Professeur d’économie et consultant, Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen est un Universitaire mauritanien qui observe l’évolution de la scène politique, sociale et économique de la Mauritanie. Auteur de plusieurs articles, il a publié à Initiatives News une « Chronique des Années Ould Abdel Aziz », une analyse dans laquelle il dresse le bilan de dix années passées par le président Mohamed Ould Abdel Aziz dont le second et dernier mandats autorisé expire après la présidentielle prévue en juin. Dans l’Interview qu’il accordé à Initiatives News, Dr. Ould Mohamed El Hacen, donne sa lecture de ce que le gouvernement sortant considère comme des réalisations en parlant des changements de symboles nationaux et de certains chantiers…
Initiatives News : Ould Abdel Aziz et ses partisans se targuent d’avoir doté la Mauritanie d’infrastructures telles que le nouvel aéroport, le nouveau palais des congrès, le Centre National de Cardiologie et de bien d’autres structures. A quel prix, à votre avis de tels ouvrages ont-ils pu être réalisés au vu de la situation des populations dont une bonne frange continue de dépendre des mesures d’urgences ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : J’espère que ce Centre de Cardiologie fera plus de bien que de mal. La localisation des centres hospitaliers spécialisés dans un lieu à forte densité humaine, pourrait comporter des risques, tant pour les patients que pour les populations voisines. Je n’ai aucune idée de ce qu’il a pu coûter.
« l’Aéroport International, est le cas typique du projet surdimensionné et opaque. »
Mais tout ce qui peut sauver des vies humaines ou améliorer la santé des mauritaniens ne sera jugé que du point de vue de son efficacité et de son efficience relatives. M. De Montaigne avait raison en de dire: « Ni les hommes, ni leur vie ne se mesurent à l’aune.»
S’agissant de l’Aéroport International, c’est le cas typique du projet surdimensionné et opaque. On le justifie par le fait qu’il peut répondre à une offre de 2 millions de voyageurs, par an; chiffres 5 fois supérieures aux flux actuels selon les statistiques officielles du trafic aérien qui n’ont aucune raison de minorer ce flux.
Peut-on espérer arriver, au rythme où va la Mauritanie, à une multiplication par cinq cents pour cents de ce nombre avant l’amortissement total des pistes et des installations aéroportuaires.
« Dans un rapport du FMI, les experts ont écrit, sans détour, qu’ils ne croient pas au prix du mètre carré, 600 anciens OUGUIYA »
N’aurait- il pas été plus raisonnable de tabler, par exemple, sur un doublement des capacités d’accueil et réserver les ressources inutilement immobilisées à d’autres secteurs et à d’autres projets dans d’autres secteurs (éducation, santé…)
Certes le cadre d’accueil du premier Aéroport était exigu. Mais n’y avait-il pas eu une extension respectable financée par l’AFD qui était suffisante pour de nombreuses années à venir ?
Initiatives News : A votre avis, ce projet a été mal ficelé, mal géré en amont et en aval ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : L’opacité financière et administrative a caractérisé le Projet. Ce marché dont on ignore le montant n’a pas d’équivalent dans l’histoire du pays et même de l’Afrique voire de l’humanité tout entière. Il relève des temps de la préhistoire et appartient normalement aux économies pré- monétaires.
En effet, il a été attribué dans le cadre d’un gré à gré qui a consisté en une opération de troc de grande envergure : échangé contre des terrains en zone résidentielle et le terrain du premier aéroport, en plein centre ville. Aussi son coût d’opportunité et même l’estimation de son coût, tout court, sont- ils rendus, de ce fait, difficiles, voire impossibles à déterminer.
Dans un rapport du FMI, les experts ont écrit, sans détour, qu’ils ne croient pas au prix du mètre carré, 600 anciens OUGUIYA, (soit s moins de 2 dollars, soit 300 mille anciens ouguiyas pour un lot de 500 mètres carrés !!) communiqué, par le Gouvernement mauritanien, à leur demande et, visant à en évaluer le coût et l’amortissement. Il est de notoriété que le prix du mètre carré dans les zones concernées est 20 fois supérieur à ce prix et peut aller jusqu’à 100 fois plus dans les endroits commercialement stratégiques.
Initiatives News : Pourquoi, selon vous, une telle exagération dans la minoration du coût de cet aéroport?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Je vous laisse le deviner. En dehors des questions de gouvernance, de coût ou de l’opportunité du projet, la brutale et subite mise sur le marché d’une offre quasi-illimitée de terrains ne pouvait qu’avoir des effets négatifs, perturbateurs et, dans certains cas catastrophiques, sur le marché du foncier, sur la liquidité monétaire, sur le marché hypothécaire, et d’une manière générale, sur le système bancaire.
Les conséquences négatives n’épargneront pas le promoteur attributaire du marché du fait qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura pas dans cette décennie, face à cette offre, une demande solvable de terrains qui lui permettrait de rentrer dans ces fonds. Le retour d’investissement est, quant à lui, sujet à caution. Une fois de plus, les lois de l’économie et l’intérêt général n’ont pas, ici, été pris en compte ni respectés. D’une manière générale et pour nous résumer, les réalisations de cette période ne méritent pas d’être appelées Investissements (nous l’avons démontré plus haut) ni même des réalisations.
Initiatives News : Pourquoi, à votre avis, ne devrait-on pas parler de réalisations ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : On ne peut pas les considérer comme des réalisations au sens économique du terme, car qui dit réalisation, dit : «faire passer du stade de la conception à celui de la chose existante».Cette définition exclut du champ économique et financier les chantiers de l’ère azizienne. Ils ne sont pas passés par le stade de conception économique dans lequel leur étude de faisabilité économique et financière et la détermination de leur impact et conséquences sur l’économie nationale auraient vite conclu qu’ils sont, à la fois, surdimensionnés, trop coûteux et non rentables. Tous les experts, y compris ceux des bailleurs de fonds de la Mauritanie, ont fait un tel constat.
S’il y avait eu une conception économique et financière de ces projets, on aurait normalement renoncé, dès le commencement à leur exécution.
Le palais des congrès, mitoyen et frère jumeau de l’aéroport aux voyageurs doublant le nombre de nos poètes, a fait l’objet d’un autre marché de gré à gré d’un montant de 14 milliards lors d’une saison de soudure et de grande sécheresse qui a vu périr une grande partie du cheptel ; une importante ressource renouvelable qui aurait pu être sauvée si 10% de ce montant lui avait été affectée. Pour vous donner idée, la seule que nous ayons sur cette réalisation, on peut estimer qu’elle coûte 10 000 dromadaires et un million de caprins.
Les effets dévastateurs de ces « réalisations», comme on aime à les appeler, sont évidents sur les finances publiques, sur les comptes extérieurs de la Nation, sur le niveau de la dette de l’Etat et de son service et sur la valeur externe de la monnaie et son pouvoir d’achat interne. La boucle négative est bouclée .C’est, dans les économies, le tristement célèbre « cercle vicieux ».
Bref, les effets destructeurs et déstructurant de la ‘’réalisation’’ de ces chantiers s’étendent sur l’ensemble de l’économie nationale et même au-delà : sur les pays voisins et sur nos partenaires économiques, commerciaux et financiers. Peut- être que ces chantiers sont bien conçus techniquement, peut-être sont-ils utiles, peut- être constituent-ils des merveilles technologiques, des chefs-d’œuvre architecturaux.., mais cela n’enlève rien à leur manque de pertinence et de rationalité économique et financière.
Initiatives News : Les effets destructeurs et déstructurant de ces chantiers s’étendent sur l’ensemble de l’économie nationale et même au-delà, dites-vous. N’est ce pas assez sévère comme jugement ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Pour aller jusqu’au bout de ce raisonnement et afin d’expliciter ma pensée et mon jugement, nous pouvons imaginer un scénario dans lequel l’Etat mauritanien et son Chef liquident tout ce que nous possédons dans ce pays pour financer la construction de notre Aéroport Roissy CDG, de notre Tour Eiffel, de Notre Dame de Paris, de notre Pyramide du Louvre et même de nos pyramides d’Egypte et transformer, ce faisant, notre pays en un espace désertique peuplé de cimetières.
« Pouvez- vous croire que les mauritaniens seraient plus fiers d’une œuvre signée par un égyptien payé chèrement par ponction sur leurs revenus dans une année de sécheresse que d’une œuvre historique de leur grand artiste Sidatty ould Ould Abba, Abou Sedoum et notre diva Dimi, paix sur son âme? »
Certes les chinois et les sociétés gazières et minières trouveront le moyen de continuer à y vivre dans leur paradis maritime et terrestre et de sous sol. Mais nous, mauritaniens, pourrions-nous espérer, pour notre peuple, une compensation ou pour ses fossoyeurs, le Pardon dans l’Au-delà !
Initiatives News : Ces dernières années le pays a connu des changements qui n’ont pas souvent reflété le désir de tous les mauritaniens. Modification du drapeau, nouvel hymne national, changement des noms de rues, changement de la monnaie, etc. Les priorités n’étaient-elles pas ailleurs pour un chef d’Etat en fin de mandat ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Drapeau? Hymne? Rues? Vous dites que « la modification du drapeau, le changement d’hymne, de noms de rues n’ont pas, le plus souvent, reflété le désir de tous les mauritaniens » ! Permettez- moi de vous retourner la question ! Avez-vous rencontré un seul mauritanien, avant le référendum imposé par le Chef de l’Etat et qui a cloîtré le jour de son déroulement tous les mauritaniens dans leurs domiciles, qui propose ces changements ou réclame de telles modifications ? Avez-vous lu, une seule fois dans votre vie de journaliste, un article de presse, un tract, un livre dans lesquels une personne, ou plus, revendiquer ces changements ? Une manifestation ? Une pétition ?
Pouvez- vous croire que les mauritaniens seraient plus fiers d’une œuvre signée par un égyptien payé chèrement par ponction sur leurs revenus dans une année de sécheresse que d’une œuvre historique de leur grand artiste Sidatty ould Ould Abba, Abou Sedoum et notre diva Dimi, paix sur son âme?
Et qui égalerait à leurs yeux la Baraka et la valeur intrinsèque de Baba Ould Cheikh Sidiya, fût- il, aujourd’hui, la première fortune honteuse et mal acquise?
La couleur rouge, la plus répugnante des couleurs, dans notre culture, celle du sang, de l’enfer, de la guigne, du déficit, de l’endettement et des agios, du terrain aride( rag ahmar,) de l’insolence ( amengar lahmar) , qu’est ce qui pourrait bien la légitimer dans les cœurs et dans le ciel mauritaniens, en dessus et en dessous, de celle du paradis, du bonheur et de la verdure? Cette couleur d’un drapeau sous lequel tant de vaillants officiers et soldats mauritaniens sont morts pour la Patrie, soutenus efficacement par les JAGUAR français qui ont sauvé de la destruction, par les armes soviétiques, la Snim, la ville de Nouadhibou et le chemin de fer, alors que ses invisibles détracteurs d’aujourd’hui ne savaient guère encore le destin que la vie allait leur réserver, ce drapeau-là ne mérite que respect et intangibilité, au même titre que nos frontières.
Initiatives News : Que voulez-vous dire par cette série de questionnements ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Que notre mémoire ne doit pas être ambivalente, ni être tantôt trop courte et tantôt trop longue ! Humilité, Pudeur et Reconnaissance sont les corollaires d’Honneur- Fraternité- Justice ! Il s’agissait d’un problème personnel de ce Chef d’Etat et, moi, je n’aime pas parler des personnes et, encore moins, les psychanalyser. C’est une énigme.
Initiatives News : En parlant de mémoire, il y a cette dynamique de changement de nom des avenues et des rues…
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Les rues, les pauvres ! Quel crime ont-elles commis pour qu’on change leurs noms ? C’est vrai, elles ne sont pas très propres. Mais la priorité aurait dû être de les nettoyer. Qui des habitants de Nouakchott connaissent le nom d’une rue, en dehors de celle dont on vient précisément de changer le nom ? Quel l’intérêt y aurait-il à supprimer l’unique repère du plan (avenue Gamal Abdel Nasser,ndlr) de notre capitale que ses habitants ou visiteurs ont en mémoire ?
« , je reste persuadé que, comme le nom singulier donné à tort à l’aéroport de Nouakchott à comparer avec ceux de nos voisins qui portent les noms de Senghor, Hassan II, lequel sera remplacé par le père de la Nation Moktar Ould Daddah, ces symboles retrouveront aussi un jour leur couleur, leur musique et leurs noms historiques, légitimes et naturels. »
Tout cela n’est peut être qu’une manière de mettre sa marque sur le drapeau, l’hymne, sur tout ce qui est audible ou visible dans le pays, exactement comme l’homme sans pitié pour les animaux, imprime par le feu, sa marque comme preuve tangible de propriété. Ce n’est peut-être pas dans son intention, mais nous, nous avons eu aussi mal que les animaux enchaînées et dont on brûle impitoyablement le corps.
Grâce au pouvoir qu’il détient entre ses mains, il a pu opérer ces changements et ces marques qui reflètent ses désirs personnels et qui sont incompréhensibles pour tout un peuple.
Une obsession de l’homme, qui sachant l’oubli où sont tombés d’autres qui l’ont précédés, voulait imposer, après lui, sa marque sur le pays comme on marque les chameaux, comme on immatricule les voitures ou comme on enregistre les titres fonciers !!
Abusant de sa posture de chef de l’Etat, il peut, en effet, tout faire passer et il a voulu laisser partout sa marque.
Ne croyant qu’au visible et à l’audible, il voulait, sans doute, compléter ses autres ‘’réalisations’’ physiques ou compenser les promesses non tenues comme l’éradication de la pauvreté et de la gabegie.
On comprend, alors, mieux l’adage mauritanien qui donne la prééminence du rôle du bon gestionnaire de l’existant par rapport à celui de l’apporteur d’affaires. (Eschbeh el gowwam min el jayyaab, en hassaniya, sic)
Toutefois, je reste persuadé que, comme le nom singulier donné à tort à l’aéroport de Nouakchott à comparer avec ceux de nos voisins qui portent les noms de Senghor, Hassan II, lequel sera remplacé par le père de la Nation Moktar Ould Daddah, ces symboles retrouveront aussi un jour leur couleur, leur musique et leurs noms historiques, légitimes et naturels.
J’ai répondu à votre question, par respect à votre personne et à votre profession, mais permettez moi de vous poser, à mon tour, la question suivante : pourquoi, ne dites-vous pas que ces changements n’ont été ni désirés ni acceptés par notre peuple, mais qu’ils lui ont été, provisoirement, imposés ??
Lire aussi: Chroniques des années Ould Abdel Aziz V: “Nous sommes déjà dans l’impasse, le dos au mur”
Initiatives News : Merci de l’avoir dit, Professeur. Quid de la monnaie ?
Dr Mohamed Ould Mohamed El Hacen : Tout ce qui se rapporte à la monnaie est très sensible. Des interprétations de la part de celui qui n’est pas dans les secrets des institutions risquent d’être spéculations et peuvent porter des préjudices à l’économie du pays. C’est, en soi, une opération coûteuse et on ne doit pas en rajouter. En dehors de cela, elle peut être anodine pour l’économie, tout comme elle peut cacher des intentions que les temps proches révéleront après ces élections.
Entretien conduit par K-Tocka
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