La situation des enseignants en Mauritanie est difficile, un grand paradoxe lorsqu’on mesure l’importance de ce noble métier dans le développement, la stabilité et la sécurité d’un pays.
Mais aujourd’hui la dévalorisation de cette profession est telle qu’elle constitue le souffre-douleur par excellence.
Et pour s’en rendre compte la situation kafkaïenne de S.A en dit beaucoup plus que tous les discours.
Professeur dans un lycée de Nouakchott S.A à l’instar de tout vrai enseignant a pour principale activité le fait de tirer le diable par la queue. Abonné fidèle au crédit bancaire comme tous ses collègues S.A se retrouve avec un salaire mensuel de 7100 MRU, les 3000 restants étant retenus pour le payement de l’échéance bancaire.
Et la gestion de ce maigre pactole constitue un véritable casse-tête chinois vu la diversité des charges et la cherté de la vie.
En cette fin du mois de Février, S.A s’est retrouvé dans un véritable pétrin. Il y est habitué mais cette fois-ci les choses sont beaucoup plus sérieuses.
Sa mère qui est hypertendue a vu sa santé se détériorer, ce qui a nécessité le payement d’une facture très salée à l’hôpital. Et pour compliquer encore les choses, sa femme a accouché.
Lorsqu’il retira son salaire jeudi dernier S.A a fait un crochet par la boutique du coin. Montant de sa facture mensuelle : 7000 MRU, c’est-à-dire l’intégralité de son salaire.
Maintenant il va falloir payer les frais du loyer. S.A occupe une chambrette et une cabane avec sa famille et il doit débourser 2500 MRU. Et pour ce mois-ci il va falloir payer en plus 1000 MRU de reliquat pour le mois passé.
Autres frais à payer, la scolarité de ses deux enfants à la Mahadra à raison de 800 MRU. Il faudrait ajouter à cela les frais médicaux de l’un des petits qui traîne une maladie chronique depuis sa naissance.
La liste est encore longue. Le pauvre professeur est soumis à un stress de tous les instants. Et pour ne rien arranger son épouse réclame une assistante pour s’occuper des travaux ménagers le temps qu’elle récupère.
Au lycée S.A a toujours la tête dans les nuages. Les appels répétés de sa femme qui demande de l’argent lui donnent des sueurs froides. Et entre deux cours il demande parfois à l’administration l’autorisation de faire un tour en ville dans son vieux taxi pour glaner quelques sous.
La situation de S.A en dit long sur l’état dans lequel se trouve l’enseignant qui est préoccupé par sa survie plutôt que par l’activité de dispenser des enseignements. Pensez-vous qu’un type dans la situation de S.A peut s’occuper de ses élèves ? Et pourtant les enseignants mauritaniens sont presque tous des S.A. De ce fait pour que le système éducatif change et aille de l’avant il faut mettre les enseignants dans des conditions de vie décentes.
Il faut également les mettre dans des conditions de travail appropriées. Dans nos établissements scolaires nos enseignants font le plus souvent six heures de cours d’affilée par jour. Ils viennent à l’école le ventre vide et dans la plupart des cas ils n’ont même pas droit à une salle propre pour se reposer pendant les récréations. Quant à la pause-café ou thé n’en parlons pas. Elle n’est pas prévue. Comment voulez-vous que dans une telle diète noire et dans de telles conditions les enseignants puissent réussir à bien former les générations qui seront les dirigeants de demain ? Les évaluations (compositions, examens) ne reflètent pas la réalité car le système est très complaisant.
Voilà une question sur laquelle devrait se pencher le Conseil National de l’Education fraichement nommé.
Bakari Guèye