Les réunions annuelles des Comités intergouvernementaux de hauts fonctionnaires et d’experts ((CIHFE) pour l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest qui ont démarré hier à Accra se sont penchées sur la sécurité alimentaire dans les deux régions et sur les bases, les défis et les perspectives de la transition et du mix énergétiques.
L’Afrique, force motrice de la solution à la sécurité alimentaire
Ainsi, la première séance de discussion a porté sur comment repenser la sécurité énergétique face aux défis du changement climatique, avec comme exemples pratiques les cas du Ghana et du Maroc.
Pour camper le décor les directrices des bureaux de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, respectivement Zuzana Schwidrowski et NGoné Diop ont introduit les débats.
Pour Zuzana il s’agit pour les deux bureaux de réfléchir sur ces problématiques, de dégager les solutions, d’encourager les perspectives régionales et la coopération entre les deux zones.
S’agissant de la situation actuelle de la sécurité alimentaire dans la région d’Afrique du Nord, la directrice du bureau a affirmé qu’il y a 6 pays à revenu moyen plus le Soudan qui est en situation d’urgence alimentaire.
Elle a aussi fait état d’une transition alimentaire avec l’introduction et la consommation de nouveaux aliments nuisibles à la santé. Et pour Zuzana Schwidrowski, l’Afrique doit être la force motrice de la solution.
Dans ses remarques préliminaires, NGoné Diop a affirmé qu’il y a des vérités approuvées faisant allusion au paradoxe de l’abondance. En effet en Afrique de l’Ouest souligne-t-elle on compte plus de 300 jours de soleil, 10 aquifères et 65% des terres arables du monde. Mais cette région a toujours du mal à traduire cette abondance au profit des populations.
Sur le plan de l’approvisionnement en énergie la directrice du bureau d’Afrique de l’Ouest a noté que des pas ont été franchis avec l’existence d’une politique régionale en énergies renouvelables au niveau de 10 pays de la région. Mais il convient selon elle de mener des politiques innovantes en s’appuyant sur la technologie ; développer les infrastructures en appuyant les différents pays ; développer la chaîne de valeur agricole en introduisant la diversification des cultures.
Il y a aussi la mobilisation des ressources. Ainsi pour Mme Diop il faut coûte que coûte réaliser le triptyque énergie renouvelable/Sécurité alimentaire et investissements.
La transition énergétique est une nécessité mondiale
Dans sa présentation de la transition énergétique à la lumière du changement climatique, Kodjo Esseim Mensah-Abrampa Directeur général de la Commission nationale de planification du développement du Ghana a noté d’emblée que le taux d’émission de gaz à effet de serre est faible en Afrique mais que la plupart des pays à risques menacés par les changements climatiques se trouvent en Afrique. On compte 9 pays au total dont la Mauritanie.
Il a affirmé que l’impact des changements climatiques sur le PIB est énorme.
Actuellement le message au niveau mondial est le suivant : Il faut une transition énergétique. Mais la question qui se pose est comment faire moins d’émissions de gaz et à quel rythme ?
Il y a des investissements dans les énergies renouvelables mais la tendance reste faible, déplore le conférencier.
La situation est difficile et on est encore loin des objectifs de l’Agenda 2063 qui prévoit des objectifs économiques et sociaux ayant trait à la sécurité alimentaire, au niveau de vie, à l’accès à l’électricité…
Aujourd’hui 98 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à l’électricité et il y a une grande fracture entre le monde rural et les villes.
Le conférencier a aussi souligné les défis actuels avec les besoins d’approvisionnement en hydrocarbures.
Le paradoxe est que l’Afrique a besoin d’un potentiel énorme en électricité soit 1250 Gigawatts d’ici 2030 et 2050 Gigawatts seront nécessaires d’ici 2050.
Parlant des richesses du continent dans ce domaine, le conférencier a évoqué le cas de minerais essentiels en Afrique Centrale et de l’Ouest. Ainsi, au Mali et en Guinée on trouve le Lithium ; d’où la nécessité de développer les chaînes de valeur sur le continent. Et les financements privés seront nécessaires.
En conclusion, le conférencier note que le cas de l’Afrique est dramatique au vu de l’augmentation de la population mondiale en 2050, avec 2,5 milliards d’individus de plus.
Les intervenants ont tous abondé dans le même sens soulignant les difficultés énormes auxquelles fait face tout le continent. Ainsi pour atteindre les ODD, l’Afrique aura besoin de 3000 Milliards de dollars.
Pour certains, la mobilisation des ressources domestiques est essentielle pour financer le développement.
Pour d’autres, la question de la transition énergétique ne peut pas avoir une solution globale. L’Afrique n’étant pas homogène et les coûts étant différents il convient d’avoir pour ce faire des plans de transition spécifiques.
La sécurité alimentaire en Afrique a fait l’objet de 3 présentations dont celle de Amal El Beshbishi sous le thème : « Sécurité alimentaire en Afrique : tendances et politiques ».
La conférencière a mis en avant le prix du coût de la vie, les perturbations liées au changement climatique ainsi que la guerre et l’insécurité qui a déstructuré le mode de vie de milliers de personnes.
Selon Amal, tous les pays africains doivent donner la priorité à une production agricole durable. Elle a abordé l’approche régionale et les modalités d’amélioration de la sécurité nutritionnelle. Et pour elle, il est impératif de changer les états d’esprit et passer des interventions ponctuelles à court terme vers des interventions à long terme tendant vers la durabilité.
Le taux de personnes malnutris en Afrique est anormalement élevé et 690 à 740 millions de personnes dont une majorité de femmes se couchent tous les jours sans manger. Il s’agit là d’une bombe à retardement, prévient la conférencière qui précise que 130 millions de personnes ont été touchées par la famine suite au Covid. C’est dire qu’on est encore loin du compte s’agissant de l’atteinte des objectifs de l’ODD N°2 qui vise à éliminer la faim.
Dans ses recommandations la panéliste préconise d’améliorer la coopération régionale grâce à la ZLECAf pour mettre en œuvre la vision selon laquelle l’Afrique doit nourrir l’Afrique. ; créer une banque agricole qui appuie les PME ; accompagner la création et la mise en œuvre d’un atlas de complémentarité agricole et intensifier les investissements publics et privés dans le secteur agricole.
Autre présentation sur la thématique, celle de l’Économiste Samia Hamouda qui a abordé un cas pratique avec « les impacts de la guerre sur la sécurité alimentaire et l’économie en Tunisie ».
Samia a rappelé qu’au moment où la population tunisienne a triplé depuis 1966, les superficies cultivables n’ont que peu évolué.
Elle a abordé la question dans le contexte d’une production fluctuante au gré des saisons et donc très volatile.
La production est déficitaire. De ce fait la part des importations est très élevée avec 93% d’importation pour le blé tendre ; 67% pour l’orge. Le poids de la guerre Ukraine/Russie s’est fait ressentir car en 2021 c’est de là que provenaient les 60% des besoins du pays.
Donc la Tunisie était fortement impactée par la guerre. A cela s’ajoutent le déficit budgétaire et la dépréciation du dinar. En effet ce pays n’a pas pu atteindre l’équilibre céréalier et il n’avait pas la possibilité de combler le gap en produits de première nécessité.
Ainsi, avec l’augmentation du coût budgétaire, la situation du pays est très difficile. La hausse du prix du transport à cause de celui de l’énergie a eu un impact négatif sur le budget de l’État.
La conférencière a fait une démonstration en partant de l’hypothèse zéro avant la guerre.
Elle a souligné l’importance des subventions en Tunisie, des subventions qui pèsent lourd sur le budget de l’État d’où la nécessité de réformer le système.
La maîtrise de l’inflation est une priorité pour le pays. En 2022 le taux était de 9% et en 2023 il est passé à 10%.
Quant à la monnaie elle a été dépréciée de 30% ces trois dernières années.
Et pour renverser la tendance on doit opter pour une indexation des salaires à la productivité et une réduction du taux de dépendance du pays à 35% en 2035. Il convient également de maîtriser la demande et de revoir le cadre législatif en tenant compte de la libéralisation et la digitalisation.
Enfin la nécessité, selon la conférencière, de repenser la politique agricole qui date de l’indépendance du pays.
Des débats entre experts ont suivi ces différentes présentations et des questions sont demeurées pendantes comme celle qui s’interroge sur laquelle de la sécurité alimentaire et de la souveraineté alimentaire doit être ciblée ?
Bakari Gueye/Accra