Au-delà des complications du scrutin du 13 Mai, il est grand temps de questionner sérieusement notre système démocratique quand à sa conformité aux normes de droit et à son opportunité pour résoudre les problèmes de gouvernance propres à notre pays et à notre société.
Par Sid’Ahmed Ould Dechagh
Mon constat est que notre système démocratique, dont les fondements les plus conformes, de mon point de vue personnel, ont été posés au cours de la transition de 2005, à été depuis lors, sérieusement déprécié par les soubresauts des différends dialogues/concertations politiques, qui ont permis certes de dépasser des moments de rupture politique, mais ont eu, tout de même, pour effets collatéraux, d’instrumentaliser les règles qui régissent notre démocratie et même parfois de les dévoyer de leur caractère général et abstrait pour les accommoder à des situations contextuelles particulières et à des intentions subjectives.
C’est ainsi que des partis politiques et des organisations professionnelles sont entrées, à des occasions de dialogue-concertations, dans une dynamique de récupération des normes en vue de régler, non pas les problèmes de notre système démocratique, mais leurs propres problèmes.
La captation de l’électorat et le positionnement sur la scène politique entre autres, figurant en première ligne de leurs objectifs.
Cette démarche tendancieuse de nos acteurs politiques et associatifs est constatée dans plusieurs dialogues qui ont eu lieu dans notre pays.
Pour illustrer cette hypothèse, je me réfère à des exemples précis, issus des dialogues de 2011 et de 2016 pour lesquels nous disposons à présent du recul nécessaire pour en juger ; Des exemples choisis sur le volet de la représentativité, le volet institutionnel et troisièmement sur l’aspect purement symbolique.
Le premier exemple qui a trait à la représentation est l’interdiction des candidatures indépendantes autorisées jusqu’en 2006 et supprimée en 2012, sur proposition de certains partis de l’opposition.
Jusqu’à cette date les candidatures indépendantes favorisaient l’émergence de leaders politiques locaux ayant bâti une assise électorale par la bienfaisance et la proximité avec les citoyens mais aussi par la fibre tribale et les alliances traditionnelles locales.
La suppression de tels candidatures vise en clair à obliger ces personnalités représentatives, à passer par le canal de partis politiques qui ne leur apportent rien, ni en termes d’électorat, ni en termes de mise à disposition de moyens matériels, ni en termes d’orientation idéologique ou de programmes.
Contrairement à toute logique politique, des candidats se présentent au nom de partis politiques avec lesquels ils n’ont aucun lien préalable. Leurs candidatures viennent perturber à la fois les calculs de l’opposition et du parti au pouvoir .
Les conséquences sont celles que nous vivons aujourd’hui, à savoir la prolifération de candidats du même prototype que les indépendants, qui surgissent en dernière minute, , et arrivent à gagner aux enchères de la « bourse » des candidatures, que de petits partis mettent en place à l’occasion de chaque scrutin.
Cette règle de non candidature des indépendants a été ensuite renforcée par l’interdiction du « nomadisme politique ». Un élu ayant été contraint par la force de la loi à utiliser la bannière d’un parti politique pour se présenter, n’aura plus la liberté de quitter ce parti et y sera consigné durant tout son mandat, quel que soit ses discordances avec le discours , les orientations et le positionnement politique de ce parti.
Il est bien compris que ces règles contraignantes qui obligent les candidats à passer par le canal partisan ont pour finalité de constituer, du jour au lendemain, une assise électorale pour des partis qui n’étaient auparavant qu’une coquille vide ; En plus de l’avantage pour ces partis de renflouer leurs caisses, par-dessus le marché.
Une autre opportunité offerte par ces règles est de pouvoir récupérer les mécontents des candidatures de leurs partis pour les canaliser vers des partis politiquement proches.
Même si les candidatures indépendantes sont en déphasage avec l’idéal démocratique de nécessité de l’expression populaire organisée, à travers les partis politiques et les associations, elles ne sont pas pire que le système de «titrisation » des candidatures, orchestré de nos jours par des petits partis tel que je l’ai évoqué .
Cette pratique illégale d’arrimage de candidats à des partis politiques avec les pratiques mercantilistes que nous connaissons, s’apparente plus au système archaïque d’achat des lettres de noblesse dans le système féodal du moyen âge .
Par ailleurs ces pratiques sont en contradiction avec les principes constitutionnels de liberté d’expression, de liberté d’opinion et de liberté d’association .
Dans le régime démocratique libéral, l’engagement moral doit être le seul lien entre l’adhérent et son parti.
Pour ce qui est de l’exemple institutionnel, je quitterai la sphère purement politique pour aller dans le milieu associatif professionnel, notamment de la presse ou des voix se sont élevés depuis plusieurs années portées par des associations et des journalistes de renommée, demandant la suppression pure et simple du Ministère de la Communication . Ceux-ci justifiaient leurs doléances par les nécessités, disent-ils, de la libéralisation du secteur de la presse qui est désormais régulé par un organe indépendant et que, dans ce contexte, l’existence du Ministère de la Communication ne se justifiait plus. Cet argument simpliste, était porté par des libéraux qui voulaient se débarrasser coûte que coûte de toute supervision du secteur par un organe étatique central.
La résultante est qu’on ne sait plus aujourd’hui qui est véritablement en charge de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de communication du gouvernement.
Celle-ci semble être rattachée en partie, au Ministère de la culture, mais elle en est une qualité récessive telle que l’a si bien exprimée l’un de nos ex ministres quand il a dit en arabe, je le cite «nouthgh bismi lhoukouma sivatoun moutanahhya ».
Dans un tel contexte les organes des média publics, font la pluie et le beau temps en jonglant entre les différentes tutelles pour s’en débarrasser de toutes, et en faire de même pour l’organe de régulation.
Voilà comment, par des doléances qui ne riment à rien , les associations professionnelles de la presse ont fait main basse sur un département public et un pan entier de la politique du gouvernement et causé un préjudice important à l’Etat dans son fonctionnement.
De là, le déficit constaté dans la production de sens et dans l’appréhension de l’action gouvernementale par les citoyens.
Le troisième exemple que je veux citer est relatif comme je l’ai dit ci-haut à des aspects symboliques .
Lors du dialogue de 2016, avec certains partis de l’opposition, il a été décidé de changer le drapeau et l’hymne nationaux .
Je ne me réfère pas cette fois ci à mes analyses personnelles pour juger d’une telle action, mais aux déclarations des autorités, notamment le président du parti au pouvoir en son temps qui a déclaré que la mesure vise à célébrer la gloire d’un homme, pour qu’on puisse à l’avenir, dit-il, poser la question aux enfants du primaire et leur demander qui a confectionné le drapeau et composé l’hymne national . Les petits enfants répondront monsieur tel .
Voilà comment, par un tour de passe-passe, nous avons perdu notre étendard vert-doré, tant chéri, le drapeau de notre indépendance nationale qui exprime par ses couleurs notre culture islamique et nos aspirations profondes à la paix, à la joie et à la prospérité.
Les exemples foisonnent sur l’action de certains de nos acteurs politiques qui se mettent en tête à tête exclusif avec un pouvoir, souvent en période de faiblesse de légitimité et en sortent avec des règles dévoyés au service d’intérêts circonstanciels et particularistes ; Et qui viennent par la suite contester les résultats et s’accuser mutuellement d’en être la cause !
Le dialogue sincère et inclusif, qui fait appel à l’expertise nationale et à l’intelligence collective dans son ensemble, reste tout de même l’outil le plus efficient pour la résolution de nos problèmes.
A en juger par son résultat notre système électoral actuel est devenu un système complexe qui empêche la réalisation de son objectif essentiel, l’expression du choix populaire et citoyen ; Et pour preuve : les bulletins nuls et les suffrages rejetés, sortis gagnants lors du dernier scrutin.
Pour le reste, nos intellectuels ont le devoir, face aux forces centrifuges qui gangrènent notre administration, de s’engager résolument à un contribution sereine et efficace au débat public et de ne pas accepter d’être exclu. Et ça c’est un autre débat…
Sid’Ahmed Ould DECHAGH
ouldechagh@yahoo.fr Whattsapp : 36303032
Twit : @dechagh