C’était en 2001, il y a de cela 23 ans que nous quittait Ousmane Moussa Diagana, professeur de linguistique, chercheur et écrivain mauritanien. C’était une personnalité hors du commun qui a eu à marquer d’une empreinte indélébile tous ceux qui ont eu à le connaître de prés ou de loin. Au premier abord, on est frappé par ses qualités morales et intellectuelles. Ousmane Moussa Diagana était un homme au commerce agréable, un philanthrope, un patriote, un géant de la pensée.
La dernière fois que je lui ai rendu visite remontait en 1999. Il revenait de la France avec dans ses valises son nouveau recueil de poèmes, Cherguiya . Il m’a gracieusement offert un exemplaire. Après avoir dévoréles pages de cette belle œuvre poétique qui, à n’en pas douter, est venue enrichir la littérature mauritanienne, l’idée m’est venue de consigner mes impressions dans un article publié dans La Nouvelle Expression, numéro 12, en date du 4/10/1999.
CHERGUIYA(ODES LYRIQUES A UNE FEMME DU SAHEL)
ÉDITE PAR LE BRUIT DES AUTRES
Lorsque les dernières lueurs auront disparu, l’ écho d’une voix lointaine est là pour les ressusciter, pour les chanter avant la pointe du jour qui épouse la silhouette fugace de Cherguiya. Cherguiya est femme (celle de l’est ), Cherguiya estmémoire. Elle est ce pont jeté par le poète entre deux mondes afin que les soupirs les plus sourds du silence y passent.
Le poète symbolise icitous ces soupirants qui souffrent en silence, éperonnés par une « passion folle, folle » que le poids pesant de la société rejette dans les « éclats de l’inarticulé ».Saura-t-il la pousser loin cette passion et carresserce vieuxrêve? La question reste en suspend, comme Pénélope, il faut tisser de nouveau la toile.
Et pourtant, c’est au nomde l’espoir et de l’unité que chante le poète Ousmane Moussa Diagana, lui dont la quête altérante est récompensée par une inspiration jaillie de l’est, sur les sommets des Hodh mauritaniens, une région chargée d’immenses ressources poétiques : un véritable carrefour au temps du commerce transharien. La substance de tout cela, c’est Cherguiya :
« Je suis mémoire
Des cités enfouies
Des cités oubliées
Des cités naissantes
Et debout. »
Cette contrée, nouvellevoie explorée par le poète est aussi le symbole de la pointe du soleil, en un mot un point cardinal que tente de suggérer un long chapelet d’expressions extraites par exemple du poème luminaire :« L’œil strié de feu », « les éclats de l’inarticulé », « la blancheur de l’œil », « la peau d’ambre ».
Même si ce n’es pas l’orient asiatique qui a tant inspiré certains poètes occidentaux en quête du nouveau, il n’en demeure pas moins que Ousmane Moussa Diagana nous entraîne dans un univers où les fragrances du « musc » et de « l’ambre » s’évaporent à peine, et à juste titre car d’elles se dégage une grâce incontestable que couvent des colliers de perles et d’ambres jaunes.
Et c’est en tant que linguiste averti que le poète tente de magnifier « l’ambre » qui sans être « l’ombre »,l’associe dans les méandres du langage : « aphasie », « inarticulé », « distorsion vocale »…
Mais projetés, les mots sont capables d’exprimer les sentiments multiples à travers le prisme des organes de sens :l’œil pour contempler la beauté de « la peau d’ambre », l’oreille pour écouter « les résonances du Couchant », le nez pour sentir les « parfums»…et que dire du sixième sens, si non que d’exprimer l’neffable que sont les quatre éléments : l’eau, l’air, le feu et la terre.
En fin de compte, s’il était besoin de parler simplement des « odes lyriques à une femme du Sahel », comme l’indique le sous-titre, des milliers de textes auraient été tiré de l’ombre et auraient noyé Cherguiya. Mais l’originalité est cette façon particulière de comprendre la réalité et de lui donner un cachet poétique car les poèmes sont aussi mémoire, labile, elle aura été une dune de sable rétive à toute écriture. Alors, pourquoi ne pas forcer la mémoire, la creuser car quand tout aura moisi dans la poésie, l’amour est là pour s’élever dans les airs, telle une « symphonie » d’où sourd un nom, Cherguiya, femme de partout et de nulle part.
Traoré Souleymane
LA NOUVELLE EXPRESSION Numéro 12