Placer la culture au cœur des politiques de développement prioritaires des pays est une condition préalable à l’ouverture sur le monde, eu égard à plusieurs facteurs, dont le plus important est l’engagement pour les idéaux de diversité culturelle et la nécessité d’intégrer les valeurs de pluralisme des cultures dans l’ensemble des politiques, des mécanismes et des comportements, notamment par le biais de partenariats publics et privés. De ce point de vue, l’accent devrait être mis sur l’intégration de la culture dans les politiques globales de développement, qu’elles soient liées à l’éducation, aux sciences, aux communications, à la santé, à l’environnement ou au tourisme, dans le but de réaliser des avantages globaux qui comprennent le développement d’industries créatives, la cohésion sociale et la réduction de la pauvreté.
De plus, la préservation et le développement de la culture sont un objectif et
un moyen pour contribuer à la réalisation d’une grande partie des objectifs de
développement durable : des villes sûres et permanentes, un travail
décent, une croissance économique, une réduction des clivages, une protection
de environnement, une égalité des sexes, des sociétés pacifiques et inclusives.
Si nous limitons la centralité de ces objectifs aux trois fondements du développement durable ; l’économique, le social et l’environnemental, nous découvrons le rôle partagé qu’assurent, dans chacun d’eux, les aspects culturel et créatif. De ce point de vue, les dimensions sociales et environnementales du développement durable contribuent elles aussi à préserver le patrimoine culturel et à favoriser les capacités d’innovation. A ce niveau, le patrimoine culturel tangible et intangible et la force créatrice constituent des ressources qui doivent être protégées et gérées avec beaucoup d’attention. D’un autre côté, lier la culture à la démocratie, à la paix et au développement global reste la solution idéale pout tout conflit local sur l’identité culturelle des individus et des groupes. C’est la garantie certaine de la réussite des plans de développement que le gouvernement mauritanien souhaite, à l’avenir, mettre en œuvre dans ce domaine.
Pour rappel, il convient de noter que l’Etat mauritanien a œuvré, de
l’indépendance du pays à ce jour, à jouer le rôle qui lui est assigné dans la
préservation et la valorisation du patrimoine. Il a fourni, pour y parvenir, de gros efforts dans
plusieurs domaines dont les plus importants sont :
– Le cadre législatif et institutionnel, à travers la promulgation d’un certain nombre de lois, comprenant la création et l’organisation des structures concernées par la gestion du secteur de la culture et du patrimoine et la définition des pouvoirs qui leur sont attribués suivant leur mission.
– Le classement des quatre villes anciennes comme patrimoine de l’humanité, en collaboration avec les organisations internationales opérant dans ce domaine,
– La création du prix Chinguetti pour les lettres, les arts et les sciences,
– La ratification de la loi-cadre sur la protection du patrimoine et la loi sur les arts vivants et la propriété intellectuelle, l’adhésion à tous les traités internationaux relatifs au patrimoine culturel matériel et immatériel,
– La
promotion de la recherche archéologique, de la collecte et de l’entretien des
manuscrits,
– La mise en œuvre des programmes de conservation des villes historiques et la
création d’une dynamique locale pour leur développement,
– La collecte, l’acquisition et l’entretien des patrimoines des musées,
– L’inventaire organisationnel des institutions culturelles avec le soutien des partenaires au développement. Cet inventaire a abouti à une restructuration du secteur et à l’unification de la tutelle des organes concernés par le patrimoine et la culture,
– L’adoption
d’une stratégie nationale pour la préservation et la valorisation du patrimoine
national,
– L’allocation d’un pour cent (1%) des recettes douanières nationales au
financement d’activités liées à la promotion des secteurs de la culture, de la
jeunesse et des sports,
– La dynamisation du partenariat avec les organisations internationales travaillant dans le domaine culturel, ce qui a récemment permis au pays d’obtenir le poste de directeur de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et la science et celui de directeur régional de la Francophonie à Lomé, en plus de nombreux financements pour de petits projets culturels. Cela s’ajoute aux efforts déployés par les autorités de tutelle pour impulser la modernisation du secteur artisanal traditionnel et la valorisation du rôle du théâtre, du cinéma et des arts plastiques afin de les intégrer dans le tissu économique du pays.
Malgré tous
ces efforts, il existe encore des obstacles qui entravent la réussite de toute
stratégie de développement culturel en Mauritanie. Ces obstacles se résument
comme suit :
– La faiblesse du contrôle par les structures gouvernementales des réserves du
patrimoine écrit et l’absence d’un cadre participatif entre l’État et les
propriétaires des manuscrits qui permet de mettre la main sur l’existant en
échange d’un préservation des droits des individus.
– L’absence
d’une cartographie exhaustive du patrimoine culturel national.
– La faiblesse des initiatives publiques et privées dans le domaine du
développement culturel.
– Le manque de sérieux des projets antérieurs et de conformité de leur
faisabilité avec les priorités de développement culturel et l’absence
d’implication des bénéficiaires dans leur élaboration et leur mise en œuvre.
– L’absence
d’une stratégie médiatique claire pour le développement culturel.
– La non intégration du patrimoine culturel dans les programmes scientifiques,
éducatifs et de recherche.
– Le non
respect de la protection du patrimoine culturel dans les politiques de réforme
territoriale.
– L’absence d’un organe dédié au financement des activités patrimoniales et
culturelles de manière durable.
Pour surmonter ces dysfonctionnements structurels, nous recommandons les
mesures suivantes :
– Réaliser une cartographie générale du patrimoine culturel, avec des études de
référence sur les monuments du pays, l’identification de leurs sites et
l’élaboration d’un plan pour leur conservation et restauration.
– Reprendre de nouveau les programmes de fouilles sur l’ensemble du territoire national et publier leurs conclusions scientifiques.
– Encourager le tourisme culturel en activant le rôle économique du Festival des villes anciennes et en adoptant une politique participative entre l’État et ses partenaires en matière de développement visant à mettre en œuvre des projets de développement culturel en harmonie avec l’environnement naturel et culturel de ces villes.
– Adopter une politique médiatique culturelle viable, pouvant mobiliser l’opinion publique sur l’importance de la conservation, de la préservation et de la valorisation du patrimoine du pays, et souligner la nécessité de préserver l’identité culturelle commune de celui-ci.
– Valoriser l’artisanat traditionnel en tant que pilier fondamental du développement culturel et dynamiser le partenariat avec la Chambre nationale de l’artisanat traditionnel et les différents groupements et associations d’artisans traditionnels productifs et organiser des expositions permanentes pour commercialiser leurs produits.
– Procéder à un inventaire complet des manuscrits et bibliothèques privés et établir des partenariats avec leurs propriétaires.
–
Réhabiliter les musées et les aider à
obtenir les collections archéologiques nécessaires.
– Encourager la production culturelle et créer des clubs de théâtre, de cinéma
et d’arts plastiques dans toutes les capitales régionales du pays.
– Créer des antennes de la Bibliothèque nationale dans toutes les capitales régionales et rendre le livre accessible à tous.
– Encourager et valoriser le folklore de toutes sortes et mettre en évidence les particularités culturelles de toutes les composantes de notre peuple, tout en donnant plus d’attention à la musique traditionnelle et en œuvrant pour son écriture.
– Soutenir les compétences du secteur culturel par la formation continue, l’accréditation d’une formation universitaire conduisant à l’obtention d’un certificat de licence dans les métiers de la culture et du patrimoine, et ce dans le cadre d’un partenariat avec l’Université de Nouakchott Al Aasriya.
– Créer une structure pour l’édition culturelle et scientifique chargée de superviser l’impression des livres, des périodiques et des revues de recherche spécialisées dans le domaine du patrimoine et des études culturelles, en plus de la collecte et de la diffusion du folklore.
– Redynamiser le rôle du Conseil national du patrimoine culturel.
– Préserver les valeurs spirituelles et morales pour immuniser les jeunes contre tous les modèles culturels exogènes.
Et comme toute stratégie réussie et efficace nécessite en premier lieu la mobilisation des ressources nécessaires pour réaliser ses objectifs, la création du Fonds national de développement culturel devient indispensable. Il convient que l’État et ses partenaires au développement, tous les pays frères arabes et islamiques avec lesquels nous partageons notre patrimoine culturel et tous les acteurs économiques nationaux doivent contribuer activement au financement de ce fonds, afin de gagner le pari du développement et de surmonter tous les obstacles qui empêchent la Mauritanie de maitriser sa politique culturelle.
En résumé, le développement culturel en Mauritanie ne peut avoir lieu sans parvenir à une politique culturelle qui couvre toute la vie sociale, politique, médiatique et environnementale. De même, le renforcement du rôle de la culture dans le développement global du pays permet d’atteindre l’objectif visé d’indépendance, de cohésion sociale et de préservation de l’unité entre toutes les composantes de notre peuple.
Nonobstant notre conviction de l’importance de l’unité dans l’intégration de la conscience démocratique et l’instauration d’un état de justice et d’équité et de bonne gouvernance, nous pensons qu’elle ne peut être imposée par la force de la loi ou par la promulgation de règlements, mais doit plutôt être le produit d’un consensus interne, d’une conviction collective et d’un désir sincère de coexister. Cela ne peut être réalisé sans en référer aux valeurs de tolérance, d’harmonie, de solidarité et d’acceptation de l’autre, qui sont prônées par les enseignements de notre religion islamique.
La reconsidération de ce système de valeurs civilisationnelles et morales représente une grande priorité dans le programme électoral de Son Excellence le Président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani et dans ses engagements pris, non seulement parce qu’il est nécessaire dans tout effort de développement pour réduire l’injustice, la marginalisation et l’exclusion, mais aussi parce que c’est un outil de décision, de puissance et de prévention pour notre peuple et, en même temps, un déterminant de survie.
Il a été dit dans le passé que les nations vivent, en réalité, tant que vivent les valeurs qu’elles véhiculent, et que lorsque ce valeurs disparaissent, elles disparaissent elles aussi.
Dr. Mohamed Al-Radhi Ould Sadvena