La dernière réunion du Comité d’experts de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) à Marrakech s’est beaucoup apesanti sur la question des Chaînes de valeur.D’après une note conceptuelle élaboré par la CEA , les Chaînes de Valeur Mondiales (CVM) représentent une part importante du commerce mondial puisqu’environ 70% du commerce international implique aujourd’hui des chaînes de valeur mondiales, selon l’OCDE. Ces échanges concernent les services, les matières premières, les pièces et les composants qui traversent les frontières – souvent de nombreuses fois. Une fois incorporés aux produits finis, ils sont expédiés aux consommateurs du monde entier.
L’estimation du contenu en importations des exportations est également un indicateur du développement considérable des CVM dans l’économie globale actuelle.
Durant les deux dernières décennies, on a assisté à une baisse sans précédent des coûts de transports, une réduction des barrières douanières et une intégration plus poussée des économies du monde. Ces évolutions, accompagnées d’un développement rapide des technologies de l’information, ont favorisé l’éclatement des processus de production parmi des pays à des niveaux de développement différents.
La fragmentation verticale des étapes de production est au cœur du cette évolution. Elle invite à une maitrise absolue des réseaux mondiaux de circulation de biens et services pour une maitrise des coûts et délais. Le poids pris par les grandes multinationales dans l’économie mondiale, et notamment celles présentes dans le secteur des nouvelles technologies de communication, a contribué à ce développement (Del Prete, Giovannetti et Marvasi, 2016).
Les pays en développement ont bénéficié de cette évolution positive des CVM, en intégrant des processus de production de biens et d’exploiter au mieux certains de leurs avantages comparatifs. Ces derniers seraient restés inexploités sans cette segmentation de la production. Les CVM ont permis à ces derniers de se spécialiser dans un segment de la chaine de production et générer ainsi une valeur ajoutée propre sans avoir à développer des industries intégrées qui fournissent les biens intermédiaires nécessaires aux producteurs de biens finis (Grossman et Rossi-Hanberg, 2006).
Le développement des Chaînes de Valeur Régionales (CVR) est un instrument de promotion de l’intégration régionale, qui repose entre autres sur une amélioration des relations économiques. Les réseaux de productions peuvent être, à travers la chaine de production, partagés entre plusieurs économies.
Des CVR peuvent être crées pour dynamiser l’intégration régionale et contribuer à la transformation structurelle du groupement régional. A ce titre, le développement de politiques sectorielles intégrées et cohérentes au niveau régional permettrait de stimuler les acteurs économiques à tirer bénéfice d’une segmentation des chaines de production pour répondre aux besoins spécifiques de leur population. Les CVR sont également un mécanisme de promotion du tissu productif local à travers la création d’opportunités économiques plus larges que celles offertes par les marchés nationaux. En exploitant les Potentiels de promotion de chaînes de valeur régionales en Afrique du Nord les dotations factorielles différenciées entre pays membres, les entreprises, intervenant sur ces chaînes, renforcent leur compétitivité et agissent comme stimulateur de l’interconnexion des économies de la région.
L’espace Afrique du Nord répond pour l’essentiel au descriptif de zone économique naturelle. Il dispose en même temps de la plupart des facteurs structurants d’un marché intégré dynamique, avec une population estimée en 2018 à environ 235 millions d’habitants, un PIB nominal moyen de l’ordre de 2800 dollars par habitant, la continuité de l’espace physique et un niveau appréciable d’infrastructures de transport. Les données empiriques montrent cependant que le commerce entre pays nord-africains reste très en deçà de son potentiel. Autrement dit, l’existence de la plupart de ces déterminants (revenu par habitant, continuité de l’espace physique et proximité, développement des infrastructures, affinités linguistiques et culturelles) n’a pas été une condition suffisante pour situer le commerce inter-état à son niveau optimal.
Les échanges intra-régionaux ne représentent que 5% du total des flux commerciaux en 2019 des pays concernés. Ce taux, très en deçà de la moyenne continentale (16%), dénote le caractère encore marginal du commerce intra-Afrique du Nord. Plusieurs facteurs explicatifs concourent à cette situation, avec des effets qui interagissent entre eux. Au nombre de ceux-ci, figure la fragmentation des économies nord africaines. L’indice développé par la CNUCED portant sur l’intégration productive du commerce intra régional en témoigne, attribuant aux économies de l’Afrique du Nord les scores les plus bas du continent.
Par ailleurs, il est admis que la transformation structurelle des économies d’Afrique du Nord passe par une modification de leur structure économique, essentiellement productrice de produits de base, non ou très peu transformés, à une économie dont la croissance est tirée par l’industrie et portée sur des produits de plus grande valeur ajoutée. Le développement de la production et la commercialisation d’articles manufacturés sont à ce titre des conditions fondamentales pour le décollage économique voulu par les pays maghrébins
Depuis 2013, le Bureau de la CEA pour la sous-région, appuyant les efforts des pays membres, construit un plaidoyer appuyé par des études et recherches en faveur de la promotion des CVR comme instrument idoine à l’intégration régionale et à la transformation structurelle des pays membres. Cinq activités ont été organisées par le Bureau depuis 2014 et qui sont la tenue d’une table ronde des experts, la réalisation d’une étude technique sur les CVR, l’organisation d’une réunion d’experts suivie d’un colloque sur le thème et la préparation d’une cartographie sectorielle du potentiel des CVR dans dix secteurs.
Les résultats des différentes études ont abouti à l’élaboration (i) d’un plan pour la mise en œuvre et le suivi des actions à prendre par les différentes parties prenantes, notamment les pays, (ii) des orientations de politique sur le développement de CVR, afin d’accélérer la diversification et la sophistication des économies nord africaines ainsi que (iii) des documents techniques importants et des cadres pour améliorer le renforcement des capacités institutionnelles dans le domaine des CVR.
En effet, de par sa mission d’appui à « la facilitation de la coopération, de l’intégration et du développement économiques au niveau sous-régional », le Bureau pour l’Afrique du Nord de la CEA a vocation d’accompagner ses pays membres et leurs institutions de coopération
dans leurs efforts de renforcement des capacités de « formulation de plans et politiques reposant sur des données factuelles … », en vue de la transformation structurelle et de l’intégration économique de la sous-région.
Aussi, le programme d’activités 2021 du Bureau prévoit entre autres, la préparation d’une étude sur le « potentiel de promotion de chaînes de valeur régionales en Afrique du Nord, avec Potentiel de promotion de chaînes de valeur régionales en Afrique du Nord un focus particulier sur les secteurs pharmaceutique et des services financiers et de la finance digitale ».
Outre la non-exploitation d’atouts naturels d’intégration dans la région d’Afrique du Nord, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’halieutique et de la pêche, de l’énergie et de la chimie (gaz naturel, pétrole brut, produits minéraux, phosphates, …..), de l’industrie mécanique et des composants électriques, la crise pandémique du Covid-19 a révélé qu’avec sa capacité de résilience, les secteurs pharmaceutique et des services financiers et de la finance digitale figurent parmi les nouvelles tendances sectorielles qui pourraient émerger en période de post-Covid, avec en plus un réel potentiel d’intégration en Afrique du Nord capable de faire jouer les complémentarités économiques existantes. Ces secteurs émergents présentent un potentiel d’avantages comparatifs révélés qui pourrait être un réel accélérateur de l’intégration économique complémentarité du commerce, spécialisation, contenu technologique, sophistication des exportations, niveaux de complexité, etc.…), et surtout de montée en gamme dans les chaînes de valeurs mondiales et/ou de construction de chaînes de valeurs régionales.
La crise du Covid-19 a en effet révélé l’efficacité des paiements mobiles ainsi que l’opportunité d’utilisation des solutions d’intelligence artificielle, ce qui peut être un accélérateur pour la transformation digitale. A ce titre, les services financiers et la finance digitale offrent un réel potentiel de reprise dans la région. C’est dans ce cadre que la convergence des degrés de développement des systèmes de paiements et des plateformes techniques dans la région devront permettre de donner une nouvelle impulsion aux nouveaux instruments de la finance technologique (Fintech) et du central bank digital currency (CBDC).
Cette transition numérique, qui est aussi opportune pour dynamiser l’intégration financière dans la région, est tributaire de la levée des contraintes liées à l’infrastructure des systèmes de paiement et notamment au niveau de l’interopérabilité des services de paiement mobile. La mise en place d’un cadre réglementaire et technique permettant de favoriser la promotion des paiements numériques représentera un catalyseur pour l’essor des innovations technologiques et de la transformation digitale dans le domaine financier.
Cette évolution attendue est indissociable des TIC pour le développement requis de la finance digitale, le cloud computing et les produits et services basés sur le web, et ce à travers : (i) la réduction de la fracture numérique par un meilleur accès à l’information et à la connaissance, par la démocratisation des équipements d’accès, la généralisation de l’accès haut débit et la mise en œuvre du très haut débit, (ii) le renforcement de la culture numérique par la généralisation de l’usage des TIC, et (iii) la mise à niveaux des segments des filières du numérique et de l’offshoring.
Par ailleurs, alors même que la région étant déjà bien positionnés dans le secteur des médicaments et de la pharmacie, elle a clairement, dans ce contexte, une opportunité à saisir pour développer ce secteur en période de post-crise Covid en mettant en œuvre des stratégies qui répondent aux difficultés structurelles de la région à travers le renforcement des dépenses de santé et des investissements dans le secteur de la santé et l’innovation industrielle.
En outre, les voies ouvertes de construction d’une CVR régionale sont d’autant plus opportunes que le marché des médicaments dans les pays de la région demeure alimenté par la production locale, essentiellement composée de médicaments génériques, alors que le développement des filières de production des médicaments princeps, plus complexes, demeurent tributaires des nouvelles capacités dans le segment R&D.
Les objectifs de cette étude sur le Potentiel de promotion de chaînes de valeur régionales en Afrique du Nord sont les suivants.
L’objectif général de l’étude et de la réunion d’étude est d’aider à l’accélération du processus d’intégration régionale, dans sa dimension ‘développement du commerce intra Afrique du Nord et de contribuer à la transformation structurelle des économies de la sous-région à travers la promotion des échanges intra régionaux.
L’objectif spécifique sera de proposer, sur la base d’une étude, une cartographie d’une CVR dans l’industrie pharmaceutique et de la finance digitale et une analyse de leur potentiel de développement. Il s’agira notamment de formuler, à partir d’un diagnostic des principaux obstacles, un cadre commun d’action pour la promotion de ces deux CVR en Afrique du Nord.
Les résultats de l’étude seront consolidés en une publication destinée aux principales parties prenantes : administrations nationales, représentants du secteur privé, Secrétariat Général de l’UMA, Union Maghrébine des Employeurs, partenaires extérieurs intervenant sur les thématiques de l’intégration régionale et du commerce.
A noter que cette étude a été présentée à la a réunion de Marrakech (24-25 novembre 2021), une rencontre organisée par la CEA qui a vu la participation d’experts nationaux et internationaux en douane, transport – transit international, commerce extérieur, intégration régionale, TIC, du secteur privé, et de la société civile.
Bakari Gueye