Dr Mohamed Eboumédiana :  La Mauritanie est à un tournant stratégique, la modernisation de l’administration doit être l’affaire de tous 

 La modernisation de l’administration passe pour être l’un des piliers du ministère  de la Transformation Numérique, de l’Innovation et de la Modernisation de l’Administration qui  a été créé le 26 mai 2021 et dont le principal objectif est d’assurer une transformation numérique rapide et sûre, de promouvoir l’innovation et de développer le e-Gouvernement.
Pour faire le point sur la feuille de route et sur les projets en cours et à venir, nous avons réalisé l’entretien qui suit avec le Dr Mohamed Eboumédiana, professeur de l’enseignement supérieur et directeur de la modernisation de l’Administration au niveau dudit ministère.

Pouvez-vous nous édifier sur la notion de modernisation de l’administration et sur la mission du département que vous dirigez ?

La modernisation de l’administration est l’un des piliers du ministère. Elle a un caractère transversal en ce sens qu’elle concerne les différents départements ministériels. On constate que beaucoup de gens n’ont pas une idée claire de la modernisation de l’administration. En effet pour réaliser la digitalisation il faut d’abord procéder à une réforme de l’administration et à une gestion adéquate des ressources humaines. Beaucoup de gens résument la digitalisation à la transformation numérique.

Le citoyen doit bien comprendre les objectifs de la modernisation et son rôle dans l’accompagnement et la simplification des procédures. Le but recherché c’est l’efficacité.

L’administration publique c’est le noyau de l’Etat. Elle reflète ses forces et ses faiblesses. Ainsi si l’administration est forte cela veut dire que l’Etat est fort d’où la nécessité impérieuse d’une modernisation efficace. Et pour assurer une large diffusion il faut se baser sur l’outil informatique qu’on doit utiliser à bon escient.

Quelles sont vos relations avec les autres départements ministériels et quel est votre plan d’action?

La direction de la modernisation de l’Administration concerne tous les leviers de l’Etat. Notre travail consiste à une simplification des procédures. Actuellement nous sommes en train d’élaborer un schéma directeur de la modernisation. Un diagnostic sera fait au niveau de l’ensemble des ministères pour faire l’état des lieux au niveau de notre administration qui est dans un mauvais état comme l’ont souligné tour à tour le président de la République et le premier ministre à l’occasion de cérémonies officielles.

Par ailleurs notre situation géopolitique avec bientôt l’exploitation d’importantes ressources comme le gaz, nous oblige à avoir une administration forte.

Donc, nous avons fait un diagnostic général afin de déterminer les forces, les faiblesses et les menaces qui pèsent sur notre administration publique.

 Nous avons par la suite dressé un plan d’action en 3 axes. D’abord un axe stratégique qui s’étale sur une période de 3 à 6 ans avec à la clé une stratégie nationale de modernisation de l’administration.

Je rappelle qu’il  y avait de 2012 à 2016 la stratégie nationale des Nouvelles Technologies de l’Information, de la Communication et de la Modernisation. Elle a été évaluée au mois d’Avril. Son taux de réalisation était faible et atteignait à peine les 30%.

Le 2ème axe qui est d’ordre tactique concerne le moyen terme (2 à 3 ans). L’objectif c’est d’améliorer l’image de l’administration publique sur l’échiquier international. Il s’agit de s’aligner derrière les normes internationales standard en la matière. Cela nécessite l’existence d’un portail national dans lequel seront hébergés tous les sites web des différents départements ministériels, des entreprises.. .

Cela est en effet essentiel pour classifier le pays.

Il y a l’Open Data pour les informations gratuites, ce qui nécessite l’existence de sites web actifs et à jour au niveau de toutes les administrations. De ce fait, nous devons apporter une assistance technique pour tous les ministères.

S’agissant de la simplification des procédures, nous avons un projet ambitieux. Nous avons collecter 470 procédures que nous allons réactualiser. Au cours de la première phase on va collecter et mettre à jour ces différentes procédures.

La 2ème étape consistera à la mise en ligne des procédures collectées pour être accessibles au public.

La plateforme est conçue de telle sorte que nous puissions comptabiliser les procédures les plus visités afin de les digitaliser (Cartes grises, Passeports, Factures d’eau et d’électricité…)

Une évaluation sera faite tous les 3 mois.

La 3ème étape c’est la digitalisation proprement dite des services les plus visités.

Il convient de souligner aussi que la modernisation a d’autres objectifs tels que la lutte contre la corruption.

Enfin le 3ème axe c’est l’axe opérationnel qui couvre le court terme (de  mois à de 2 ans). Il concerne les projets qui ne nécessitent pas de gros moyens et qui se répercutent positivement sur l’image de l’administration publique.

Quels sont les projets ciblés présentement ?

Il y a celui qui concerne les e-mails professionnels pour les fonctionnaires de l’administration publique. Nous avons un contrat de 3 ans avec Microsoft. A raison de 500 millions d’ouguiyas par an, nous disposons de plus de 3000 licences dans le domaine professionnel (fonctionnaires) et 50000 licences dans le domaine académique au profit des étudiants.

Malheureusement, avec toute cette offre, nous n’utilisons que 700 licences, un rai gâchis.

Au niveau de ce produit Microsoft que nous avons payé, il y a 3 choses essentielles : la communication avec la messagerie électronique sécurisée grâce à Outlook. 2ème chose c’est la communication à distance (Vidéo, Skype…), le Microsoft Teams.

La 3ème chose c’est l’Office. Ainsi, tout fonctionnaire doit connaitre et maîtriser ces 3 produits.

Dans cette licence on compte 11 produits. Il s’agit là d’un projet à court terme. Sa mise en œuvre ne demande pas grand-chose. Il faut tout juste la mise en place d’une application et une volonté politique.

La modernisation de l’administration doit être une cause nationale.

Toutes les parties prenantes doivent bénéficier des formations adéquates (ONG, Personnes Ressources, ONGs, usagers…)

Et qu’en est-il de l’économie numérique. La Mauritanie peut-elle en tirer profit ?

Permettez-moi tout d’abord de rappeler que la modernisation de l’administration doit être l’affaire de tous. La presse doit jouer sa partition. Les campagnes de sensibilisation constituent un volet essentiel à travers la presse. Actuellement la Mauritanie est à un tournant stratégique comme à l’époque de la création de l’Ouguiya, la monnaie nationale en 1973. Et l’Etat n’a pas le droit de rater ce virage stratégique.

Du point de vue de l’économie numérique, elle est en plein essor à travers le monde. Ainsi, des multinationales comme Uber brassent des millions de dollars grâce à l’économie numérique.

En Mauritanie, le citoyen simple peut profiter de ses opportunités. Il y a cependant des obstacles comme la discontinuité de l’administration.

Il y a aussi que la majeure partie des experts invités pour donner un coup de main n’ont rien à voir avec la réalité nationale.

Il y a la résistance au changement, des pesanteurs au changement et un manque de synergie.

De ce fait c’est un travail qui concerne tout le monde. Il doit être apolitique. La modernisation de l’administration c’est un travail purement technique.

Quels sont les autres projets à court terme ?

Il y a celui de la gestion électronique du courrier et des documents (GEC/GED).Ce projet dont le coût est estimé entre 4 à 5 millions de dollars devrait se baser sur la mise en place d’un logiciel va constituer une solution radicale qui a bannir l’usage du papier dans l’administration (0 papier) ce qui permettra de faire d’importantes économies sur le budget consacré à l’achat du papier.

Il a déjà été expérimenté avec succès dans plusieurs pays comme la Tunisie, le Rwanda, l’Egypte et l’Arabie Saoudite.

Sa mise en œuvre va permettre de suivre les dossiers en temps réel et d’assurer leur traçabilité. Cette mise en œuvre peut se faire en 1 ou 2 mois. Il suffit de commander le logiciel clé en main et d’obtenir le code source. Il s’agira ensuite de former les fonctionnaires.

Et pour revenir au projet avec  Microsoft, il devait commencer le 15 Mai dernier mais il a été renvoyé au mois de juin. Il permettra la formation de 4006 fonctionnaires.

Au début 34 représentants des ministères (ingénieurs Systèmes et Réseaux) en plus de 3 prestataires privés seront formés sur l’usage de Microsoft 365 qui comprend 11 produits.

Les 3 prestataires privés vont à leur tour être déployés dans les wilayas de l’intérieur pour former les fonctionnaires sur place.

Un autre projet est prévu pour le renouvellement de tout le parc informatique de l’Etat pour l’aligner sur les normes standard. Il faut en effet des ordinateurs avec RAM I3 de 4 à 5 Gégas pour accompagner cette transition.

Ce projet inscrit au niveau opérationnel (court terme) est évalué à 5 millions de dollars. On vient de finir l’inventaire de toutes les ressources humaines et matérielles au niveau des différents services de l’administration. Il y a environ 10.000 ordinateurs dont plus de 5000 à Nouakchott et les autres à l’intérieur du pays. 90% de ce matériel est obsolète.

Est-ce que la direction de la modernisation de l’administration a les moyens pour mettre en œuvre tous ses projets ?

Les 52 millions d’ouguiyas MRO ne représentent en réalité que 5% de notre budget réel. Nous avons un plan d’action qui cible 14 actions. Les projets évoqués plus haut constituent les fondements de la modernisation de l’administration.

Mais vous devez faire face également au problème des ressources humaines ?

Tout à fait. Nous avons un manque cruel en compétences dans le domaine de la modernisation de l’administration. C’est pourquoi nous comptons former une équipe multidimensionnelle issue des différents départements ministériels. Nous avons deux options. Signer une convention avec une école professionnelle étrangère et envoyer le groupe ou les former à distance. Cette formation de pointe durera 2 ans et pourrait coûter environ 100.000 dollars par personne, soit un projet de 5 millions de dollars aussi.

Pour renforcer le volet en question, nous avons initié un projet de décret portant création d’une entité au niveau de chaque ministère. Elle sera rattachée au Secrétariat Général et s’occupera spécifiquement de la modernisation. Son gérant aura un rang de directeur. Ce projet de décret est en cours. Il a déjà été envoyé à la direction de la législation.

Propos recueillis Par Bakari Gueye/

Magazine mensuel HORIZONS/N°035/Juin 2023

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