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Mauritanie : L’élection présidentielle du 22 juin est-elle dangereuse ?

En 2017, le président du Sénat français, Gérard Larcher, avait qualifié de dangereuse l’élection présidentielle de son pays. Il s’appuyait sur l’atomisation du PS et des LR par le phénomène politique de la Macronie, mais aussi et surtout sur la montée en puissance des extrêmes droite et gauche, pour tenir de tels propos. Autre élection, autres enjeux politiques sans doute !

Dans le contexte de la présidentielle du 22 juin en Mauritanie, on n’a jamais eu le sentiment d’être grisé par autant de sentiments contradictoires : de l’espoir et du désespoir ; de l’assurance et de l’incertitude. Ce que l’on voit, c’est la résurgence du repli identitaire ou sentiment nationaliste. Ce que l’on constate, c’est la décomposition – recomposition de la scène politique nationale dont seuls les acteurs en détiennent le secret.

Jamais les lignes de fracture ou frontières ethniques n’ont en effet été si évidentes. Elles se dessinent dans un espace social et politique longtemps caractérisé par une sorte de vacuité, de désespérance, de frustration des uns et d’arrogance des autres. Je pense que, s’il existe, le risque d’instabilité politique en Mauritanie n’est pas directement lié à la faiblesse de ses institutions démocratiques.

Le vrai risque renverrait à la tentation de mettre une chape de plomb sur les antagonismes sociaux et politiques mauritaniens, qu’on décline souvent à travers la question nationale. Il faut assumer l’histoire sociale et politique assez singulière du pays pour lui donner de nouvelles perspectives de réconciliation avec lui-même. Mais je crains fort que le fossé, déjà abyssal, se creuse encore à l’occasion de cette élection, entre ceux qui se satisfont de la nature des relations inter-communautaires et de leur rapport historique à l’État et ceux qui appellent à réinventer le projet du vivre ensemble.

En finir avec l’instrumentalisation politique des différences culturelles et les politiques d’exclusion 

Les groupes sociaux maures blancs, négro-mauritaniens et hrâtines sont unis par des relations séculaires. Aucun d’eux ne peut exclure les autres au nom de l’histoire et de la culture. C’est qu’ils ont une histoire commune et, certes, des cultures diverses. Mais il existe, bien sûr, un principe dans le droit international selon lequel aucun peuple ne peut être condamné à vivre avec un autre, s’il ne le souhaite pas. Aucun peuple ne peut en revanche revendiquer son droit à former une nation ou accéder à l’autodétermination exclusivement sur des bases identitaires.

L’identité culturelle mauritanienne est objectivement plurielle. Elle est faite de nombreux croisements ethniques et d’échanges culturels qui furent intenses, en dépit même des hostilités et des rivalités géographiques et politiques qui opposaient les groupes sociaux mauritaniens, avant la création de leur État. Cette dialectique de rencontre, puis de séparation, puis de réconciliation ; de continuité, puis de rupture à nouveau ; de razzia, puis de paix façonne l’identité culturelle mauritanienne dans sa diversité. Aujourd’hui, il est vrai que les groupes sociaux mauritaniens ont perdu leurs repères communs qu’ils trouvaient dans les phénomènes du nomadisme et du partage des espaces de pâturage, ayant une grande signification politique. Cette identification en des lieux communs transmettait une idée d’unité. Disons tout simplement la croyance en un destin commun.

Le mythe fondateur a cependant disparu. Toutefois il appartient aux Mauritaniens de le réinventer et, avec lui, l’idée de la nation mauritanienne. Depuis 1966, alors que l’État mauritanien existait à peine, se manifeste malheureusement une tendance à la bipolarisation du débat culturel qui est systématiquement ramené à une opposition raciale radicale. De cette opposition sont nées toutes les politiques d’exclusion qui ont paradoxalement culminé avec l’ouverture politique du pays. 

Jeu politique et enjeux sécuritaires

L’élection présidentielle mauritanienne arrive dans un contexte sécuritaire sous-régional préoccupant, en raison de la prévalence des menaces de déstabilisation des États par les groupes terroristes. Cette donne relativement nouvelle impactant sérieusement les politiques publiques ainsi que les investissements étrangers, remet l’armée dans les États du Sahel au cœur de la vie politique. Par son ampleur et sa complexité, la situation sécuritaire semble (re)légitimer l’institution militaire qui renoue avec ses missions traditionnelles de protection de l’intégrité territoriale et de sécurisation des populations. Mais il convient néanmoins de dire que l’armée en Afrique ne s’est jamais éloignée du pouvoir politique, même si, on le sait, ses représentants étaient viscéralement contestés dans le sillage de la démocratisation du continent, au début des années 1990.

Les enjeux sécuritaires dans le Sahel prennent ces dernières années une importance rarement égalée. Ils atténuent de ce fait les tensions liées à la définition du statut de l’armée dans le cadre de la gestion politique des États. L’impératif sécuritaire appelle, me semble-t-il, à la collaboration intelligente entre l’institution militaire et les acteurs politiques. Or, l’exacerbation des relations d’adversité entre ces deux pôles est potentiellement périlleuse.

Elle l’est parce qu’elle peut en effet entraîner des situations de fragilité sur le plan interne et exposer par conséquent les États à l’obscurantisme des groupes terroristes. Mais il faut aussi rappeler que le discours sécuritaire ne peut toujours servir de locomotive pour les ambitions politiques de l’armée. S’il est absolument légitime que des femmes et des hommes issus de l’armée puissent porter un projet politique pour leur pays et veuillent à ce titre se présenter à une élection présidentielle, la politisation de l’institution militaire, elle-même, pose, de surcroît, un problème lié à sa neutralité dans la concurrence politique.

 

Abdoulaye Wane

Docteur en science politique 

 

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