Véronique Ahyi-Hoesle, Le métissage pour terre

La passion du voyage se conjugue avec l’amour des terres d’escales. Véronique Ahyi-Hoesle, fille de l’artiste Paul Ahyi auteur du drapeau togolais, en épouse toutes les formes. Et pas que.

Directrice de la 1ère Agence de relations publiques du Sénégal, AVA Press (Agence Véronique Ahyi  Press), Véronique a travaillé et collaboré comme journaliste à plusieurs organes de presse dans ses différents pays de résidence. Elle est aussi écrivain. Son livre Noire Datura, Portraits de femmes du Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo, a bénéficié de la gracieuse préface du désormais Prix Nobel de la paix, le Docteur Denis Mukwege Mukengere. Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le Docteur Denis a obtenu le 5 octobre 2018 ce prix de reconnaissance ultime, pour son combat qui redonne vie à des milliers de femmes violées et abîmées par des brutalités inouïes. Quant à Véronque Ahyi, elle a désormais ses valises àNouakchott, en Mauritanie.

Rencontre

Traversées Mauritanides : Après le Sénégal, le Laos, la République Démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda, vous résidez depuis deux ans en Mauritanie. Quels rapports entretenez-vous avec les voyages ?

Véronique Ahyi-Hoesle : Les voyages font partie de moi, de ma vie. Ce goût du voyage vient de mes parents qui ont beaucoup voyagé dans leur cadre professionnel et aussi, sans doute, de mon métissage. Avec ma mère française, j’ai grandi en France, mais je partais régulièrement en Afrique pour découvrir cette autre partie de moi. Partir toujours, pour les merveilles du monde.

Traversées Mauritanides : Donc un hymne à la vie ! Le contraire de l’image sombre d’Ayélé, [la] fille de l’ombre qui assiste à son propre enterrement !  

Véronique Ahyi-Hoesle : Je ne qualifierai pas Ayélé fille de l’ombre de livre triste. C’est un livre sur la vie, avec ses aléas, ses moments de joie et de peine. La mort n’est pas toujours triste. Elle peut être au contraire une délivrance et les enterrements sont aussi des moments de rencontres, de retrouvailles et de partages. Ayélé, fille de l’ombre est une très belle histoire d’amour.

Traversées Mauritanides : On retrouve dans ce livre de curieuses phrases : « Auguste Durand, mon grand-père, déteste les Noirs et les artistes/ Adèle Durand, ma grand-mère, déteste les Noirs mais aime les scientifiques ». Et vous êtes métisse !

Véronique Ahyi-Hoesle : Oui, Hé ? Les phrases que vous citez sont sur la quatrième de couverture. Il fallait trouver un style percutant qui résume l’histoire, l’esprit du livre, et qui donne l’envie d’aller au texte, le lire. Un ironique percutant !

Traversées Mauritanides : Que représente le métissage pour vous ?

Véronique Ahyi-Hoesle : A titre personnel il représente une vie intéressante, complexe, voire compliquée lorsque je me suis retrouvée dans des milieux hostiles ou carrément racistes. Je pense sincèrement que le métissage est une chance extraordinaire. Nos deux cultures ne nous ancrent pas dans un seul pays ou sur un seul continent. Elles nous apportent une ouverture sur le monde. Le métissage est toujours richesse. Je puis dire qu’il est indispensable aujourd’hui, si l’on en juge les situations de replis.

Traversées Mauritanides : Nous avons évoqué, plus haut, vos pérégrinations. Mais une étape semble toute particulière. Il s’agit de celle de la République Démocratique du Congo. Elle sert de matière à votre second livre, Noire Datura, Portraits du Sud-Kivu. Avec une préface du Docteur Denis Mukwege Mukengere, qui a obtenu le 5 octobre 2018 le Prix Nobel de la Paix !

Véronique Ahyi-Hoesle : C’est un livre composé de 16 témoignages d’hommes et de femmes du Sud-Kivu. J’ai voulu respecter la parité homme-femme mais il est évident que les témoignages des femmes sont beaucoup plus poignants. J’ai donné la parole à des septuagénaires kidnappées quand elles étaient lycéennes par des militaires belges, et abusées après leur avoir fait boire de force un verre de whisky. J’ai rencontré des femmes épuisées, meurtries dans leur âme et dans leur chair. Des femmes sans avenir, ni pour elles, ni pour leurs enfants. Des femmes réduites à se battre chaque jour pour survivre. Des femmes traumatisées par les camps de réfugiés, et qui n’aspirent pourtant qu’à la paix. Ces femmes, et c’est là une chose frappante, ne veulent plus trembler quand leur fille part au champ. J’ai été frappée par la lucidité de ces femmes, par leur spontanéité dans leur récit, par leur détermination à continuer à se battre et par leur fierté.

Traversées Mauritanides : Et le Nobel, alors ? Nous avons entendu bien des … éloges.

Véronique Ahyi-Hoesle : Des propos justes, et sincères. Je suis absolument ravie que le Docteur Denis Mukwege reçoive le Prix Nobel de la paix. Il aurait dû le recevoir bien avant. Il fait un travail fantastique. Il est sincèrement engagé au côté des femmes, et parfois au risque de sa vie.

J’aurai du le rencontrer à Bukavu, mais lorsque le Rv a été confirmé j’étais déjà à Bujumbura, au Burundi où je résidais. Cependant, il a immédiatement accepté de préfacer mon livre. Sans doute parce que je participais, en quelque sorte, à son combat en donnant la parole aux femmes du Sud-Kivu. J’ai visité son centre La cité de la joie qui recueille des jeunes femmes violées et où, chaque semaine, il vient les suivre, leur parler, leur redonner confiance après leurs traumatismes. J’ai été frappée par la beauté et la propreté du centre. Tout a été mis en œuvre pour offrir un sourire et un cadre serein aux victimes. J’ai été frappée par cette bonté du cœur, pour des matraquées du destin.

 

Traversées Mauritanides : Ce prix offre une visibilité au destin tragique de ces femmes, non ?

Véronique Ahyi-Hoesle : Sans doute. Ce double prix Nobel, à lui et à la yézidie Nadia Murad, ex-esclave du groupe État islamique, remet en exergue le sort des femmes détenues par les djihadistes et celui des femmes congolaises victimes d’exactions. Mais pendant combien de temps ? On le sait, une information en chasse une autre. Demain, il y aura d’autres tsunamis, d’autres femmes violées, et les femmes du Sud-Kivu n’intéresseront plus personne. Pourtant elles seront toujours là, vivantes, violées, dans une indifférence générale. Mais c’est une excellente chose que ce prix rappelle, au moins, le combat du Dr Mukwege et l’existence de ces femmes. Maintenant, penser qu’il pourra changer le destin des femmes me semble naïf. Il faudra par contre exhorter à des volontés politiques qui rendraient à la femme sa dignité.

Traversées Mauritanides : Votre père, Paul Ahyi, était un artiste peintre, sculpteur… On lui doit, dit-on, le drapeau du Togo. Votre fille, Caroline Guèye, est aussi une artiste.

Véronique Ahyi-Hoesle : Mon père est effectivement l’auteur du drapeau togolais et de nombreuses œuvres que l’on trouve aussi bien au Vatican qu’au siège des Nations-Unies à New-York. Caroline, ma fille, est aussi artiste. Je pense que l’on pourrait dire artistes de grand-père à petite fille, avec cette autre similitude : l’amour de la physique ! Si Caroline est ingénieure en physique de l’atmosphère, avant de devenir artiste, mon père qui avait fait les Beaux-arts à Paris mais lisait, comme hobby, des traités de physique.

Traversées Mauritanides : Quels rapports entretenez-vous avec le Togo, pays de votre père ?

Véronique Ahyi-Hoesle : Bien qu’une partie de mes racines, je connais très mal le Togo. Je l’ai découvert quand j’étais déjà adulte. Un de mes oncles avait voulu que j’en prenne la nationalité. J’avais refusé, car j’étais en désaccord total avec la politique du président d’alors, Gnassingbé Eyadema.

Traversées Mauritanides : Quels souvenirs gardez-vous de vos pays de résidence ?

Véronique Ahyi-Hoesle : J’ai passé près de 20 ans au Sénégal, je m’y sens chez moi avec des souvenirs et des amis. J’ai aimé le Laos, car c’était la découverte d’un pays asiatique et d’une nouvelle culture. Mais c’est aussi le pays où j’ai perdu mon indépendance, car je n’étais plus habilitée à travailler comme journaliste. Au bout de 3 ans, la spontanéité africaine et les sourires me manquaient. Alors, j’étais très heureuse de retourner en Afrique. Les expéditions m’ont menée en RDC, un pays attachant, au Burundi ; un pays en souffrance que j’ai beaucoup aimé. Et si le Rwanda est moins chaleureux que le Burundi, il impressionne par son développement.

Traversées Mauritanides : Et puis la Mauritanie…

Véronique Ahyi-Hoesle : La Mauritanie n’est pas un pays nouveau pour moi. Le long de mon séjour au Sénégal, j’ai eu l’occasion de venir à plusieurs reprises. Avec les très beaux souvenirs, j’avais envie de revenir. Il est toujours difficile de connaître un pays pour des expatriés, avec notre point vue est biaisé. Cependant, j’apprécie de la Mauritanie sa douceur de vie, la beauté des paysages, l’accueil de la population. Je n’ai pas ressenti de rejet, comme je l’ai ressenti dans d’autres pays. C’est un pays  intéressant, complexe que j’aimerais découvrir davantage.

Propos recueillis par Bios Diallo

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