Par Abdul Aziz Malik Diop, PhD
Je suis un produit du système d’éducation de la Mauritanie depuis le primaire. En tant que normalien j’ai enseigné deux ans au secondaire en Mauritanie. Titulaire d’un doctorat (PhD) de linguistique j’ai enseigné l’anglais et la linguistique aux USA pendant dix-huit ans au cours desquels j’ai aussi servi comme vice doyen et chef de département pendant onze ans. Je pense donc être bien placé pour partager mon avis (qui ne reflète aucunement celui des institutions pour lesquelles j’ai travaillées ou pour lesquelles je travaille présentement) sur des questions portant sur l’éducation. Il n’est pas rare en Mauritanie d’entendre le citoyen lambda critiquer le système d’éducation, avec anecdotes à l’appui. Que ces critiques, quel qu’en soit leur fréquence et leur volume, ne portent pas de (ou prennent une éternité pour porter leurs) fruits est chose étonnante, car des anecdotes d’une telle envergure souvent cachent des données scientifiques non négligeables. Une anecdote récurrente est celle du bachelier littéraire incapable de s’exprimer correctement aussi bien dans son parler qu’à l’écrit et qui, paradoxalement, se retrouve en train d’enseigner quelque part dans un établissement en Mauritanie. En voilà un scénario qui est destiné à assurer une chose: le recyclage de la médiocrité. Et cette médiocrité remonte chaque année les maillons de l’éducation nationale jusqu’en terminale. Il explique en partie les résultats du baccalauréat 2021 en Mauritanie. Cependant il y a plusieurs autres facteurs aussi ou plus importants qu’il faut tenir en considération pour diagnostiquer le problème de l’éducation en Mauritanie et en proposer des pistes de solutions. Dans les paragraphes à venir, nous tenterons de mettre en exergue les grandes lignes de cette problématique. Tout système d’éducation doit reposer sur au moins trois piliers: un curriculum bien conçu et adapté aux réalités du pays, une infrastructure adéquate et taillée sur mesure et une philosophie d’éducation bien conçue, bien articulée et rigoureusement mise en application. Tout cela devra être appuyé par un budget digne de ce nom alloué au ministère respectif avec un technocrate à sa tête qui n’a pour seul but que de matérialiser les objectifs fixés. De 1960 à nos jours (2021) il y a eu plusieurs réformes de l’éducation en Mauritanie. Mauritaniennes et mauritaniens se perdent dans les méandres de ces réformes. Le curriculum change tout le temps. Ces perpétuelles réformes du système d’éducation en Mauritanie ne permettent pas de mettre sur pied une base de données empiriques fiables permettant de prendre des décisions scientifiquement justifiables pour améliorer la qualité du savoir de manière pérenne. Ces perpétuels changements de curriculum sont d’autant plus difficiles à cerner pour les encadreurs qu’ils constituent un cauchemar pour les apprenants certains desquels dès le départ débutent leur scolarité avec beaucoup de désavantage. Nous développons. La dernière réforme introduite indique clairement que l’arabe, le français et l’anglais sont les langues de formation. Quant aux langues nationales Pulaar, Soninke et Wolof elles continuent d’avoir un statut plutôt ambigu et ne sont certainement pas considérées comme langues de formation. Ceci constitue un problème et c’est le suivant. Il est très difficile d’enseigner quelqu’un dont on ne connaît ni la méthode d’apprentissage préférée ni le capital cognitif. Le résultat est un enseignement purement et exclusivement transmissif au lieu d’être participatif ou associatif. À titre d’exemple, tout enfant Pulaar, Soninke ou Wolof sait partager de l’argent avec ses ami(e)s à l’occasion du Eid. C’est un problème qu’il (elle) va résoudre de manière très banale dans sa langue maternelle. Ce même enfant est souvent incapable de résoudre le même problème en classe. Pourquoi? Parce que tout simplement la même opération lui sera posée dans une langue qu’il (elle) ne maîtrise pas et dans un format qui est pédagogiquement mal conçu: un format abstrait qui n’a aucun encrage dans le concret. Ces nuances échappent à beaucoup d’éducateurs et ce n’est point de leur faute. Ils bénéficient rarement de stages ou d’ateliers de mise à niveau visant ces subtilités de l’art. Pour mieux enseigner il faut savoir comment apprendre. L’une des pistes de solutions envisageables pour ce problème réside dans la conception d’un enseignement de base solide délivré dans la langue maternelle de l’apprenant. Beaucoup d’études sérieuses et des recherches pointues en la matière on été menées au fil des décennies à travers les universités du monde. Elles portent dans leur majorité des voix concordantes sur la question du rôle central que joue l’usage de la langue maternelle de l’apprenant. À cela il faut ajouter la nécessité de faire subir des formations continues au personnel enseignants et des contrôles de performance (c’est faisable et ça n’a pas besoin d’être très couteux). Dans un système qui marche bien tout le monde doit avoir le niveau requis et tout un chacun doit rendre compte. L’infrastructure doit non seulement inclure les bâtiments et matériels scolaires mais aussi l’infrastructure destinée à la santé et à l’alimentation des enfants issus de familles indigentes, et la quête constante de leur bien-être général. Un enfant qui a faim ou qui est malade n’apprend rien de bon en classe. Abandonnes-le tu auras à lui construire deux mètres carrés et à recruter un policier et un pénitencier au futur pour s’en occuper. L’infrastructure inclut aussi tout le dispositif nécessaire pour le recrutement d’enseignants compétents, la mise à niveau des enseignants « récupérables », et la tenue d’ateliers pédagogiques réguliers par des experts aux connaissances pédagogiques pointues et bien adaptées aux réalités mauritaniennes. Ces dernières décennies la Mauritanie a alloué à l’éducation un budget allant de 2.29% à 3.6% puis encore à 2.6%, selon les données des Nations Unis et celles de l’UNESCO. Des efforts ont été fournis, mais elle doit en fournir davantage et peut-être faire de l’éducation nationale sa plus grande priorité, démontrant ainsi son support infaillible, et encourageant en même temps un retour à cette culture du savoir qui a longtemps fait la fierté de la société mauritanienne. Je ne suis pas sûr que dans le contexte actuel créer des départements de langues nationales à l’université sert à beaucoup de choses. Ces langues nationales sont beaucoup plus utiles au stade où l’enfant a le plus besoin de béquilles linguistiques pour découvrir les chemins tortueux qu’offre son architecture cognitive. Il y a un proverbe Pulaar qui dit: « Ganndal tiiɗaani; suuɗi tan ». Traduit avec une certaine largesse sémantique, ce proverbe dit tout simplement que le savoir n’est pas difficile à assimiler, mais qu’il est plutôt tout simplement caché. Durant ces trois dernières décennies ce proverbe m’a servi de référence, de philosophie d’éducation et de boussole aussi bien en temps qu’étudiant qu’en temps qu’éducateur et chef de département. Vu de près il est très complexe car il laisse présager que ce savoir est enfoui dans plusieurs cachettes. En Mauritanie, il faut chercher cette cachette dans notre philosophie d’éducation, dans nos idéologies et nos pédagogies, dans nos ressources pédagogiques et infrastructures. Bref, dans notre soif du savoir. Si les orientations du Plan National pour le Développement du Secteur Éducatif (PNDSE) incluent l’universalisation de l’accès à un enseignement de base de qualité, comme il en a été fait cas dans pas mal de communications, cet accès doit être fait, surtout dans son stade initial, dans la langue maternelle de l’apprenant (e). Toute autre approche l’aliènera et lui imposera une pente cognitive très difficile voire impossible à remonter. Le normalien et professeur de langues et linguistique que je suis en reste convaincu. Certes les résultats du bac 2021 en Mauritanie sont peut-être ´catastrophiques’ comme le caractériseront certains. Ceci est probablement dû en partie à une surveillance stricte et un niveau de compétence très faible de la plupart des candidats. À y voir de plus près, cependant, on peut espérer que l’année prochaine ils auraient au moins eu un effet ´washback’ (pour emprunter le jargon technique anglo-saxon). Cet effet pourrait positivement influencer, l’an prochain, aussi bien le curriculum que les méthodes d’enseignement et, j’ose espérer, l’attitude de certains parents d’élèves qui, jusque tout récemment, n’hésitaient pas à aider leurs enfants à tricher durant les concours. Ces résultats pourraient aussi avoir comme effet de mettre fin à toute forme de promotion sociale de l’apprenant(e) d’une classe à la classe supérieure sans en avoir le niveau. En ce sens ils pourraient ainsi marquer un retour à une époque qui semblait être révolue en Mauritanie: celle de la passion pour le savoir. Vus sous cet angle, ces résultats auront peut-être servi de leçon et auront envoyé un message très clair à la nation. La sécurité nationale de tout pays repose en partie sur l’éducation de ses enfants. La Mauritanie n’est pas une exception. Toute tentative d’améliorer cette éducation doit être avant tout dénudée de préjugés, d’idées reçues ou préconçues, l’idée maîtresse étant la création d’un lendemain meilleur pour tous. Bien de pays jadis moins dotés que la Mauritanie ont pu sortir de l’abysse qui les étouffait pour devenir des exemples dans tous les domaines, surtout dans celui de l’éducation. Singapour en est un exemple. La Mauritanie peut et doit faire même mieux. Il lui suffit tout simplement de mettre tous ses atouts en œuvre. Allahul Musta’an.
Abdul Aziz Malik Diop
La Mecque
Arabie Saoudite 22/8/2021