J’écris en français…

J’ai longtemps hésité à intervenir directement dans ce sempiternel débat linguistique dans mon pays, pour une raison toute simple: l’absence de “termes de référence”… En effet, à quoi bon débattre “dans le vide” ou si c’est pour nourrir une querelle de chapelles, sans finalité constructive. J’ai donc attendu le “creux de la vague” en la matière, au plus loin de la surenchère populiste, pour m’exprimer.

Sans intention aucune de choquer qui que ce soit, je souhaiterais tout de même expliquer, sans détour, les arguments à l’œuvre dans ma relation avec le français, cette langue internationale en usage officiel à l’ONU.

J’écris en français, car mon pays -dont l’administration est continue-, à travers son école publique, m’a enseigné cette langue dès l’école primaire, puis au collège et au lycée. J’écris en français, car mon pays m’a permis d’accéder à une formation supérieure dans le plus grand pays francophone du monde, la France. J’écris en français, parce que les études que j’ai faites et le choix professionnel que j’ai décidé, se sont opérés dans un environnement francophone. Je comprends parfaitement que les discours officiels au sein des institutions de souveraineté et ailleurs, soient délivrés en langue officielle du pays, par ceux des responsables publics qui ont subi la formation linguistique initiale requise.

J’écris en français, parce que la religion qui est la mienne, l’Islam, est destinée aux locuteurs de toutes les langues et insiste explicitement, dans sa tradition, sur l’acquisition des savoirs “même en Chine!”, dans son corpus, il est question explicitement du nécessaire égal respect pour tous les “Messagers”; c’est dans le cadre de cet universalisme, que je situe l’historique décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’octobre 2018, stipulant que les actes blasphématoires à l’endroit du Prophète (psl) ne relèvent pas de la liberté d’expression telle que précisée dans l’article 10 de la convention au même acronyme.

J’écris en français, car, au sein de la société qui est la mienne, on parle quatre belles langues nationales (l’arabe, le poular, le soninké et le wolof) ; écrire en français est susceptible, à mes yeux, de “positiver” le …regard porté par mes concitoyens sur les langues, en général. J’écris en français, car une partie de mes compatriotes dont l’arabe n’est pas la langue maternelle, ne pourrait pas autrement (ou ne voudrait pas) lire mes mots ; je leur tends ainsi la main et espère les inviter à mieux apprécier la langue de la majorité des Mauritaniens et langue officielle du pays, l’arabe. J’écris en français, car mon pays est à cheval sur deux grands espaces culturels qui utilisent cette langue au quotidien. J’écris en français pour mieux défendre les déterminants spirituels et culturels, et les intérêts vitaux de la société qui est la mienne.

J’écris en français, car le monde où je vis connaît une accélération technologique inégalée dans l’histoire et une étroite interconnexion planétaire, et certains savoirs spécialisés ne sont pas instantanément traduits en dehors de leur langue de production.

J’écris en français, car l’histoire nous apprend que durant les périodes de grandes difficultés socio-économiques, comme c’est le cas à présent, les sociétés humaines ont malheureusement tendance à se recroqueviller sur elles-mêmes, en stigmatisant la raison et en brandissant leurs “plus petits dénominateurs (culturels) communs” en boucliers contre l’empathie à l’endroit de leurs voisins, provoquant ainsi des cataclysmes sordides.

J’écris en français pour exprimer, de manière “différente”, mon rejet de l’islamophobie, de la haine raciale, de la xénophobie, du chauvinisme et de l’intolérance en général. J’écris en français pour signifier aux extrémistes (il en existe aussi malheureusement sous nos latitudes!) de mon propre pays, que leur diktat politico-culturel et leur corset idéologique ne m’engagent point.

J’’écris en français, pour combattre l’ignorance à la base de toute intolérance; un adage présent dans nombre de langues du monde, affirme pertinemment : “on est toujours l’ennemi de ce que l’on ignore”. J’écris en français, pour contribuer modestement à la cause de la paix, une paix qui passe, à mon sens, par le respect des langues, toutes les langues, comme vecteurs a priori “neutres” de communication, d’échanges féconds et de compréhension mutuelle.

J’écris en français, car j’ai la latitude d’exprimer ce que j’avance ici en des termes aussi efficients, dans ma langue maternelle. J’écris en français, sans nul complexe, car ceux dont cette belle langue est la langue maternelle, rêvent, en grand nombre (je peux en témoigner) de pouvoir écrire dans ma langue maternelle comme je le fais dans la leur ; si complexe linguistique donc il y’a, ce n’est certainement pas d’infériorité qu’il s’agit…

J’écris en français, en acte de liberté personnelle et pour clamer haut et fort ma fierté de mes racines et mon ouverture à celles de l’autre, car il n’y’a aucune contradiction à cela dans mon entendement, loin s’en faut!

J’écris en français, car l’écriture m’est vitale et j’aurais souhaité pouvoir m’extérioriser dans toutes les (6400) langues du monde…

Aujourd’hui, j’écris spécialement en français, pour célébrer, à ma manière, la Journée mondiale de la langue arabe, en invitant ceux qui me font l’honneur de lire ces lignes, de “plonger” à la découverte de cette “mer aux entrailles fournies en perles…”, selon le “poète du Nil”, Hafedh Ibrahim.

Isselkou Ahmed Izidbih

 

 

 

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