement des capacités des cellules de renseignement financier
    Pour la détection des mouvements de fonds par des transactions financières ou l’identification de réseaux terroristes et de leurs complices, les Cellules de Renseignement Financier (CRF) et les services de surveillance tels que la CENTIF constituent des instruments essentiels. Toutefois, les capacités existantes peuvent être renforcées et doivent être concentrées à la fois sur les opérations de financement complexes et de grande envergure et sur les opérations terroristes à faible coût, qui peuvent néanmoins avoir un effet dévastateur et qui recourent à de nouveaux modes de paiement dont il est difficile de suivre la trace. La vitesse de réaction est également déterminante, car les services financiers actuels permettent aux terroristes de transférer rapidement des fonds d’un endroit à un autre, ce qui souligne aussi la nécessité d’améliorer la coopération et les échanges de renseignements financiers et d’informations en possession des services répressifs. Cela leur permettra également de s’adapter aux nouvelles méthodes utilisées par les groupes terroristes pour son financement à savoir la monnaie électronique à travers les NTIC.
  • La lutte contre la corruption
    La corruption est considérée à juste titre comme un facteur important de fragilisation de la paix et de mise en danger de la stabilité dans le monde. Bien que les actes de corruption ne soient vraisemblablement pas l’unique cause de déstabilisation d’un pays, ils sont susceptibles d’avoir un fort impact par l’épuisement des ressources publiques et la vulnérabilité des pouvoirs publics qu’ils entrainent, faisant ainsi reculer la confiance de la population dans les institutions qui gouvernent le pays, ce qui, par contrecoup, peut devenir un moteur de conflit et alimenter le terrorisme.

Fondamentalement, la crise du Sahel est d’abord de nature politique avec des relents communautaires et religieux. Dans le contexte de très grande pauvreté, la réponse à la menace djihadiste impliquera donc de renouveler le contrat social entre la paysannerie et des Etats censés être protecteurs, pacificateurs et régulateurs, entre autres, des litiges fonciers et communautaires. Le défi, on le voit, est immense et échappe très largement au seul domaine militaire et sécuritaire. La réponse militaire et sécuritaire, si elle veut être efficace et efficiente, doit être accompagnée d’un dispositif de contrôle des sources de financement des activités des terroristes.

*L’auteur, KONE Soumaïla, né à Sayaga dans le Kénédougou au Burkina Faso, est titulaire d’un Master II en Management des crises et actions humanitaires à l’Institut International d’Ingénierie de l’eau et de l’Environnement (2iE) à Ouagadougou, d’un diplôme d’Etudes Supérieures en Diplomatie et Relations Internationales de l’Institut des Hautes Etudes Internationales (INHEI) du Burkina Faso. Il est également titulaire de plusieurs certificats dans le domaine de la négociation, de l’humanitaire et des opérations de maintien de la paix. Tout jeune diplomate, il débute sa carrière en 2007 au département des Affaires Etrangères du Burkina Faso avant de rejoindre son premier poste à l’Ambassade du Burkina Faso en tant que Deuxième Secrétaire chargé de la protection des burkinabè.Il est Actuellement Conseiller des Affaires Etrangères au Ministère des Affaires Etrangères de la Coopération Régionale et des Burkinabè de l’Extérieur à la Direction des Opérations de Maintien de la Paix, de la Coopération Militaire et du Désarmement, Chef de service Coopération Militaire.

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One comment

  1. Toussaint Ouattara

    Oeuvre de très belle facture. Je souhaite bon vent à ce bébé naissant.
    Félicitations réitérées cher collègue, frère, promotionnaire et ami personnel.

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