En France lors de la traque des juifs appelée communément déportation, des hommes et des femmes étaient sortis de leur confort et avaient osé dénoncer l’infamie.
Au Guidimakha aussi, l’histoire retiendra des visages et des noms : les justes soninkés. Ils ont eu la grandeur de choisir d’être homme d’abord avant d’être soninké. C’est une posture courageuse par les temps qui courent.
Et pourtant, ils tiennent le haut du pavé. Mais ils ont compris que la sagesse vaut mieux que la noblesse surtout lorsqu’elle est « ramassée ou subie ».
A mon sens le procès de la noblesse est fait dans le réquisitoire social du personnage, Figaro, dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, célèbre dramaturge français.
Tenez-vous bien ! « Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier !
Qu’avez-vous fait pour tant de biens ?
Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! Tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter»!…
Ils sont nombreux, ces justes.
Beaucoup d’entre eux ne sont malheureusement pas connus par ce qu’absents des espaces publics virtuels qui tendent à se substituer à l’arbre à palabre d’autrefois.
Je ne les occulte pas dans cet hommage. Je salue leur courage et esprit de discernement. Si vous êtes « juste », sachez que je m’adresse à vous aussi même si votre nom n’est pas cité nommément.
Il y a également des femmes parmi ces âmes rares qui s’évertuent à faire changer les choses. Qu’elles trouvent ici l’expression de ma gratitude et de tous ceux qui croient en l’homme et qui œuvrent pour sa libération de toutes les chaines.
Faute de pouvoir vous offrir une liste des justes, je me contente de présenter quelques figures. Celles qui ont franchi le Rubicon professant la fraternité soninké, la vraie fraternité qui se fonde sur une redéfinition du pacte communautaire et des rapports intercommunautaires.
Celles-là sont désormais victimes de la vindicte de la famille ou du moins d’une partie de la famille, de la lignée pour leur courage et leur indépendance d’esprit.
Par ce qu’elles se sont libérées des dogmes d’une société qui traite différemment les membres qui la compose.
L’esclavage coutumier qui empoisonne le vivre-ensemble soninké divise et fragmente la cohésion d’une société réputée pour son modèle de solidarité, la partie visible de l’iceberg.
Oui, fascinante est notre société. Accueillante, hospitalière, paisible et travailleuse.
Ce sont ces qualités qui lui ont conféré honorabilité et respectabilité voire sa prestance de haute facture.
Ce portrait est désormais pour l’histoire. Nous sommes tous fiers de cette partie de notre histoire commune.
Elle ne dérange personne et est de nature à rassembler et consolider l’unité.
Mais attention, avec la mondialisation et le changement de paradigme de valeurs, les distinctions, les attributs, les titres, les enseignements que nous ont légués les anciens deviennent caducs.
Il faut une mise à jour perpétuellement, comme dans les études universitaires où la nomenclature des diplômes académiques n’a pu résister à ce mouvement.
Ainsi, si vous symbolisez la « race pure « et vous êtes partisan de la « classification arithmétique » des hommes,- les enfants d’Adam et Eve-, selon les trois grandes religions révélées, enfermez-vous dans Mein Kampt d’Adolf Hitler.
Votre doctrine n’est pas loin de là. Cependant, je ne suis pas sûr que vous le délecteriez.
Le projet du Quatrième Reich a échoué si non que seriez devenu le Noir et à fortiori, le Soninké dans cette tentative d’hiérarchisation des hommes?
Pour paraphraser le titre du manuscrit d’un de mes doyens, dans le contexte mondial actuel, on est tous embarqué.
Embarqué de force par les injonctions du temps. Aucune société n’a les ressources nécessaires pour résister à ces vents de changements.
Bon ou mauvais, il faut s’y préparer.
En effet, la vie en autarcie n’est plus possible.
On se construit aujourd’hui en allant à la découverte de l’autre mais cela suppose qu’on est fort à l’intérieur.
Or, la meilleure des puissances est la cohésion et l’entente, un soubassement qui ne peut résister dans la durée que lorsqu’il intégre la justice et l’égalité entre les membres de la communauté.
Aujourd’hui, le Guidimakha soninké et sa diaspora « couvent » dans une situation délétère.
Nous sommes rattrapés par notre passé, notre histoire trop glorieuse pour ne pas dire parfaite si bien qu’on en vient à la vénérer, l’idéaliser, la sacraliser au point d’être obnubilé et à ne vouloir rien changer. Erreur !
L’autocritique est un examen de conscience. C’est une introspection , un exercice auquel beaucoup d’entre nous n’adhère pas de crainte de trouver parfois des résultats troublants ou peu glorieux.
C’est un instrument d’évaluation.
La fracture est ouverte.
Les saignements continuent et l’hémorragie peine à s’arrêter. Notre société a mal dans ses repères et totems.
Le bilan est lourd : des amitiés brisées, des familles fâchées et inconciliables, que d’aventures humaine, familiale, sociale et communautaire bafouées pour un « machin » qui n’est que de prestige.
Mais paradoxalement, cette crise rassemble, consolide et crée de nouvelles relations plus sincères et décomplexées.
De ce bing bang social, une nouvelle communauté est en train de naitre.
Elle est constituée d’hommes et de femmes unis par les mêmes idéaux, le même combat pour une société plus juste et égalitaire.
Une société soninké réinventée, en phase avec le temps et intégrant la valeur comme vecteur principal de l’accession sociale et des attributs.
Dans ce nouvel ordre, la chefferie n’est pas contestée: elle fait consensus par ce que méritée et respectée de tous par son curriculum et sa faculté à prendre des décisions constructives et inclusives.
Nos justes, les plus connus pour avoir pris des positions tranchées sur la question de l’esclavage coutumier qui divise le Guidimakha soninké sont CAMARA Seidy Moussa, journaliste.
Que n’a-t-il pas dit sur le sujet ?
Très tôt, il a dénoncé sans ambages la stigmatisation dont sont victimes certaines personnes pour leur patronyme ou leur appartenance familiale.
Ce journaliste engagé s’est fait connaitre par ses éditoriaux politiques très caustiques contre les abus de pouvoir de l’ex-président de la république, Ould Abdel Aziz.
L’homme n’est pas versatile. Il est constant et ses écrits expriment clairement sa personnalité, son attachement à la justice, à l’égalité et à la démocratie.
M. CAMARA est l’une des premières plumes à dénoncer la féodalité soninké en tant que journaliste mais également issu de la « classe dominante » ; assumant ainsi la rupture avec ses ancêtres.
Il a compris que la vérité d’hier n’est pas forcément la vérité de demain.
Il s’est adapté au nouveau contexte.
C’est de la résilience et de la lucidité.
Les deux autres justes sont des amis.
Des amis d’enfance avec qui « nous avions élevé les cochons ensemble ».
Le premier est médecin, Docteur Boubou CAMARA, progressiste dans l’âme depuis que je l’ai connu pour ne pas dire rebelle.
Il a des principes sur lesquels, il est intraitable malgré son air de sympathie envoûtant.
C’est peut-être le meilleur d’entre nous. Son parcours académique est enviable : il n’a pas perdu son temps dans les études à réciter et répéter les enseignements sans les assimiler.
Il est fier d’être soninké mais ne se gêne guère de s’insurger contre les tares de notre société.
Sa dernière sortie dans un audio en langue soninké sur l’esclavage coutumier n’a rien d’artificiel : c’est exactement son opinion sur le sujet.
Docteur, nous l’appelons ainsi affectueusement est courtisé par toutes les communautés nationales, par ce que séduisant par son éducation soninké actualisée et réinventée lui permettant d’aller à la rencontre des autres sans toutefois se compromettre et léser les autres.
Mon ami n’a pas besoin de médailles et encore moins de titres ou de réputation hérités ou inventés, en se prononçant sur ce sujet de discorde « Guidimakhanké » : les dorures, il en manque point. Il les a toutes obtenues par le travail et l’abnégation.
Le dernier portrait est celui de Moussa SOUMARE, un natif de Sélibaby qui force le respect et l’estime par la singularité de son engagement politique.
Economiste de formation, mon ami Moussa a eu un penchant pour la promotion des droits l’homme.
Ainsi, il épouse les idéaux du mouvement IRA où, il s’est vite fait distinguer par la sincérité et la régularité dans l’activisme en France.
Il combat toutes sortes d’abus avec beaucoup d’esprit et de science sans jamais heurter la dignité d’un homme, et ce quelques soient leurs contradictions.
Avec Moussa, j’ai du mal à illustrer son engagement en faveur de la « vraie fraternité soninké » par un acte. En effet, c’est désormais le sens de sa vie.
Mais sa présence au Guidimakha en août dernier aux côtés du député Biram Dah Abeïd pour expliquer aux populations que l’esclavage et « ses dérivés » sont des abominations et sont interdits par la loi, reste la séquence que je choisis pour mesurer son courage et la franchise de son combat pour une société soninké plus juste et fraternelle.
Pour changer les choses au Guidimakha, nous avons besoin d’hommes réfléchis et critiques capables de se retourner contre eux-mêmes comme un pécheur qui accepte de se confesser dans la perspective de l’absolution de ses péchés.
Mais pour cela, il faut oser changer de place, se mettre à la place de l’autre et se poser les bonnes questions.
Pour quoi, l’autre est dans telle situation ?
Pour quoi est-il confiné dans un destin peu reluisant ? Pour quoi se rebelle-t-il aujourd’hui ?
Qu’est-ce que j’ai de plus que lui ?
Cette situation profite à qui ?
En essayant de trouver une réponse à ces interrogations, je suis persuadé que vous renoncerez à certains de vos avantages pour prêcher l’unité dans l’égale dignité. Ce combat est celui des idées.
Ce n’est pas une partie de la société contre une autre sur la base de la configuration féodale.
Ce n’est pas une famille contre une famille. C’est un esprit passéiste contre un esprit progressiste et critique.
La critique puisse qu’on en parle.
Elle n’est pas donnée à tout le monde surtout lorsqu’ elle doit être scientifique et objective.
Elle peut vous révéler des choses qui fâchent .Mais c’est sa nature, elle se veut exigeante et impartiale.
Ces justes que je viens de citer sont tous issus des « classes privilégiées » mais ils ont fait montre de surpassement et de dépassement en faisant prévaloir la raison sur l’émotion.
Ceux qui ont choisi d’être des pyromanes communautaires ou des communicateurs aux relents de la Radio des mille collines, qu’ils sachent qu’un jour, les « Guidimakhankos » vont s’entendre pour laisser derrière eux leurs incompréhensions, adversités ou animosités.
Et ce jour-là, ceux qui ont choisi de jouer aux « BOSCH » baisseront la tête honteusement et n’auront point de bouées de sauvetage.
Il n’est peut-être pas trop tard pour se repentir.
Si vous êtes détenteur de la science, de la notoriété, des moyens financiers, ou même d’une position avantageuse, mettez-les au service de la bonne cause : dites la vérité et cherchez à réconcilier le Guidimakha avec lui-même.
Accepter de perdre certains de vos avantages pour l’intérêt de la communauté. Je crois que c’est la voie salutaire. N’écoutez pas les propos incendiaires et va-t’en- guerre distillés quotidiennement dans certains groupes WhatsApp appelant à la haine ou au meurtre. L’orgueil est la mère des péchés, nous apprend les exégètes du saint coran.
Satan va brûler en enfer pour avoir refusé de se prosterner devant l’homme, la créature préférée du divin, par ce que dit- il « je suis fait de lumière et lui de l’argile », par conséquent, je suis plus « noble » que lui.
L’orgueil n’est pas dès lors un banal péché par ce qu’il est historiquement source de malédiction.
Seyré SIDIBE, journaliste