Par Isselmou Abdel Kader
Les observateurs des élections, en particulier les étrangers, ont une grande expérience pour juger du degré de transparence d’une élection. Mais ils ont toujours besoin de bien comprendre le contexte local et les techniques spécifiques qu’utilisent nos chers gouvernants pour violer notre volonté et s’assurer de continuer à nous servir loyalement. Les manœuvres frauduleuses commencent du début à la fin du processus électoral comme dans tous les pays où la démocratie est tombée du ciel comme cette bouteille qu’avait reçue un Pigmée sur la tête dans le film « les dieux sont tombés sur la tête ».
Demeurant attaché au candidat Mohamed Ould Cheikh Ghazouani et intimement convaincu que ce dernier n’a nullement besoin de tricher pour se faire élire, l’auteur du présent article craint que certains milieux le privent, par excès de zèle, du goût d’une victoire propre bien méritée. Il a voulu, sans aucune autre motivation, contribuer, par son expérience d’ancien administrateur territorial, au succès de la mission des observateurs qui auront la lourde responsabilité d’accorder ou de refuser leur caution morale à cette élection.
Avant les élections, l’imagination s’offre le loisir de manipuler la liste électorale, de fausser les identités, d’exercer le maximum de pression sur les chefferies traditionnelles, et d’assurer « le meilleur choix » des membres des bureaux de vote. Durant les élections, le génie falsificateur se met à manipuler les bulletins de vote et à changer les résultats à la source par divers moyens. Et si toutes ces manœuvres n’arrivent pas à convaincre les électeurs, c’est que ces derniers ont été « manipulés par des forces étrangères malveillantes ».
1° La manipulation de la liste électorale offre une large autoroute au détournement de la volonté des électeurs mauritaniens qui ne disposent jusqu’ici d’aucun moyen de contrôle pour s’assurer de la conformité de ce référentiel électoral unique aux normes requises de transparence. Trois défaillances parfois constatées dans les listes électorales peuvent fausser les résultats. Il s’agit des doubles ou triples inscriptions, d’inscription des étrangers, comme en 2001 et 2003 où de nombreux Sénégalais, Maliens et Sahraouis furent enregistrés sur les listes électorales. La manipulation de la liste électorale peut également consister à inscrire des électeurs loin de leur lieu de résidence lorsqu’ils sont soupçonnés d’aller à contre-courant de ce que veut l’autorité en place. À titre d’exemple, les électeurs de la collectivité des Oulad Lag’aass d’Amourj furent inscrits sur la liste de Bassikounou, soit à 150 km plus au Sud, lors des élections de 1951, opposant Horma Ould Babana à Sid El Moctar Ndiaye (paix à leur âme tous les deux). Cette pratique a été maintes fois constatée en Mauritanie.
2- La falsification des identités est toujours possible. Celui qui ignore les Mauritaniens est le seul à les croire incapables de falsifier leur nouvelle carte d’identité quand cela leur rapporte un sou. Avant et durant chaque élection, des chantiers s’ouvrent aux quatre coins de chaque ville pour émettre des milliers de cartes d’identité en appui au candidat du pouvoir en place. Sans doute était-il plus facile d’y arriver lorsque les imprimeries locales pouvaient livrer des imprimés de carte d’identité nationale avec le timbre de la Direction générale de la Sûreté. En cette période, le tristement célèbre Parti républicain démocratique et social (PRDS) se plaignait de ses concurrents dans le domaine de l’usage de faux et utilisait la Police pour leur faire peur. A telle enseigne qu’après avoir été informé une fois par un dignitaire de ce parti de l’existence d’une fabrique de fausses cartes d’identité, l’auteur de ces modestes lignes ordonna d’arrêter les coupables de ce forfait. Mais à sa surprise, la Police tomba sur un gisement à ciel ouvert de fausses pièces d’identité au service au délateur lui-même.
3- La pression des autorités territoriales sur les chefferies traditionnelles est au centre du système électoral mauritanien. Il n’y a pas longtemps que le Ministère de l’Intérieur payait des subsides annuels appelés cadeaux-soldes à 713 notables assurant la chefferie d’émirats de confédérations tribales, de tribus, de fractions de tribus, de Rkiza (clans), de cantons ou de villages. L’efficacité de la pression est si grande que les leaders coutumiers jouent – et ils en sont fiers- le rôle d’auxiliaires des autorités territoriales dont ils exécutent les ordres sans tergiversation ni murmure. On se souvient bien de ce festival qu’organisait annuellement le chef de subdivision de l’une de nos principales villes pour faire chanter et danser publiquement ses chefs traditionnels. Le pouvoir en place profite du mode de sédentarisation faisant correspondre l’identité spatiale à l’identité onomastique comme l’appelle Jacques Berque. Chaque urne (Caisse) porte l’emblème d’une famille garante de son « bon » contenu. Dans les zones rurales, se confondent automatiquement les identités spatiale, familiale et électorale. On a vu des chefs traditionnels chasser de leur village des représentants de candidats opposés à celui du pouvoir, après les avoir traités de pires ennemis parce qu’ils n’ont pas accepté le bourrage des urnes. Il suffit que l’instruction soit donnée de bouche à oreille par les walis, les Hakems et même les commandants de brigade de gendarmerie pour qu’elle soit exécutée par les satrapes traditionnels. Mais ces derniers n’en ont plus besoin, à moins d’être vraiment de mauvaise foi, car les réflexes sont bien enracinés et la machine est « bien huilée », comme l’avait dit le Secrétaire fédéral du PDRS du Hodh El Gharbi à un wali relevé de son poste en 1994 pour avoir voulu observer un minimum des règles de transparence électorale.
4– La désignation sélective des bureaux de vote dont les présidents ont pour prérogatives d’en assurer la police d’ordre. Ces responsables ont souvent commis un excès de pouvoir en chassant de leur juridiction des représentants de listes qui leur paraissaient trop regardant en se prévalant du fait que les victimes ralentissaient le déroulement du scrutin. Quand les présidents de bureaux de vote étaient soupçonnés de sympathie pour un candidat indésirable, les Hakems n’hésitaient pas à les remplacer, au nom du principe de la continuité du service public.
5- La manipulation des bulletins de vote revêt deux formes essentielles depuis l’avènement du bulletin unique. Le vote multiple est toujours permis par l’existence de doubles cartes, surtout lorsque les membres de bureau manquent de vigilance ce qui est souvent le cas à cause de la faim d et de la soif. Quant à l’encre, elle est bien délébile et non distincte quand les femmes se mettent du henné sur le bout des doigts. Mais ce n’est pas tant le double vote qui peut bouleverser fondamentalement le résultat d’une élection présidentielle. Le plus grave réside dans une nouvelle pratique consistant à corrompre un électeur, de lui fournir un bulletin sur quel le vote a déjà eu lieu et de lui demander de retourner au corrupteur le bulletin qu’il a pris du bureau de vote. Ceci explique, d’une part, le nombre considérable de bulletins sur lesquels on a voté deux fois et, d’autre part, l’existence de tas de bulletins aux mains de personnes qui ont de l’argent pour acheter le choix des électeurs
6- Le changement à la source des résultats du vote est une pratique courante. Dans de très nombreux cas, les candidats autres que ceux du pouvoir n’ont pas les ressources pour avoir des représentants dans la plupart des bureaux des zones reculées du pays où le niveau d’instruction est fable et où l’isolement des populations les rend vulnérables au chantage des chefferies traditionnelles et des moindres porteurs d’uniforme. Ensuite, lorsque les candidats de l’opposition arrivent à mettre en place, dans ces zones, des représentants, ces derniers sont rarement d’un niveau permettant d’avoir la vigilance nécessaire pour éviter la triche. Enfin, il est arrivé plus d’une fois que ces représentants soient soudoyés pour acheter leur silence.
7- Et si les manœuvres précitées n’arrivent pas à produire le résultat escompté, l’importance des enjeux peut être telle que se déclenche un autre processus que l’on peut appeler le syndrome Moshod Abiola. En 1992, des rumeurs persistantes firent état d’une volonté de renverser la table en annulant les élections présidentielles pour éviter l’installation de M. Ahmed Oud Daddah au pouvoir. En 2008, le renversement de M. Sidi Ould Cheikh Abdellahi procédait de la même logique et l’on pouvait bien s’y attendre, comme l(ont fait les auteurs d’un fascicule paru avant les élections d’avril 2007 et intitulé « La Mauritanie , maintenant ou jamais ». Ce ne sont pas les arguments ne manquent pas pour justifier une telle revanche sur la transparence, surtout lorsque ceux qui tiennent les vrais leviers du pouvoir ont peur de devoir rendre des comptes.
Souhaitons de tout cœur que notre pays n’en arrive pas là et que notre peuple et son élite fassent la preuve de leur maturité.
Isselmou Ould Abdel Kader