La Plateforme franco-africaine Médias & Démocratie a organisé à Nouakchott les 22 et 23 juin courant un séminaire sur « Éthique et déontologie journalistiques à l’heure du numérique ».
Ce séminaire s’inscrit dans le cadre du projet RIMédi@s porté par l’ambassade de France en Mauritanie et qui vise à appuyer les actrices et les acteurs de l’écosystème médiatique mauritanien.
L’ouverture officielle s’est déroulée en présence de représentants de l’ambassade de France.
En introduction, Olivier PIOT Directeur exécutif de Médias & Démocratie a présenté l’organisation en revenant sur son rôle, son identité et ses missions et sur les piliers du journalisme.
Il est ensuite revenu sur la différence entre l’information et la communication insistant sur la mission du journaliste qui est d’informer juste et vrai et de manière désintéressée et sur l’importance de la fiabilité de l’information avec le minimum qu’on doit au citoyen.
Au cours des 2 jours de travail les participants répartis en ateliers ont réfléchis sur plusieurs problématiques.
Faut-il revenir aux fondamentaux de l’éthique des journalistes ?
Au 1er jour les membres des 2 groupeS ont planché sur les problématiques de l’Atelier 1 : « Faut-il revenir aux fondamentaux de l’éthique des journalistes ? » et de l’Atelier 2 : « En quoi le numérique change-t-il l’éthique de la production de l’information ? »
Les travaux ont été supervisés par Amadou SY, journaliste mauritanien et directeur pays de Medias et Démocratie (M&D) et Nicole CHAVRANSKI, journaliste Française.
Avant d’aller en atelier les participants avaient été mis dans le bain par les formateurs.
D’abord concernant l’atelier 1, Nicole avait planté le décor en commençant son propos par une citation de Edwy Plennel dans les Cahiers du Journalisme 2021. Pour elle il convient de retenir que l’éthique doit être la boussole de la morale des journalistes. Elle a rappelé les valeurs fondamentales du métier de journaliste (exactitude, indépendance et traitement responsable de l’information) ; respect de l’éthique qui est suscite la confiance du public. Elle a souligné que le journaliste a tendance à perdre son statut de médiateur et d’informateur privilégié du public.
Nicole a aussi parlé de l’importance de l’éducation Medias pour les jeunes notamment afin de leur permettre de se repérer dans le chaos né de l’explosion des Réseaux Sociaux.
Au cours de la discussion des membres du groupe sur les fondamentaux de l’éthique des journalistes beaucoup d’idées ont été avancées, entre autres l’importance pour le journaliste de se baser exclusivement sur les faits.
Beaucoup d’errements ont été soulignés à travers le diagnostic de la presse en Mauritanie, au Cameroun et dans une moindre mesure au Burkina Fasso (précarité, journalistes qui deviennent des chasseurs de primes, absence d’autorités de régulation fiables, peu ou pas d’autorégulation, influence du pouvoir, manipulation des journalistes…)
Avec une Société Civile et des institutions de presse solides le Burkina Fasso se présente plutôt bien grâce à l’existence de l’Observatoire des Medias qui jouit de l’indépendance et qui a de l’impact.
Parmi les difficultés soulevées il y a les problèmes de formation sur l’éthique et la déontologie, la responsabilité des journalistes face au non accès de certaines communautés à l’information….
Face à tous ces problèmes des pistes de solutions ont été préconisées.
D’abord la nécessité d’explorer 2 axes de solutions à savoir communauté et responsabilité individuelle ; ensuite la nécessité d’encourager l’autorégulation car il n’y a pas grand-chose à attendre de l’Etat.
Il a aussi été préconisé d’explorer les pistes d’ordre institutionnel et juridique (pour la Mauritanie par exemple exécuter les recommandations de la Commission de Réforme de la Presse et mettre à niveau les institutions de formation (ENJAM).
Il convient aussi de mutualiser les efforts, s’employer à faire du plaidoyer et du lobbying et avoir des valeurs en harmonie avec l’éthique professionnelle.
En quoi le numérique change-t-il l’éthique de la production de l’information ?
Dans sa présentation préliminaire Sy Amadou a souligné l’émergence de plusieurs acteurs nouveaux dans le champ médiatique (blogueurs, internautes et autres mercenaires de tout acabit).
Cette situation a dit-il provoqué une crise éthique et se traduit par l’extinction des rédactions traditionnelles. Cela se manifeste par des changements majeurs. En effet, le numérique a bouleversé la pratique journalistique et on assiste à beaucoup de dérives : le copier-coller, le colportage des rumeurs et le plagiat sont devenus monnaie courante.
Plusieurs autres idées ont jaillies de la discussion autour de cette intrusion du numérique.
A la question qu’a-t-il changé au niveau du travail des journalistes, les avis des uns et des autres étaient proches. Le numérique a beaucoup d’avantages mais aussi des inconvénients.
Avec le numérique l’information est instantanée et accessible au plus grand nombre. On note une inflation de l’information avec un flux énorme de données ainsi qu’une démocratisation de l’information.
Il y a aussi l’émergence de certains acteurs ayant parfois un impact positif et apportant une plus-value (journalistes citoyens comme en Tunisie et lanceurs d’alertes).
Le journaliste a beaucoup d’outils à sa disposition. Mais il y a le côté sombre du tableau : prolifération de la désinformation, grande entorse sur le plan éthique (titres pompeux et souvent trompeurs) ;information au rabais (style approximatif, orthographe et syntaxe qui laissent à désirer…
Beaucoup de défis sont ainsi à relever (formation sur les nouveaux outils, sur le datajournalisme, la sécurité numérique…)
Autre question débattue dans le cadre du second atelier : Comment en tant que journaliste on doit se positionner par rapport aux autres acteurs ?
Sur cette question on a souligné la nécessité de réfléchir sur les formats et les contenus et de mutualiser les efforts.
Les journalistes doivent cultiver la qualité et l’excellence pour faire la différence. Le journaliste doit aller sur le terrain et chaque media doit identifier son public et agir en conséquence.
Il y a aussi la nécessité de penser le modèle économique. Les journalistes doivent prendre l’initiative eux-mêmes. Des exemples ont été donné à ce sujet.
Le cas de « Intifada » un media en ligne en Tunisie qui s’est orienté vers un contenu spécialisé de qualité.
Idem pour OuestAf basé à Dakar et leader de l’information stratégique sur l’Afrique de l’Ouest.
Modèle économique/Code déontologique
Au cours de la 2ème journée du séminaire, les participants étaient appelés à réfléchir sur les solutions concernant le modèle économique ainsi que sur la rédaction d’une nouvelle charte déontologique.
Sandrine Sawadogo a dévoilé à cette occasion l’exemple de l’Economiste du Fasso, un hebdomadaire qui marche et qui a réussi en 10 ans à créer un modèle économique fiable.
Les débuts furent difficiles pour le journal et durant les 3 premières années il travaillait à perte. Il s’agissait de se faire connaître d’abord et de se faire une place au soleil. Il s’agissait de travailler sur la qualité. Et au bout de 3 ans il y a eu une ouverture vers les institutions étatiques (abonnements au niveau de la capitale et des provinces de l’intérieur du pays). 3ème étape démarche vers les partenaires extérieurs. Et depuis 2 ans, le journal s’est lancé dans les études et l’obtention des contrats.
Avec ce modèle économique, l’Economiste du Fasso a aujourd’hui un budget salarial de 7,2 millions de FCFA pour ses 15 employés.
Le journal est dorénavant associé avec les Partenaires Techniques et Financiers. Il tend vers la diversification de son offre et de ses contenus. Et les choses marchent malgré la pression du service des impôts.
Autre modèle il s’agit de celui de Dash Media au Cameroun présenté par notre confrère Sah Terence.
Le groupe Dash Media dispose d’une radio et d’une télévision. Et c’est le promoteur lui-même qui finance grâce à son positionnement sur le marché de la publicité où il s’en tire plutôt bien. Ainsi grâce à son entreprise de publicité qui va au-delà des frontières (présence au Gabon), il finance sa télévision.
Des opportunités de financement existent aussi à travers le centre pour le journalisme indépendant basé en Roumanie. Ce centre dispose d’un grand budget (350 millions d’euros) pour soutenir les medias indépendants.
Au Cameroun on compte 650 journaux, 50 chaînes de télévision et 250 radios mais malgré cette pluralité on ne compte que 15 medias professionnels indépendants qui si ils s’organisaient et mutualisent leurs efforts pourraient avoir accès à l’argent du centre roumain, note Térence.
En Mauritanie les hommes d’affaires sont peu présents dans le financement des medias. Quelques rares modèles comme celui de Essahra et Alakhbar arrivent à tirer leur épingle du jeu.
Rédaction d’un code d’éthique et de déontologie
Dans un ultime exercice les membres des 2 groupes ont planché sur la rédaction d’un code d’éthique et de déontologie qui pourrait sous-tendre un journalisme de qualité.
Ce code devrait se baser sur les principes suivants :Vérité, objectivité, exactitude ; Indépendance et neutralité ; Intégrité ; Protection des sources ;Responsabilité ; Rigueur ; Incorruptibilité ; Eviter le plagiat ; Respecter le droit à l’image ;Mettre en avant l’intérêt général.
A la fin des travaux en atelier une séance de restitution a permis aux participants au séminaire de débattre et d’échanger les points de vue sur les résultats de deux jours de fructueux débats.
Notons que ce séminaire a réuni vingt-cinq participants, dix-huit journalistes mauritaniens ainsi que 5 journalistes venus d’autres pays d’Afrique (Sénégal, Burkina Faso, Gabon et Cameroun).
Bakari Gueye