La capitale ghanéenne abrité ce matin le lancement des travaux de la seconde réunion conjointe des Comités intergouvernementaux de hauts fonctionnaires et d’experts ((CIHFE) pour l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest. Cette réunion est la seconde du genre après celle tenue à Marrakech l’année dernière.
Cette session se déroule du 1er au 3 novembre 2023 à Accra sous le thème « Investir dans la transition énergétique, la sécurité alimentaire et les chaînes de valeurs régionales en vue d’un développement durable en Afrique du Nord et de l’Ouest ». Parallèlement à cette rencontre, une réunion d’experts se tiendra du 1er au 2 novembre sous le thème « Transition vers les ressources renouvelables pour l’énergie et la sécurité alimentaire en Afrique du Nord et de l’Ouest ». Ces deux rencontres sont l’occasion de se pencher sur des problématiques pressantes affectant les deux régions, dont les modalités de renforcement de la sécurité alimentaire, d’accélération de la transition énergétique et le développement des chaînes de valeur régionales.
Discours officiels
Dans un mot de bienvenue prononcé pour la circonstance, le Directeur général de la Commission nationale de planification du développement du Ghana, et Président du Bureau sortant du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique de l’Ouest, Kodjo Esseim Mensah-Abrampa a exprimé la reconnaissance de son pays pour abriter cette 26ème session du Comité Intergouvernemental d’Experts (CIE)-la 38ème pour le CIE d’Afrique du Nord-. Il a souligné la pertinence des thèmes choisis soulignant au passage les grands défis environnementaux auxquels font face les deux régions, des problèmes exacerbés par la crise du Covid et la guerre Russo-Ukrainienne.
Et Mr Kodio d’ajouter qu’au niveau du bureau d’Afrique de l’Ouest des efforts sont entrepris pour faire face à tous ces problèmes et notamment la question du dividende démographique. Des recommandations pertinentes sur ce plan, issues des forums du Niger en mars dernier et de la réunion de Dakar en juin seront mises en œuvre a-t-il affirmé.
Un débat opportun
Pour sa part Stephen Amoah, Vice-ministre Ghanéen du Commerce a affirmé que les problèmes de la sécurité alimentaire, celui de l’énergie et du développement des chaînes de valeur régionales constituent un débat opportun. « Des étapes décisives ont été franchis par nos pays et nous devons poursuivre cet effort dans ces différents domaines » a-t-il recommandé. En 2022 plus de 20 millions de personnes dont 10 millions d’enfants ont été affectés par des pénuries alimentaires. Et la sévérité des chocs climatiques a entravé les efforts pour investir à long terme dans des solutions résilientes en matière de sécurité alimentaire, a noté Mr Amoah qui invite à l’optimisme car explique-t-il malgré les épidémies d’Ebola et du Covid nos économies ont fait preuve de résilience. Le ministre a donné l’exemple du Ghana qui a connu un renouveau et une nette amélioration qui a permis de respecter les engagements du pays envers le FMI. « Nous nous focalisons sur la relance économique et la reprise du secteur privé d’où la nécessité d’améliorer les chaînes de valeur et de soutenir la compétitivité en matière de commerce pour faire face à la mondialisation. »
Au sujet de la transition énergétique M.Amoah a souligné le grand déficit du continent et des 2 régions en matière d’énergie. Dans le monde rural seuls 20% des ménages ont accès à l’électricité. Il préconise d’y remédier en mettant à contribution le grand potentiel existant et en assurant un accès à une énergie à bas carbone.
En conclusion le Vice-ministre Ghanéen du commerce a déclaré : « Nous sommes engagés à faire aboutir une transition vers une énergie propre pour un avenir durable. Le Ghana est engagé dans le commerce des crédits Carbone afin d’atténuer les effets des changements climatiques. Cela implique des bénéfices socio-économiques mais requière des approches adaptatives.
Nous devons adopter une position commune dans le cadre du travail accompli par le CIE. Notre détermination collective à trouver des solutions durables est forte et l’Afrique pourra réaliser ses ambitions. Et les idées avancées dans cette réunion vont y contribuer. Nous devons être l’écho de 1,4 milliard d’Africains. Nous devons retrouver notre propre humanité et façonner l’Afrique que nous voulons. »
Un contexte particulier
A son tour Cheikhna Cheikh Ahmed Beddad directeur général du Ministère des affaires économiques et du développement durable de Mauritanie et Président du Bureau sortant du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord, a après avoir remercié les autorités ghanéennes et la CEA pour son soutien aux pays membres, souligné l’importance de ces assises. « Nos réunions se tiennent aujourd’hui dans un contexte international particulier où l’économie mondiale demeure fragilisée par la pandémie du COVID-19 et la guerre en Ukraine, qui ont entraîné une hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie impactant, ainsi l’ensemble des facteurs de production. Aussi, les changements climatiques ont entraîné des répercussions démesurées sur les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest. »
Le représentant de la Mauritanie a noté que : « Le thème qui sera abordé occupe une place centrale dans le développement durable de nos sous régions. Les défis sont énormes et multiples passant de l’alimentaire, à l’énergie, au Capital humain et à la problématique du développement des chaînes de valeur. »
« C’est pourquoi a-t-il poursuivi, les objectifs que nous fixons sont au cœur des Objectifs de développement durable (ODD) fixés à l’échéance 2030. L’atteinte des objectifs requiert, de mettre l’accent au cours des prochaines années, sur des actions concrètes notamment : relever les défis de la sécurité alimentaire ; promouvoir les chaînes de valeur et accélérer la transition énergétique.
En effet, le phénomène de la désertification qui est une conséquence de la sécheresse affecte aujourd’hui une proportion importante de la population mondiale. Si la dégradation des terres se poursuivait au rythme actuel, on prédit que le rendement des récoltes serait réduit d’une proportion importante, ce qui aurait un impact significatif sur la sécurité alimentaire et aggraverait la pauvreté et la malnutrition.
Il faudrait absolument trouver les moyens pour inverser cette tendance et remédier aux causes de la désertification, profiter des sources d’énergie renouvelables et rehausser notre participation en amont dans les chaines de valeurs. »
Et le Président du Bureau sortant du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord de conclure en affirmant que : « Les résultats de nos sous régions que vous allez discuter ici à Accra et les recommandations vont dessiner la trajectoire de nos ambitions et les orientations stratégiques requises pour le développement de nos pays. »
Échanger et partager les meilleures pratiques
Dans son intervention le Coordonnateur Résident des Nations Unies pour le Ghana Mr Charles Paul Iheanacho Abani a affirmé d’emblée que cette réunion permettra d’échanger et de partager les meilleures pratiques sur des questions importantes telles que la transition énergétique avec un grand déficit qui affecte plus de la moitié du continent africain.
Il a ajouté que l’Afrique a investi substantiellement dans le cadre de l’Agenda 2030 pour réaliser les ODD. Beaucoup de pays ont été affectés par les crises et la problématique du surendettement.
Selon le Représentant des Nations Unis au Ghana, le monde a besoin de 6,9 trillions pour réaliser les ODD. Et d’autres investissements seront dit-il, nécessaires pour réaliser les besoins économiques et sociaux des populations. La réalisation des ODD est entravée par la pauvreté et l’utilisation des ressources disponibles pour le service de la dette. Cette spirale risque de compromettre tous les efforts et conduire à l’instabilité, souligne Mr Charles.
Créer une plate-forme de réflexion sur les grands problèmes du continent
Mme Ngoné Diop Directrice du Bureau sous-régional de la CEA en Afrique de l’Ouest a remercié le Ghana pour son appui à la résilience et au développement de l’Afrique. Elle s’est également félicitée de la réunion statutaire conjointe qui est fondée sur l’idée de créer une plate-forme de réflexion sur les grands problèmes du continent.
Selon Ngoné l’économie africaine fait face à des tendances négatives qui ont constitué des freins pour la réalisation des 17 ODD dans ces deux régions. Elle a évoqué la question de la dette et la dévaluation des devises exprimant le souhait d’une réforme des institutions de Bretton Woods.
Parlant de l’insécurité alimentaire elle affirme qu’elle touche 20% des populations du continent. C’est dit-elle un problème structurel.
La directrice du bureau Afrique de l’Ouest a aussi souligné la nécessité de mobiliser les ressources domestiques pour mettre en œuvre l’agenda de développement. En 2021 l’allocation du budget à la sécurité alimentaire était en deçà de 10%.
Autre impératif : accélérer l’accès à l’électricité. En effet en Afrique de l’Ouest seuls 40% des ménages ont accès à l’électricité dont 9% seulement viennent des énergies renouvelables. C’est là souligne-t-elle le chiffre le plus faible du monde.
Mme Diop a rappelé que le Pacte de Solidarité Climatique des Nations Unies demande des efforts pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et accompagner les pays pauvres vers la transition énergétique.
Imaginer des solutions tangibles
Mme Zuzana Schwidrowski Directrice du Bureau sous-régional de la CEA en Afrique du Nord a affirmé que l’année 2023 a vu une croissance de la cherté de la vie en raison des conséquences des crises successives, illustrées notamment par la hausse des prix alimentaires et les prix de l’énergie, l’augmentation des coûts d’emprunt et du service de la dette.
À cela s’ajoutent les défis posés par le changement climatique, qui continue de toucher les pays des deux régions de manière disproportionnée.
Pour Mme Zuzana, l’intention de cette CIE ministérielle, avec les experts, est d’imaginer des solutions tangibles pour nos régions afin de ne pas perdre les reprises économiques déjà enregistrées et de relever les grands défis structurels alimentaires et énergétiques auxquels sont confrontés les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest, qui ont été exacerbées par les multiples crises actuelles, et d’explorer les opportunités de création de chaînes de valeur en réponse à ces défis ; en tenant compte des effets multiplicateurs de la sécurité alimentaire et énergétique sur tous les ODD.
Selon la directrice du Bureau de la CEA en Afrique du Nord, malgré l’assouplissement des restrictions liées au COVID-19, la réouverture des économies et les interventions ciblées des pays, l’économie africaine a enregistré une chute drastique de sa croissance estimée à 3,5% en 2022, principalement en raison de l’impact du conflit russo-ukrainien sur l’alimentation et les prix de l’énergie et les effets négatifs persistants du changement climatique, contrairement à la hausse de 6,9% en 2021, due à la reprise économique post-pandémique.
Pour l’année 2023, la croissance devrait être de 3,4% avant de revenir à 3,5% en 2024, bien en deçà des 7% requis pour atteindre les ODD d’ici 2030. En ce qui concerne les 2 régions, la croissance en Afrique de l’Ouest devrait légèrement baisser à 3,8% en 2023, tandis qu’en Afrique du Nord la croissance devrait légèrement augmenter à 3,3% en 2023.
Selon Zuzana, les défis en matière de sécurité alimentaire persistent. La situation d’insécurité alimentaire dans les deux sous-régions a été exacerbée à la fois par la pandémie de COVID-19 et par la crise Russo-Ukrainienne. En Afrique, ces deux chocs ont entraîné une baisse globale de 0,8 % de la productivité du travail agricole, les pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest connaissant la baisse la plus forte. Ces chocs continuent également d’alimenter les prix alimentaires mondiaux et africains et l’inflation mondiale, même si une légère tendance à la baisse a été enregistrée depuis le niveau record enregistré en mars 2022. À l’échelle mondiale, la proportion de personnes vivant avec la faim est passée de 8,0 % à 9,2 % entre 2019 et 2022.
Cette proportion était d’environ 20 % en 2022 en Afrique, faisant du continent la région la plus durement touchée. Des données récentes publiées en juin 2023 montrent que près de 48 millions de personnes seraient menacées par la crise alimentaire et nutritionnelle au Sahel et en Afrique de l’Ouest pendant la période de soudure. Ce niveau est cinq fois supérieur à celui d’avant le lancement des ODD en 2014.
Au sujet des chaînes de valeur régionales et l’industrialisation durable Zuzana a souligné que la promotion des opportunités de chaînes de valeur régionales et d’une industrialisation durable sont essentielles pour accélérer le rythme de la transformation structurelle et de la diversification économique et des exportations.
Une étude récente de la CEA sur les chaînes de valeur régionales indique qu’une augmentation de 1 % du commerce au sein des chaînes de valeur contribue à augmenter le revenu par habitant d’un pays de plus de 1 %, soit presque le double du gain provenant du commerce en dehors des chaînes de valeur.
Entre 2015 et 2019, les pays d’Afrique de l’Ouest avaient, en moyenne, une participation annuelle en amont aux chaînes de valeur mondiales de 39,2 % de la valeur ajoutée exportée, et une participation annuelle en aval aux chaînes de valeur mondiales s’élevant à 14,5 % de la valeur ajoutée exportée.
Pour l’Afrique du Nord, sur la période 2000-2019, la participation en aval représentait 80 % du total des chaînes de valeur mondiales (CVM), tandis que la participation en amont représentait en moyenne 20 % de la participation totale aux CVM.Cependant, la participation du Nigéria en amont représente à elle seule près des 2/3 de la participation de l’Afrique de l’Ouest aux chaînes de valeur mondiales. Cela est dû à la dépendance du pays à l’égard des exportations de produits pétroliers, qui représentent environ 90 % de ses recettes totales d’exportation.
Après les discours officiels, le renouvellement des 2 bureaux et l’adoption de l’ordre du jour les travaux du groupe spécial d’experts ont été ouverts avec à la clé plusieurs présentations tournant autour des thèmes retenus.
Notons que les participants examineront les rapports statutaires produits par les deux bureaux, partageront leurs expériences, meilleures pratiques et leçons apprises et contribueront au renforcement de la coopération entre les pays et les deux sous-régions en général. Les travaux se tiennent avec la participation de hauts fonctionnaires et représentants des pays membres de la CEA en Afrique du Nord et de l’Ouest, des experts, des représentants de communautés économiques régionales, d’agences des Nations Unies, de partenaires de développement et d’organisations non gouvernementales.
Nous y reviendrons.
Bakari Gueye/Accra