Il est à nouveau question de dialogue en Mauritanie. Est-ce une réelle volonté du pouvoir du président Ghazouani de faire amende honorable et d’engager un jeu franc avec une opposition malmenée avant son accession à la magistrature suprême du pays ou s’agit-il d’une nouvelle astuce pour amuser la galerie et maintenir le statu quo dans un environnement social et politique marqué par une relative timidité face aux questions les plus brûlantes de l’heure ?
Le ministre de l’intérieur a fait des déclarations au quotidien national sénégalais « Le Soleil » qui a consacré un numéro Spécial à la Mauritanie début février.
Mohamed Salem Merzoug a affirmé que la Mauritanie n’est pas en situation de crise pour initier un dialogue. Or il a été question de cette option du côté du chef de l’Etat Mauritanien qui a donné son accord de principe à des leaders politiques qui ont évoqué avec qui il a discuté du sujet.
L’organisation d’un dialogue de grande ampleur sur les principales questions de l’heure s’avère nécessaire et ce d’autant plus que le contexte y est favorable.
On assiste à une espèce d’union sacrée autour du président Ghazwani. Une véritable aubaine pour le successeur de Mohamed Ould Abdel Aziz qui une douzaine d’années durant a géré le pays dans une atmosphère de tensions et de suspicions presque inédite en Mauritanie.
Il a suffi que l’ancien chef d’Etat-major Général des Armées et ancien ministre de la Défense du régime d’Ould Abdel Aziz se fasse élire et prononce un discours perçu comme volonté d’ouverture, pour que l’opposition la plus radicale affiche une disposition à l’enterrement de la hache de guerre et se montre attentive à toute volonté de coopérer. Cette opposition s’est d’autant plus sentie rassurée qu’elle a vu le régime d’Ould Ghazwani ouvrir un dossier somme toute brûlant et délicat : celui de la gestion du pouvoir par son prédécesseur. Une commission parlementaire, une police des crimes économiques, entre autres mécanisme de demande de compte se mettent à pied d’œuvre pour clarifier avec l’ex homme fort et ses principaux collaborateurs les choses en termes de marchés publics, de finances, etc.
Si le fait de trainer devant des tribunaux un allié qui se trouve être un frère d’armes et compagnon d’au moins quarante ans est signe fort, pourquoi Ould Ghazwani aurait-il besoin d’inviter à un dialogue aux relents politiques qu’il voudrait présenter sous les draps d’un dialogue social ?
Au plan politique, le calumet de paix est fumé à l’insu des populations qui dans un contexte de pandémie sont réduite soit à recevoir des pitances sous forme d’aide à hauteur de 2100 MRU, soit à subir le coup des restrictions avec réduction, voire d’annulation, du temps de travail et de gagne-pain consécutive à des couvre-feux répétitifs…
Avec de nominations récentes de cadres du mouvement IRA de Biram Dah Abeid, on assiste à une pacification d’un des pans radicaux d’une opposition sociale et politique incarnée par la revendication de militants de droits humains. Ceux-ci ont eu maille à partir avec le régime précédent, eu égard aux multiples arrestations et répressions de rues qui ont été infligées aux acteurs d’un mouvement longtemps diabolisé et dont le chef a frisé la condamnation à mort pour avoir dans une extrême action de révolte incinéré des livres du droit musulman auxquels il reprochait un parti pris esclavagiste dans la consignation des lois. On se rappelle en effet que le Vendredi 28 avril 2012, Birame Dah Abedi, Président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (Ira), une association non reconnue, mettait le feu à lot de livres juste après avoir participé avec ses partisans à une prière collective. Un geste de défiance face aux responsables politiques et religieux de son pays qui va lui coûter l’emprisonnement et des mouvements de foules parties en masse réclamer sa tête au président de la République Ould abdel Aziz.
Aujourd’hui, on a l’impression de participer à une réhabilitation d’Ould Abeid et de son mouvement. Pour les autres opposants politiques dont l’Union des Forces du Progrès resté intransigeants avec le régime Ould Abdel Aziz, il s’est passé comme une autocensure politique. Très peu de déclarations discordants, peu ou pas de pression sur le pouvoir relativement à des projets de lois, des choix politiques ou autres qui ont pourtant des impacts sur les populations. Il est vrai qu’à la veille de l’année 2021, Ould Ghazwani a promis des améliorations de salaires et de pensions aux mauritaniens. Des gestes à l’endroit de populations démunies sont souvent mis en avant à travers les médias officiels…Il reste cependant que dans certains secteurs la frustration couve. Des enseignants se plaignent de leurs conditions.
En effet, selon des sources médiatiques trois syndicats d’enseignement en Mauritanie ont annoncé dimanche leur décision d’entreprendre une série de grèves dès le 22 mars prochain pour protester contre la situation déplorable de l’enseignement.
Sahara Média indique que la coordination de l’enseignement fondamental a déclaré qu’elle s’était réunie samedi pour examiner l’appel pour le boycott des examens et une grève de trois jours mais qui pourrait augmenter dès le premier jour de la date fixée.
Ces dates seront accompagnées de sit-in de protestation devant les locaux administratifs au premier jour de la grève de chaque étape. Poursuivent nos confrères qui précisent qu’un autre syndicat a annoncé le dépôt auprès du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement technique et de la réforme une plateforme revendicative avec une menace de grève d’une semaine du lundi 22 mars au vendredi 26 mars.
C’est dire donc que côté social il y a matière à dialoguer même si en réaction à ces menaces le ministère de l’éducation affirme déployer des efforts pour procéder à des améliorations.
Pour en revenir à ce qui pourrait déterminer un dialogue politique, notons l’opposition traditionnelle qui avait expérimenté plusieurs dialogues entre le moment du putsch de 2008 et l’élection d’Ould Abdel Aziz en 2009 et 2014. Une grande partie de cette opposition s’est rendue coupable de boycott des législatives de 2013 et la présidentielle de 2014. Ce qui lui a coûté une perte de temps et de crédit en termes de jeu démocratique. Autre conséquence des choix de l’opposition, la discordance des voix dont une des expressions fortes fut la démarcation de Tawassoul un grand parti à forte influence nationale. Tawassoul réussit à s’arroger la position de leader en gagnant des sièges au Parlement.
S’il est aujourd’hui permis de parler de décrispation avec le retour au pays du richissime homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, cousin passé ennemi de Mohamed Ould Abdelaziz, un dialogue s’impose-t-il réellement ? Si oui, quel assainissement permettra-t-il dans un contexte où le seul véritable opposant est Mohamed Ould Abdel Aziz en proie aux conséquences d’une enquête parlementaire le présentant comme présumé coupable de crimes économiques des plus notoires en Mauritanie ? Au-delà des revendications traditionnelles telles que celles relatives au système électoral dans la perspective d’échéance à l’horizon. Le code électoral, les questions sociales se font cruciales. Celles liées aux droits humains sont toujours là : exclusion, inégalités, partage des richesses, unité nationale, passif humanitaire, l’esclavage, bonne gouvernance…La liste n’est pas exhaustive. On peut y ajouter les dettes d’un certain Cheikh Rhida devenues un héritage pour le régime Ghazwani, une patate chaude pour ainsi dire. Car ces derniers temps des mouvements d’humeurs ont été constatés du côté des créanciers de ce fameux érudit à qui ils reproche de les avoir arnaqués en leur faisant perdre des propriétés immobilières et divers autres actifs pour une valeur de plus de 70 milliards MRO.Avec ce genre de sortie qui nécessite le déploiement de forces anti-émeutes, le pays n’est surement pas à l’abri de mouvements de foules à haut risque. Alors, il faut dialogue ? Avec qui ? Avec les associations des consommateurs, ils existent ou sont actifs, pour discuter des effets d’une flambée des prix dans un contexte de covid-19.
Il y a aussi les soubresauts du dossier de la CEP/Ould Abdel Aziz. Un cocktail explosif qui devrait inciter le président de la République à faire très attention au triomphalisme à tout va de ses troupes et à accéder à la demande politique et populaire de l’organisation d’un dialogue sérieux.
BG (La Tribune)