Un des principaux engagements du candidat Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en 2019 était « une réforme de l’éducation centrée sur l’élève, dont la réussite constituera l’ultime objectif, et aura comme premier allié l’enseignant, dont le rôle sera reconnu socialement, valorisé et renforcé.»
Sidi Ould salem, ministre mauritanien de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, porte-parole du gouvernement, a déclaré lors du point de presse d’après conseil des ministres que les actions de la réforme de l’éducation seront conduites de façon participative. Cette réforme, a aussi annoncé le ministre, sera effectivement lancée à partir de la prochaine rentrée scolaire.
Horizon continue sa série de recueil d’avis de professionnels du secteur Wane Mohamédoune dit Doudou, professeur de linguistique à l’Université de Nouakchott Al Assriya et à l’Ecole Normale Supérieure, Ancien chef du Département des Langues Nationales et de Linguistique. Entretien.
Horizons : Avez-vous des propositions portant sur cette future réforme de l’école mauritanienne ?
Les Mauritaniens sont unanimes que le système éducatif mauritanien s’est installé, depuis des décennies, dans une crise qui n’a que trop duré. Les raisons sont liées, en partie, à l’origine coloniale du système et au manque de cohérence des politiques éducatives. La réforme de l’éducation nationale en perspective doit donc apporter des solutions viables aux nombreux dysfonctionnements de ce système.
A mon humble avis, il faut d’abord procéder par définir la mission à donner à l’école mauritanienne en se fondant sur notre identité plurielle et notre diversité culturelle et linguistique. Il s’agit d’instaurer un véritable débat où prennent part tous les acteurs de la vie nationale : la population, la société civile, les associations de parents d’élèves, les directeurs régionaux de l’éducation, les inspecteurs, les directeurs d’établissements, les enseignants, les élèves, etc.
Je pense que c’est l’occasion de repenser l’école mauritanienne en lui ôtant le poids de l’héritage colonial qui la plombe. A défaut de mettre en place un système qui soit la synthèse entre « l’école moderne » et l’école coranique, il faut au moins arriver à établir de véritables passerelles entre les deux modes d’enseignement.
Cette refondation doit se faire sur la base d’un consensus national autour des objectifs, du produit de l’école mauritanienne et de la vision du développement. Il est important qu’on se réapproprie les concepts sur le système éducatif national. Je rejoins Felwine Sarr quand il dit : « ces concepts ont buté sur une complexité culturelle, sociale, politique et économique des sociétés africaines, car empruntant fondamentalement leur grille de lecture à d’autres univers mythologiques », Afrotopia, Ed. Philippe, 2016. L’école mauritanienne doit être pensée par les Mauritaniens et pour les Mauritaniens.
Horizons : La dernière réforme de l’école mauritanienne date de 1999. Elle a supprimé le système des deux filières (Arabophone, francophone) et rendu obligatoire l’enseignement des matières scientifiques (Mathématiques, Sciences physiques, sciences naturelles) en Français et les matières dites littéraires (littérature, Instruction civique, instruction religieuse, histoire-géographie et philosophie) en arabe. Cette répartition des disciplines entre ces deux langues vous parait-elle pertinente. Doit-elle être maintenue par la réforme qui sera engagée l’année scolaire prochaine ?
La réforme de 1999 même si elle ne le dit pas de manière explicite vise le bilinguisme. Cependant le choix adopté pour mettre en œuvre ce bilinguisme ne me semble pas judicieux. Il a conforté un cloisonnement linguistique dont la conséquence et l’insécurité linguistique constatée chez les enseignants tout comme les apprenants.
En obligeant les enseignants des disciplines scientifiques « arabisants » à enseigner en français, on les a contraints à l’hybridation de langue d’enseignement. Le discours est généralement en hassanya avec le mélange des concepts clés en français. Les enseignants des disciplines littéraires sont, dans leur majorité, dans la confusion entre langue à enseigner (arabe standard) et la variante parlée (hassanya).
La gestion des langues doit se faire de façon équilibrée de sorte que l’élève puisse passer d’une langue à une autre aisément. La dichotomie, sciences exactes et sciences humaines, sur laquelle repose cette réforme ne saurait favoriser une complémentarité des langues de l’école. Le transfert de compétence du français vers l’arabe, par exemple, prévu dans le programme d’enseignement du français au collège ne se fait pratiquement pas.
Horizons : Quelles sont les insuffisances des programmes et des manuels scolaires actuels ?
C’est une question à laquelle il est difficile de répondre en dehors d’une étude rigoureuse des programmes. Je pense qu’ils méritent d’être revus à la lumière des objectifs et des finalités de notre système éducatif. Il faut cependant éviter le saupoudrage auquel nous sommes habitués. Ainsi, les programmes doivent être décloisonnés pour permettre le transfert des savoirs d’une langue à une autre dans le respect de la progression aussi bien en langues qu’en disciplines.
Pour ce qui est des manuels qui sont le reflet des programmes, il faut veiller à la qualité de leur impression, à la langue, a la pertinence des contenus et à leur disponibilité dans les établissements.
Horizons : « Une réforme en dehors de la sociolinguistique ? », une question prise sur votre page face book. Expliquez aux lecteurs, c’est quoi la sociolinguistique ? Dans le contexte mauritanien, quel rapport peut-elle avoir avec une réforme de l’éducation ?
Cette publication je l’avais faite pour provoquer un échange autour d’une approche à ne pas négliger dans la préparation de la réforme. C’était aussi une façon de dire que l’université peut apporter sa contribution dans l’élaboration de cette réforme.
La définition la plus courante de la langue est qu’elle est un moyen de communication entre les membres d’une communauté donnée. Seulement, elle est aussi un fait de société. Très simplement la sociolinguistique est l’étude des rapports entre le langage et la société.
En tant que discipline qui s’intéresse à la langue et aux pratiques de la langue, la sociolinguistique étudie la politique linguistique, les attitudes et représentations des locuteurs et l’aménagement linguistique.
La politique linguistique est la décision qu’un Etat prend pour ériger une langue au statut de langue officielle ou autre. C’est le cas de l’article 6 de la constitution mauritanienne. Les attitudes et représentations servent à déterminer la position qu’on des locuteurs de leur langue ou d’une autre langue. L’aménagement linguistique est une action sur la langue ou en faveur de la langue ; par exemple, quand l’Etat mauritanien a décidé de changer certains termes de l’administration territoriale, il a fait de l’aménagement linguistique : wali à la place de gouverneur, wilaya à la place de région, etc.
La réforme éducative relève également de l’aménagement linguistique. Les différentes réformes ont toujours porté sur la place des langues présentes en Mauritanie.
La sociolinguistique en tant que linguistique de terrain peut aider à la réalisation des enquêtes sur la perception de l’éducation, le choix didactique, l’attractivité du système éducatif, les conditions d’un système éducatif reposant sur l’équité, etc.
Propos recueillis par Khalilou Diagana
Quotidien national Horizons
Une intervention pertinente même si certains termes techniques sont un peu difficiles à comprendre pour les non- initiés
Merci mon prof.