Le recueil de poèmes de Thierno Tandia, qui paraît à l’Harmattan en ce début d’année est un joyau à porter au cou de la littérature mauritanienne.
Un joyau parce que symbolique et reflet de la riche diversité culturelle du pays dont est originaire Thierno Tandia, l’ auteur du célèbre poème « An sondomen wasa » (Dénoue ton cœur) écrit à Néma en 1988 et qui fut traduit en arabe et en français et lu à la faveur de la semaine Paroles d’Écrits…la littérature soninkée, en soutien au 3ème FISO (Festival International Soninké) qui eut lieu du 20 février 2014 à IFM de Nouakchott.
« Le poème est une chique, un éternuement
Le poème est mon amant, un confident
Le poème est un engagement, un œil »
Thiero Tandia a pris soin d’expliquer (Soogofunsu Grains de millet)le titre de son recueil, publié en soninké et français parce qu’il l’a voulu accessible à plus que les seuls locuteurs de sa langue.
« Soogofunsu (sing soogofunse) : si sooge renvoie au millet à l’origine, il désigne aussi des prénoms (chez nous ce sont les femmes qui le portent). Quant à funse, il renvoie au grain, à la graine, à la progéniture. Ainsi, soogofunsu s’adressent aux êtres humains, aux soxoodu (semences) que nous sommes. » A-t-il rigoureusement écrit en note de bas de page dès l’introduction.
Ainsi, on entre dans le recueil en dénouant son cœur ! « An sondomen wasa », parce que l’on se disposera à recevoir ce qui est partagé généreusement : les graines sources de production ! Et ce qui se partage c’est la culture. Celle que la houe et la daba produisent et celle que le calame et la tablette entretiennent. La culture matérielle et spirituelle qui se condense dans le poème comme ceci lorsque la houe prend le sens de l’écritoire :
« Tonge
Nda in tongen mundu biten di, xalibe
Tirinqisiyen da in kiña siŋan ŋa, salabe
Fonyaaten bogu do tumuja, o jaagabe
Yittinñiimun fuuti xawoye o gasanbe
Konbe da in sugundi, ke konbotorobe.
Tonge
« J’ai cherché mon écritoire dans l’obscurité
Je l’ai saisie avec la fureur du félin affamé
Chassant le gibier pour reprendre des forces
Avec lesquelles la bauhinia remonte la sève
Qui irrigue les seins nourriciers de tout être. »
La traduction étant trahison de sens, la houe cherchée dans l’obscurité est exprimée en soninké…Il y a à se demander pourquoi l’auteur a préféré dans la version en français parler d’ « écritoire » au lieu de « houe » ou de « daba » alors même qu’il y conserve le titre soninké « Tonge » ! De plus, dans ce poème écrit en 1999, à Kiffa dans l’Est mauritanien, on a l’impression d’avoir à écouter un affamé de savoir qui finit par avoir besoin d’assouvir un désir broyant de nourriture revigorant. C’est que « le poème est un verbe contradicteur » qui se prête fondamentalement à l’interprétation, à l’extrapolation! La richesse thématique du recueil de Tandia en fait un trésor inépuisable pour qui sait fouiller dans les entrailles des mots qui y sonnent parfois avec un ésotérisme implicite…C’est surtout que les grains du millet sont aussi, des pépites d’or. Comme celles qu’apportaient les saisons pluvieuses du Wagadou légendaire, peut-être? Qui sait! La parole est au poète qui conseille ceci:
« Sois pluie, les rivières s’enrichiront d’espèces
Sois pluie, la savane portera des inflorescences
Sois pluie, l’humain s’épanouira de Clémence
Sois pluie, tu infiltreras la terre de ta substance
Sois pluie, tu embelliras les cœurs de tolérance
Sois pluie, tu pèseras les parts avec conscience
Sois pluie, tu effaceras les mœurs en disgrâce
Sois pluie, les jeunes plants feront ’abondance
Sois pluie, l’humanité sera avide d’indulgence. »
K-Tocka