Chaque jour, 3 milliards de personnes vont au lit sans avoir bien mangé.
Les derniers chiffres publiés dans le rapport SOFI de la FAO indiquent que 2,4 milliards de personnes dans le monde sont en situation d’insécurité alimentaire. En 2022, entre 691 et 783 millions de personnes souffrent de la faim et 148,1 millions d’enfants de moins de 5 ans ont un retard de croissance dû à l’insécurité alimentaire.
Ces chiffres alarmants ont été présentés au cours d’un panel sur la question à l’occasion des 50èmes assises de l’Union Internationale de la presse francophone (UPF).
Ce panel de haut niveau était composé de Mohamed Béavogui, ancien Premier ministre de la République de Guinée, ancien Sécrétaire Général Adjoint des Nations Unies et premier directeur de African Risk Capacity. Béavogui fut aussi directeur Afrique du Fonds international de développement de l’agriculture (FIDA).
Avec près de 40 ans d’expérience internationale Mohamed Béavogui est membre de plusieurs panels axés sur les questions régionales et mondiales liés au financement du développement, à l’investissement, au développement rural et à la sécurité alimentaire.
Donc ce panel il y a Dr Papa Abdoulaye Seck, membre titulaire de l’académie mondiale des sciences (TWAS), membre de l’académie d’agriculture de France, membre titulaire de l’académie africaine des sciences. Il fut ministre de l’agriculture et de l’équipement rural du Sénégal et ambassadeur auprès de la FAO. Il fut aussi DG de Africa Rice qui est l’un des 15 centres internationaux de recherches agricoles du monde(CGIAR).
3ème panéliste, Dr Mohamed Anouar Jamali CEO de OCP Africa depuis 2020, ex membre du directoire du Groupe SNTL et directeur Général délégué de « Tamayuz Supply Chain », pôle d’innovation et d’excellence du groupe puis DG de la filière « Logdev Africa ».
Enfin Coumba Dieng Sow, citée en 2022 parmi les 100 femmes les plus influentes d’Afrique pour son travail éffectué pour le renforcement des systèmes agro-alimentaires au profit des populations les plus vulnérables au Sahel et aujourd’hui au Rwanda où elle est Représentante Résidente de la FAO.
Autosuffisance, Souveraineté et sécurité alimentaires : une grave confusion
Intervenant au sujet des définitions de certaines notions courantes, Dr Papa Abdoulaye Seck a souligné qu’il existe une confusion conceptuelle grave entre les notions d’autosuffisance alimentaire, souveraineté alimentaire et sécurité alimentaire.
S’agissant de l’autosuffisance alimentaire, on évalue à partir du volume produit dans le pays, ce qui dit-il est une erreur car il ne s’agit pas d’une rencontre entre l’offre et la demande.
En effet, l’autosuffisance suppose une offre stable, suffisante en quantité et en qualité, supportable pour le consommateur et bénéfique pour le producteur.
L’offre domestique est souvent supérieure à la demande mais malgré cela on continue à importer. Et Mr Seck de donner l’exemple de l’oignon au Sénégal où parfois le volume dépasse les besoins mais il y a des pénuries.
S’agissant du concept de la souveraineté alimentaire, c’est un concept à la mode souligne le panéliste qui dénote d’une perte de confiance des africains vis-à-vis du marché international.
Avec les crises du Covid et de l’Ukraine, il s’avère néanmoins que le monde ne nourrit pas l’Afrique.
Le sommet mondial de l’alimentation en 1996 présente ce concept de souveraineté alimentaire comme un droit fondamental mais pas comme un objectif de politique agricole.
Quant à la sécurité alimentaire elle est définie par la FAO comme suit. Quelque soit l’espace considéré on doit trouver une sécurité alimentaire avec une disponibilité et une accessibilité. Il s’agit d’une approche quantitative et nutritionnelle.
« Consommer ce que nous produisons », un slogan pas réaliste
Et pour construire une sécurité alimentaire il y a 3 variantes : production/Importation/Exportation.
Selon Dr Seck, le slogan : « Produire ce que nous consommons, consommer ce que nous produisons » ne tient pas la route.
Est-il possible d’appliquer cette formule ? Le spécialiste répond par la négative.
Sinon, l’Afrique serait amenée à abandonner le riz et les européens à délaisser le café et le chocolat.
Une telle approche signifierait le fait de décréter des changements de mode de consommation, ce qui n’est pas simple.
Ainsi pour le conférencier il est important de ne pas confondre la disponibilité et l’accessibilité des produits. Il s’agit aussi de concilier les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs. Donc si le marché international peut disponibiliser un produit à un prix plus concurrentiel il n’y a pas de raison de ne pas en profiter.
Le conférencier a par ailleurs attiré l’attention sur la faiblesse des quantités commercialisées sur le marché international avec seulement 7% des quantités de riz produits dans le monde, 20% des quantités de blé et 17% pour l’ensemble des céréales.
C’est donc une quantité infime, tout à fait résiduelle qui est commercialisée.
Abordant le rôle des Mohamed Beavogui, a mis en exgue l’importance de ce rôle dans la résolution du problème de l’insécurité alimentaire.
Pour lui, le premier rôle du journaliste est « d’informer sur les meilleures connaissances pour une bonne production, d’informer sur les disponibilités, sur les contraintes, sur les marchés ».
Le deuxième rôle, a- t-il dit, c’est « d’alerter car la sécurité alimentaire est sujette souvent à des crises et il faut alerter suffisamment tôt pour permettre aux gouvernants et au grand public de répondre rapidement ».
« En troisième lieu, le journaliste doit également procéder à des analyses, faire de l’investigation de ce qui se passe en milieu rural, de discuter avec les gens, d’écouter les paysans et de passer l’information », a souligné M. Béavogui,
En gros, a t-il relevé, « dans le domaine de la sécurité alimentaire, nous avons besoin de journalistes qui apportent des solutions et qui accompagnent les efforts louables des paysans ».
Pour Mr Seck, la presse peut aider mais peut aussi compliquer les choses en parlant d’éléments qu’elle ne maîtrise pas. De ce fait affirme-t-il, il convient de sensibiliser les journalistes sur les réalités et les bonnes pratiques culturales.
Les médias doivent être capables de faire remonter les préoccupations jusqu’aux décideurs et contribuer à réorienter le narratif en se concentrant sur les initiatives positives et ainsi susciter une meilleure compréhension de ce défi.
Aujourd’hui les médias se focalisent sur une information de crise (guerres, luttes politiques, etc) et on ne parle pas du paysan, alors que si on en parlait il y aura moins de conflits et partant moins de problèmes, conclut le conférencier sur ce point.
Pour l’ex premier ministre guinéen, par rapport à la sécurité alimentaire l’Afrique est effectivement en crise. Et parmi les causes il y a le Covid mais aussi les changements climatiques(CC).
Avec les CC dit-il, les agriculteurs ont besoin de semences adaptées à cycle court. En effet, aujourd’hui il arrive que la saison des pluies commence en Mai au lieu de Juin et finit en Août.
Il convient aussi selon Béavogui de donner plus d’importance aux petits producteurs car, 70% de ce que nous mangeons est produit par les petits agriculteurs, souligne-t-il.
C’est pourquoi le FIDA s’occupe des populations rurales les plus démunies, en s’appuyant sur les études de la FAO, présentée comme le plus grand bureau d’études du monde.
Le FIDA s’appuie par ailleurs sur les Etats membres pour financer ses plans triennaux. Mais les demandes en financements sont énormes et il n’ y a jamais suffisamment de ressources.
De 2025 à 2027 le FIDA envisage la levée de 10 milliards de dollars pour son plan triennal mais parmi les 195 pays membres, le meilleur contributeur a avancé 150 millions de dollars, ce qui est tout juste l’équivalent de la somme nécessaire pour balayer un pays de l’OCDE, regrette Mr Béavogui.
A noter que le FIDA prête à des conditions favorables avec un taux d’intérêt zéro. Et il donne la priorité aux emprunts souverains.
Mais grâce à son évaluation et à sa notation 2A, le FIDA a la possibilité de lever des fonds sur les marchés financiers.
Pour sa part, le CEO de OCP Africa a déployé l’approche de son institution pour répondre à l’insécurité alimentaire.
En effet l’Office Chérifien des Phosphates (OCP) est leader mondial dans le domaine des angrais. Et pour Mr Jamali, l’agriculture est un facteur de croissance car plus de 60% des africains y travaillent.
Et l’Afrique dit-il aura à nourrir 2 milliards de personnes en 2050. On parle de 35 milliards de dollars d’importations alimentaires rien que pour l’Afrique de l’Ouest. Ce chiffre a triplé selon la Banque Mondiale.
50% de la nourriture consommée est faîte grâce aux angrais minéraux.
L’OCP a cartographié 50 millions d’ha. Et grâce à une approche scientifique il contribue à révolutionner la production agricole dans plusieurs pays du continent, comme en Côte d’Ivoire avec la création de la Digital Farmer School, une approche pédagogique innovante qui promeut l’agriculture de précision.
Des projets similaires sont en cours en Guinée, au Sénégal et au Mali.
L’Afrique, avenir du monde en matière d’agriculture
Revenant sur les opportunités qu’offre le continent, Dr Seck est formel : l’Afrique est l’avenir du monde en matière d’agriculture. Mais prévient-il, un potentiel non exploité est du bois mort.
A l’heure actuelle l’Afrique n’exploite que 4% des ressources en eau renouvelables. Elle enregistre les rendements les plus élevés en riz. C’est l’Egypte qui détient le record et non l’Asie comme on le pense.
Actuellement, le rendement réel est d’environ 40% en Afrique d’où une très grande marge de progression grâce aux conditions favorables (abondance de terres et d’eau).
Et pour le Dr Seck il convient de décomplexer la révolution agricole et la presse doit aider en cela.
Cela est possible en utilisant les innovations technologiques avec l’amélioration des semences de riz afin d’avoir un surplus de production en plus de la bonne qualité. On peut aussi agir sur les variétés à cycle court…
Il faut aussi ajoute le Dr Seck des exploitations familiales très fortes et un secteur privé dynamique, en plus d’une bonne législation foncière.
En effet, les problèmes de l’agriculture en Afrique se trouvent à 30% dans les champs et 70% hors des champs.
Donc pour faire une bonne agriculture, il faut des infrastructures de base, de l’électricité et il faut que les jeunes y trouvent leur compte.
Par ailleurs, le prix du transport ne doit représenter que 30 à 40% des transactions. Aujourd’hui, les pertes post-récoltes se situent entre 25 et 100%.
Pour Dr Seck une réduction des pertes post-récoltes se traduit automatiquement par une réduction des importations (10% pour le Sénégal).
Il faut aussi une recherche agricole forte. Actuellement on compte 57 chercheurs pour 1 milliard d’habitants en Afrique contre 5573 chercheurs pour 1 milliard d’habitants au Japon.
Le budget agricole doit aussi être revu à la hausse. Il n’est que de 3% actuellement.
Et pour la conception de la politique agricole, Dr Seck préconise une co-reflexion avec tous les acteurs du secteur au lieu de continuer l’approche dirigiste.
Ainsi toutes les conditions sont réunies aujourd’hui pour que l’Afrique prenne la relève. En Asie il n’y a plus d’eau, pas de terres et la démographie est galopante. L’offre agricole est en baisse. Les chinois commencent à importer.
En Afrique 12 millions de jeunes entrent sur le marché du travail chaque année. L’agriculture constitue pour eux un excellent créneau mais cela doit faire l’objet d’une politique bien pensée. Et pour le Dr Seck, 22 métiers agricoles ont été identifiés hors des champs. De ce fait il faut adopter une approche de chaîne de valeurs et considérer l’amont et l’aval comme un tout.
Quoiqu’il en soit concluent les experts, une paix juste et durable passe par la sécurité alimentaire.
Bakari Gueye