Questions sociales et explosion de la violence en pays soninké

Par Aliou Kissima Tandia

Les soninkés ont la réputation d’être un peuple paisible mais les explosions de violences qui traversent cette communauté depuis quelques temps sont en train de lui donner une face hideuse. Les derniers affrontements intracommunautaires à Laani au Mali, Moodibugu en Mauritanie, Koyina en Gambie, dans le Kingui et ailleurs que nous avons suivi de loin interpellent la conscience de tous et de toutes. Ils sont la suite logique et l’expression d’une accumulation de rancœurs et de frustrations, d’un manque de dialogue et de communication entre membres d’une même communauté. La nature ayant horreur du vite, l’avènement des réseaux sociaux a brusquement libéré la parole et établi le contact entre acteurs dont la plupart n’étaient ni intellectuellement ni psychologiquement préparés et prêts pour un débat d’idées. Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans la société soninké, il serait important d’apporter quelques éclairages historiques.

Éclairages historiques

Comme toutes les sociétés qui vivent dans la bande sahélo-saharienne, la société soninké est une société très hiérarchisée composées de groupes qui se subdivisent à leur tour en sous-groupes.

Les structures sociales et politiques donnent la prééminence à certains clans (tunkanlenmu) pour l’exercice du pouvoir à l’échelle d’un village (debe) ou pays (jamaane). C’est un droit de commandement qui se base sur le droit du premier occupant du sol ou l’usurpation du pouvoir qu’on acquiert par la naissance.

C’est ainsi que suivant les régions ou pays, on peut rencontrer des patronymes qui jouent un rôle prépondérant dans la vie politique et sociale (Traore au Xanaaga, Baccili Gajaaga, Jaawara dans le Kingi etc.

Les différents groupes entretenaient et entretiennent encore des relations complexes marquées par le maarenmaaxu (parenté), le jonganlemaaxu (alliance codifiées par des serments comportant une séries d’obligations réciproques engageant les parties contractantes et leurs descendants), le laadanlemaaxu (alliances codifiées par les coutumes aux termes desquelles les différents groupes se rendent mutuellement services contre des gratifications symboliques et le kalungooraxu (cousinage à plaisanterie). Tous ces niveaux d’alliance ont pendant longtemps permis et permettent encore de cimenter le vivre ensemble dans la solidarité et ont créé les conditions d’une résilience sociale et économique.  

Contestations de l’ordre ancien  

Aujourd’hui même si la taxinomie employée pour désigner les différents groupes sociaux existe toujours, la société soninké n’a pas été épargnée par l’évolution en cours dans toutes les sociétés africaines.

L’ordre ancien qui a commencé à être contesté depuis les premières années de nos indépendances par des intellectuels et anciens combattants d’extraction servile a trouvé aujourd’hui un terreau fertile à travers notamment le combat d’Elhor, de SOS esclaves et tout récemment du mouvement IRA Mauritanie et de l’ARMEPES-France : (Association des Ressortissants Mauritaniens pour l’Éradication des Pratiques Esclavagistes et ses Séquelles). Si les premières organisations citées plus haut ont réussi à faire bouger les lignes concernant la lutte pour l’émancipation des harratines et pour plus de justice et d’équité en Mauritanie qui fait de leur leaders  des acteurs clés sur l’échiquier politique et social en Mauritanie, le second fondé essentiellement pour ne pas dire exclusivement par des ressortissants du Guidimakha mauritanien a pour ambition d’opérer des transformations sociales profondes dans la société soninké en ayant comme objectif premier « de débarrasser notre Soni Karaa de toutes ses tares liées à la féodalité, au système de castes, à la hiérarchisation statutaire entre personnes ayant vécu ensemble depuis de tant d’années »[i]

Le succès ARMEPES-France Ganbanaaxu Fedde, a favorisé le lancement d’un mouvement transnational couvrant non seulement la Mauritanie mais aussi le Mali, la Gambie, le Sénégal et toute la diaspora soninké à travers le monde et avec comme devise l’égalité en dignité et en droits dans les communautés soninkés respectives. 

L’utilisation de Whatsapp pour redynamiser et faciliter la communication entre les membres du mouvement et la vulgarisation de ses idéaux a non seulement permis de tisser et de renforcer des liens entre ses sympathisants mais aussi favorisé l’éclosion de courants supposés opposés à toute transformation sociales en pays soninké ou à la démarche utilisée par Ganbaaxu Fedde. Ainsi démocratie islamique, Hooron da in baana, Kingui contre Ganbaana, TGV contre Ganbaana ont été créés et sont vite allés en guerre contre Ganbaana feddé. Suivant les camps, les deux courants ont utilisé les réseaux sociaux pour légitimer ou condamner le combat de Ganbanaaxu ou questionner ses méthodes de lutte en puisant très souvent leurs arguments du coran et de sunna du prophète.

La virulence de certains propos et la manière de tourner l’adversaire en dérision étaient souvent d’une rare violence et manquaient de décence.

Cette liberté d’expression offerte par les réseaux sociaux s’est révélée être à la fois une opportunité et un piège pour notre communauté car la plupart des personnes qui s’invitaient dans ces débats d’idées et de société n’étaient pas toutes intellectuellement et psychologiquement à la hauteur. Ils ont plutôt créé une cacophonie qui a brouillé le message authentique de Ganbaanaaxu et rendu inaudible la voix des progressistes de toutes extractions sociales, exacerbant ainsi la résurgence du phénomène de l’esclavage dans beaucoup de contrées.

Par leurs capacités de filmer, d’enregistrer, de transférer des audios et images en temps réel, d’archiver et même de manipuler des faits, les nouvelles technologies de la communication ont, dans le cadre de ce combat intracommunautaire, contribué à exacerber les tensions entre familles et clans en faisant émerger beaucoup plus de faucons que de colombes.

Face à cette situation, des bonnes volontés ont tenté des médiations qui se sont soldées par des échecs. Quant aux états, ils ont brillé par leur inaction qui peut se traduire par une manière subtile de laisser la situation pourrir.

Explosions de violences

Les conflits latents et la guerre fratricide qui en a résulté a déjà fait couler beaucoup de sang, endeuillé des familles et augmenté la vulnérabilité d’autres, les rapports de forces n’étant pas toujours les mêmes partout. La violence dans les rapports humains est tout simplement inacceptable, particulièrement entre personnes unies par des liens historiques et multiformes, c’est pourquoi nous sommes tous interpellés par les cris de détresse et les sanglots des blessés et des victimes des différentes explosions de violences. Nous le sommes autant que nos états qui doivent se doter d’institutions fortes et impartiales qui créent les conditions d’une paix sociale et la garantissent.

Il faut condamner la violence et les injustices d’où qu’elles puissent venir et les corriger après une analyse froide de ces évènements douloureux. Cela permettra d’éviter l’amalgame et les conclusions hâtives sous l’effet de l’émotion.

Conclusions

À l’image de ce qui se passe chez les peuples voisins, les transformations sociales sont, en milieu soninké déjà là, elles sont à la fois visibles, subtiles et complexes. Il faut les ancrer dans notre vécu au quotidien, les accompagner et sachant que les protagonistes considèrent qu’ils sont d’égale dignité et le sont conformément aux différentes lois fondamentales des pays concernés. Cette période que nous vivons est une transition vers une nouvelle ère. C’est une tendance irréversible. Il nous faut une intelligence situationnelle pour sauvegarder l’essentiel et chacun dans son contexte local et son vécu connait l’essentiel. Il faut orienter les radios mille collines vers la promotion de la paix et la réconciliation par le respect des aspirations légitimes de tous ceux qui, dans notre cohabitation se sentent lésés.

Ce conflit est appelé à être dépassé avec ses souvenirs douloureux d’où la nécessité de dialoguer dès maintenant, de dialoguer sincèrement et sans tabous pour ne pas mettre en péril notre vivre ensemble qui doit être au-dessus de tout. Ce malaise profond doit être traité à l’échelle globale mais surtout au niveau local, chaque jamaane et debe ayant ses spécificités héritées du passé qui ne sont pas forcément celles des autres.

En sachant qu’ils seront interpellés devant les tribunaux de l’histoire sur leur gestion de notre patrimoine commun qu’est le soninkara, la diaspora, les cadres vivant dans nos différentes capitales et autres grandes villes, les oulémas, les élus et tous qui constituent les éminences grises et des références incontournables pour leurs Co-villageois ou contrées sont appelés inventer des mécanismes pour ramener la paix des cœurs et des esprits de façon durable.

Aliou Kissima Tandia

Ndjamena, le 11Avril 2020

[1] Gaye Traore, interview accordée à Calame le 29 Mars 2018.


[i] Gaye Traore, interview accordée à Calame le 29 Mars 2018.

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