Nouvelle attaque terroriste au nord du Mali : deux soldats français tués et un blessé. Quelques jours après les frappes «réussies» de la force Barkhane… frappes, attentats, attaques et contre-attaques… C’est ce qui rythme la vie dans le Septentrional malien…La mission de la Force du G5 Sahel s’annonce difficile. Voire impossible.
Mercredi 21 février, quelque part entre Gao et Ménaka, un blindé français en mission explose sur une mine artisanale. Bilan : deux morts et un blessé immédiatement évacué sur l’hôpital le plus proche.
L’émotion est vive en France qui fait le bilan de son engagement au Mali : 21 soldats tués depuis le lancement de l’opération «Serval» en 2013. Serval est devenu «Barkhane», mais cela n’a rien changé à la nature de la confrontation.
Insécurité partout
D’une part, l’Armée française avec ses 4000 hommes disséminés au Mali et autour du Mali (Niger, Burkina Faso, Tchad), en soutien de l’Armée du Mali dont on ne connait pas les effectifs déployés dans la zone où sont déjà installés 13000 soldats de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA).
D’autre part, des dizaines de combattants dispersés dans les campements, villages et villes où ils ont réussi une intégration sociale plus ou moins complète. Ils sont organisés au sein de plusieurs Katibas et Saraya dont les plus en vue se sont rassemblées au sein d’un Groupe pour le soutien de l’Islam et des Musulmans en mars 2017. Il s’agit d’une union entre Al Qaeda au Maghreb Islamique, Ansar Eddine, le groupe du Macina et celui des Mourabitoune.
La naissance du GSIM a été consacrée par un exercice formel de communication où l’on a pu voir et entendre le bureau exécutif du mouvement : Iyad Ag Ghali, Emir d’Ansar Eddine et promu chef du groupe, Djamal Okacha dit Yahya Abul Hammam Emir AQMI au Sahara, Amadou Koufa, Emir de la Katiba du Macina (Peuls), Abul Hassan Al Ansary, représentant de Bellawar et des Mourabitoune à la réunion, et Abu Abderrahmane Sanhaji, Cadi AQMI dont la présence légitime la décision d’un point de vue de la loi islamique.
A cette nébuleuse, excroissance d’Al Qaeda, il faut ajouter le groupe de l’«État Islamique dans le grand Sahara» dirigé par Abul Walid Essahraoui. Ce mouvement marginal, né des divergences au sein des Mourabitoune. Des divergences qui ont donné d’abord le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) puis la création de ce groupe État Islamique dans le grand Sahara (EIGS).
Abul Walid Essahraoui va principalement recruter au sein de l’ethnie Peule «malmenée» par les forces régulières et subissant brimades et exactions au quotidien. Mais il a été rejoint par Sultane Ould Badi, une autre figure du MUJAO qu’il a dirigé pendant sa première période. Avec lui sont arrivées de nouvelles recrues appartenant aux minorités ethniques et tribales de l’Azawad principalement. C’est ce qui permet à ce groupe d’être fortement implanté dans la région de Gao et dans l’est, vers la frontière avec le Niger et le Burkina Faso.
Ce sont bien les éléments du groupe EIGS qui ont tendu une embuscade en novembre dernier à une patrouille nigérienne encadrée par des forces spéciales américaines. Quatre morts au sein de l’équipe américaine et la révélation au monde d’une présence jusque-là discrète, très discrète même.
Comme pour répondre aux récentes sorties des porte-paroles des différents terroristes, le ministère français de la défense a publié un bilan global de ses actions au Sahel. 450 jihadistes auraient été tués depuis 2013 dont 120 rien que l’année passée. 150 jihadistes vivants ont été remis aux autorités du Mali. En février de cette année, trois opérations ont permis de neutraliser une bonne trentaine de jihadistes dont des dirigeants notoires.
Une première opération s’est déroulée dans la localité de Tin Zaouatine, située à cheval entre l’Algérie et le Mali. Les Français avaient visiblement appris qu’une réunion s’y tenait ce jour-là. Ils ont lancé une opération impliquant des forces au sol soutenues par des frappes aériennes. 23 tués parmi les jihadistes.
Selon nos informations, les chefs étaient déjà partis parce que la réunion s’était terminée peu avant l’attaque. Il est néanmoins sûr que les principaux lieutenants d’Iyad Ag Ghali, le chf d’Ansar Eddine, ont trouvé la mort au cours de cette attaque.
C’est le cas du colonel Malick Ag Wanasnat, ancien colonel de l’armée malienne ayant rallié Iyad Ag Ghali qui l’a désigné coordinateur de l’aile sud d’Ansar Eddine. Une autre victime du raid : Sidi Mohamed Ag Bouganna, Imam et prédicateur populaire en milieu Ifoghas et son frère dont on ignore le nom. Cette mort pourrait avoir des conséquences contreproductives sur les relations avec les Ifoghas au regard de la notoriété de l’Imam en question.
Des informations font état de la mort de Hassan Al Ansari, redoutable chef de guerre et de Tariq Al Jaza’iri, grand spécialiste en explosifs.
Quelques jours après – 17 février – une opération devait permettre l’élimination du chef militaire Ansar Eddine Abdalla Ag Ofta et de son bras droit Agnim Ag Malick.
Ces frappes sont d’autant plus importantes qu’elles arrivent alors que les jihadistes essayent de se réorganiser pour faire face au déploiement de la Force conjointe. On dit d’ailleurs que la réunion de Tin Zaouatine était destinée à préparer la riposte en cas de déploiement des cinq mille hommes prévus.
Il a été question de la Mauritanie au cours de cette réunion. En effet, la question de savoir s’il faut continuer à «laisser ce pays tranquille» ou «s’il faut anticiper son intervention auprès des autres», est posée.
Elle oppose d’une part Yahya Abul Hammam qui défend la nécessité d’attaquer la Mauritanie avant qu’elle n’intervienne ne serait-ce que pour l’en dissuader ; et d’autre part Iyad Ag Ghali arguant que tant que la Mauritanie n’a pas attaqué les groupes au Mali, il n’y a pas lieu de la provoquer pour le faire. Le souvenir des interventions mauritaniennes en 2010-2011-2012 restant vivace dans les esprits des leaders d’AQMI.
Pendant ce temps, le montage de la Force conjointe se poursuit avec notamment la réunion de haut niveau de Bruxelles qui s’est tenue ce 23 février. Réunissant un ensemble de donateurs dont l’Union Européen, elle a permis de monter le montant de la cagnotte à 414 millions d’euros.
«Le prix de ne pas avoir la paix se paie chaque jour», a martelé Mme Mogherini, la commissaire européenne. Ce à quoi a répliqué Moussa Faki Mahamat, son homologue de l’Union Africaine en disant qu’«il faut éviter que le Sahel ne devienne un sanctuaire pour les groupes jihadistes car le Sahel c’est la porte à côté de l’Europe».
De son côté, le président en exercice du G5 Sahel, le nigérien Mahamadou Issoufou devait souligner : «le combat que nous menons contre le terrorisme au Sahel, nous le menons aussi pour le reste du monde. Pour cette raison, l’Union Européenne et la communauté internationale doivent être solidaires».
Par ailleurs et pour donner le la, la France et l’Allemagne ont sensiblement augmenté leurs contributions bilatérales en aide au développement : 1,7 milliard euros pour l’Allemagne et 1,5 pour la France.
Restent posées des questions légitimes notamment sur la pérennisation de cet effort de guerre. En effet, le budget mobilisé ici est destiné au lancement de la Force conjointe, pas à son fonctionnement permanent. Comment faire pour chiffrer et rassembler le financement de l’effort au moins sur les cinq premières années ? Le président en exercice du G5, le nigérien Mahamat Issoufou a bien dit que «480 millions d’euros sont nécessaires pour la première année, mais 75 millions d’euros devront ensuite être mobilisés chaque année, en sachant que nous ne savons pas combien de temps va durer ce combat».
Deuxième question non moins importante, c’est celle qui concerne la gestion du pactole. Non seulement au stade de l’identification des besoins, mais aussi celle de la réalisation des marchés.
On sait déjà qu’au moins 7% de la contribution européenne iront obligatoirement à France Expertise, une entreprise française dont on ignore tout de l’activité dans le Sahel.
On sait aussi qu’une grande partie, voire les 90% des financements obtenus iront aux entreprises européennes, principalement françaises, dans les études, les consultations et les achats de matériels souvent surfacturés. Les Etats du Sahel auront juste le devoir de bénir.
Dernière question de fonds est liée aux décaissements, les procédures européennes étant ce qu’elles sont.
En plus de ces questions, arrivera certainement le moment où les cinq armées devront se faire la leçon pour instaurer un climat de confiance à même de permettre la coordination des actions.
Première exigence stratégique pour assurer le bon déroulement des opérations communes : rétablir la confiance avec les populations civiles pour en faire des alliés et non des ennemis comme c’est le cas. Cela demande une refonte de la manière de faire et une moralisation des relations civilo-militaires ou, comme on dit dans le jargon, des «actions civilo-militaires».
Sans l’alliance des populations et leur soutien, la mission de la Force conjointe, de la MINUSMA et de Barkhane relève de l’impossible.
Ould Oumeir
(La Tribune)