Alors que l’économie libérale triomphe, l’idéologie nationaliste reprend partout du poil de la bête. De Trump, défait aux élections, en passant par Bolsonaro à Orban, un mélange du nationalisme et du populisme redessine les nouvelles frontières du monde. De plus en plus, on s’aperçoit que les principes d’ouverture, sur le plan de la liberté de circulation, d’universalisme, sur le plan des valeurs de solidarité et de fraternité, sont en passe de s’effondrer les uns après les autres.
Lorsque Trump annonça la construction de son mur pour contenir les vagues de migrants en provenance du Mexique, il s’attaqua d’abord aux valeurs de solidarité qui font pourtant partie de la tradition politique américaine aussi accueillante que sensible aux questions des droits de l’homme dans le monde. Mais sa décision inédite éclaire d’un jour nouveau ses intentions politiques pour le moins inhospitalières.
Le seul fidèle conseiller de Trump, c’est Donald. Le premier adversaire de Donald, c’est Trump. Nul besoin de psychologiser sur les traits de caractère du personnage qui du reste se serait fixé deux règles de vie. La première est de s’inscrire dans un registre polémique, quitte à apparaître ridicule. La seconde est d’alimenter en permanence sur les réseaux sociaux sa détestation de la normalité et des usages politiques qui relèvent des conventions ordinaires dans la pratique du pouvoir politique.
De son côté, Viktor Orban ne se contente pas seulement de forger son image par opposition au système politique traditionnel, il s’est illustré également par sa volonté de soumettre à sa vision de la société et du pouvoir la classe politique hongroise, la presse et les ONG. Pour la défense des intérêts de la nation, il poussa l’audace jusqu’à ses conséquences ultimes en instrumentalisant par exemple le parlement de son pays pour lui faire adopter des lois conformes à sa politique nationaliste et en s’affranchissant des conventions communautaires. L’état de droit en Hongrie est en recul depuis 2010. Ceci est un euphémisme.
Alors que la crise des migrants parvenait à son paroxysme au milieu des années 2010 et que s’organisaient, quoi que timidement, des initiatives de solidarité internationale, Orban ferma unilatéralement les frontières de la Hongrie au nom du principe de précaution et de salubrité publique. La seule limite politique qu’Orban est donc prêt à accepter est celle que fixe Viktor.
Bolsonaro, un autre phénomène politique ? Si son destin national n’était pas écrit à l’avance, on n’ignorait pas cependant son mépris viscéral des règles du jeu démocratique et de la politique de préservation des droits économiques et politiques des Indiens. Le président brésilien se considère lui-même comme l’incarnation de la loi et du pouvoir de restaurer l’ordre politique et de redonner à ses concitoyens la fierté de redevenir ce qu’ils sont, pour paraphraser l’auteur du Gai Savoir.
Bolsonaro invente les causes d’une crise morale, politique et économique de sa société, Jair propose démagogiquement les solutions, plutôt ses ruses de populo-nationaliste. Celles-ci ne consistent en fin de compte qu’à distiller comme du poison dans le corps le sentiment de haine et de peur des uns vis-à-vis des autres. De cette peur qui s’empare brutalement des esprits naît un besoin de protection. C’est là où agissent la ruse et le mythe de la nation. Le protecteur, qui s’appelle Bolsonaro, n’a rien d’extraordinaire que sa volonté de redonner esprit et corps au sentiment d’appartenance à une culture, une religion ou à un territoire. Mais décidément l’admirateur de Trump n’agit pas avec la même logique de protection quand on sait le sort auquel il condamne ses concitoyens indigènes. Une des décisions de son gouvernement est d’avoir spolié les Indiens, même si la loi fondamentale du Brésil leur reconnaît depuis 1988 des droits inaliénables sur les terres qu’ils occupent.
Nation et immigration : le mythe de l’unité sociale et politique
Aux Etats-Unis comme dans d’autres pays, il n’échappe aujourd’hui à personne que la lutte contre l’immigration offre aux nostalgiques de l’État national et aux nouveaux chevaliers de la nation perdue un joli prétexte d’associer le mal absolue à la figure « hideuse » de l’étranger. La mécanique est huilée, le discours rodé. Revenir à la nation qui exclut et qui uniformise et surfer sur les peurs irrationnelles constituent le socle philosophique de ceux-là qui ont un peu de Trump, de Bolsonaro, d’Orban ou de Modi (Narendra).
Les idéologies nationalistes ont cela de commun qu’elles reposent sur la dramatisation de l’expérience de la coexistence comme l’expression de l’hybridité et de la multitude. L’unité culturelle et politique est un désir obsessionnel dont la satisfaction pleine et entière implique nécessairement la suppression définitive de l’altérité et ses conditions de réalisation. Or, la présence de l’étranger dans une société qui n’est pas la sienne et qui est confrontée à la fièvre nationaliste, marque la rupture de l’unité tant désirée. Sa présence serait alors dans ce cas source de problèmes et d’handicaps pour le projet national.
Que faut-il encore entendre et voir pour qu’on s’inquiétât un peu plus de la nouvelle configuration politique des États et de l’état d’esprit d’une partie des dirigeants des grandes puissances ? Faut-il rappeler que toutes les tragédies du XXe siècle, qui ont fracassé l’humanité en plusieurs morceaux, sont causées en partie par l’exaltation de l’idée de la nation et des moyens qu’on lui donne pour exister à tout prix ?
Longtemps on a nommé le populisme primaire là où il fallait désigner, sans trembler, le nationalisme. Il existe bien évidemment une intersection entre le populisme et le nationalisme. Mais ces deux phénomènes politiques ne sont nullement superposables comme s’ils exprimaient exactement une seule et même réalité.
Si la résurgence des nationalismes continue d’étendre ses réseaux tentaculaires, il est à craindre qu’on soit à l’aube d’un conflit planétaire. À force de nous condamner à l’incapacité de prévenir les crises liées à l’identité et à l’appartenance politique, nous risquons comme dans le passé d’être violemment surpris par l’ampleur des dégâts.
Le XXIe siècle n’est pas celui du post-État ou de la nation ; il consacre leur retour sur fond d’idées qui ont divisé l’humanité et lui ont fait douter de son destin commun. Si bien que l’histoire tragique des siècles passés peut malheureusement se répéter. Si nous ne prenons pas au sérieux les paroles comme les actes posés par les nouveaux dirigeants atypiques, nos efforts consentis pour construire une société libre, solidaire et multiculturelle, risquent fort bien d’être anéantis.
Dr Abdoulaye Wane