« Marchés du travail en Afrique du Nord : défis structurels, impact du COVID-19 et feuille de route pour faire face à l’après COVID-19 », tel est le thème du webinaire organisé ce mardi 23 février par le Bureau de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) en Afrique du Nord.
Ce débat qui a duré plus de quatre heures d’horloge a été rehaussé par la participation d’experts de haut niveau et de responsables d’organisations sous-régionales et internationales.
Cette rencontre fut une opportunité pour les experts de se pencher sur l’impact de la pandémie de la Covid-19 (et des restrictions mises en place pour limiter sa diffusion) sur les chaînes d’approvisionnement, le commerce, la demande des consommateurs, les attitudes vis-à-vis des risques ainsi que les activités commerciales en général à travers l’Afrique du Nord.
Les participants ont discuté de long en large de l’impact de la pandémie sur les marchés de l’emploi et particulièrement les catégories de travailleurs vulnérables telles que les jeunes, les femmes et les employés du secteur informel.
Autre volet abordé, les implications de la pandémie sur l’avenir de l‘emploi dans la région et comment les gouvernements peuvent adapter leurs politiques de l’emploi aux nouvelles réalités post-Covid-19.
Mot du SG de l’UMA
Ouvrant les travaux de ce forum Taïeb Baccouche, Secrétaire Général de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) a d’emblée remercié la CEA pour cette initiative qui dit-il entre dans le cadre de la transformation structurelle des économies de la sous région et saluant au passage la complémentarité de la CEA et de l’UMA pour l’intégration de l’économie de l’Afrique du Nord.
Le Secrétaire Général de l’UMA a souligné l’importance de cet événement, ajoutant qu’ils suivent de près ce qui se passe dans les différents pays où l’impact direct et indirect de la pandémie se fait bien sentir.
« Plus de 120 millions de personnes ont été affectés par la Covid et 2 millions en sont morts. »
Plus de 120 millions de personnes ont été affectés par la Covid et 2 millions en sont morts. Et en raison des restrictions des échanges économiques un grand nombre de travailleurs se sont retrouvés au chômage à cause de la stagnation de l’économie. Tous les secteurs sont touchés et particulièrement les secteurs du tourisme, des transports, de l’industrie…Ces problèmes poursuit le Secrétaire Général de l’UMA touchent tous les pays du monde et particulièrement les pays de la région.
Il a préconisé le lancement d’un plan de relance pour l’après Covid en tenant compte notamment par les catégories les plus affectés par la pandémie. Il s’agira de prendre des mesures pour stimuler l’économie, relancer les emplois et cela sera possible en boostant la demande des biens et services et en soutenant le secteur privé.
Pour Taïeb Baccouche, la situation actuelle impose une coopération sous-régionale et la mise sur pied d’une approche holistique. Et pour lui on peut se baser sur les recommandations des forums comme celui là pour relancer la coopération maghrébine.
Il convient de ce fait d’adapter un plan d’action qui tienne compte des spécificités de chaque pays et qui sera basé sur le capital humain. Ce plan commun adoptera une stratégie conforme à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine.
Cette rencontre devrait permettre de dégager des pistes de solution a conclu le Secrétaire Général de l’UMA qui a réitéré le soutien de son organisation aux pays membres en coordination avec les organisations régionales, sous-régionales et internationales, dans l’intérêt de l’intégration maghrébine.
« Faiblesse des réseaux de couverture sociale »
Pour la modératrice du jour ,Amal Nagah Elbeshbishi, Chef de la Section de l’emploi et des compétences pour un
développement équilibré, CEA-Afrique du Nord, la pandémie a eu un impact profond sur la sous région. Ils ont tous imposé des restrictions et l’impact sur le marché de l’emploi a été important. Ces chocs ont impacté l’activité de financement des entreprises. La situation a été aggravée par l’absence de réseaux de couverture sociale suffisante et cela a eu un impact négatif sur les populations. Il y a eu l’impact également sur les importations et sur tous les secteurs et il y en aura à long terme sur le secteur de l’enseignement.
Les défis de l’heure ajoute Amal Nagah Elbeshbishi se résument à l’incertitude liée à l’emploi et la formation, à l’absence d’une couverture sociale pour les travailleurs les plus vulnérables, ceux du secteur informel ; les jeunes qui occupaient des emplois précaires ont été aussi impactés, les femmes aussi. Celles-ci sont plus présentes (68% en Mauritanie, 61% au Soudan…), ce sont les premiers agents socio économiques affectées par le Corona, beaucoup d’entre elles travaillent dans le secteur de la santé.
Parmi les mesures qui ont été prises il y a le renforcement du secteur de la santé et l’amélioration des relations entre le patronat et les travailleurs.
« Nécessité d’un renforcement du capital humain »
Le marché de l’emploi en Afrique du Nord a besoin d’un soutien plus fort entre autre des mesures pour appuyer la formation du capital humain. S’agissant du transfert des technologies, le Maroc est le seul pays qui se rapproche des critères internationaux en la matère.
Mais il y a eu aussi des facteurs positifs tels qu’une forte demande d’emploi dans le secteur public et l’apparition de nouveaux modes de travail.
Entrant dans le vif du sujet, le Professeur Aomar Ibourk, Expert économiste et directeur de recherche à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech a fait les présentations suivantes : Marchés de travail en Afrique du Nord: défis structurels ; Marchés de travail en Afrique du Nord: Impact du COVID-19 et Marchés de travail en Afrique du Nord: feuille de route pour faire face à l’après COVID-19.
Marchés du travail en Afrique du Nord : Défis structurels
Au cours de cette présentation comme cela va être le cas pour les deux autres le professeur Aomar a suivi le même plan qui consiste à dresser d’abord l’arbre à problèmes, présenter ensuite les attentes et enfin proposer les solutions. Ces trois présentations constituent en fait les volets d’un rapport intitulé « Marchés du travail en Afrique du Nord : défis structurels, impact de COVID-19 et feuille de route »
Les principales tendances et défis du marché du travail ont été déclinés en 5 points: l’offre du travail en Afrique du Nord, la demande du travail, les défis du fonctionnement du travail, les principaux déséquilibres (chômage, inactivité / découragement, et génération de Jeunes) et la synthèse des principaux enjeux et défis.
« l’emploi n’est pas une simple résultante des politiques macroéconomiques et stratégies sectorielles et commerciales ».
Le professeur Aomar a présenté une vision holistique du marché du travail.
En effet, les questions du marché du travail sont complexes et transversales ce qui entraîne un changement de paradigme : l’emploi n’est pas une simple résultante des politiques macroéconomiques et stratégies sectorielles et commerciales. Il faut mettre l’emploi au centre de l’action publique et à en faire un levier de cohérence et de convergence des politiques économiques et sociales.
La région en phase de mutations multiples avec une transition démographique avancée accompagnée d’une urbanisation accrue, d’une hausse des besoins en termes d’accès aux services sociaux de base (éducation, santé…) d’où une forte demande sociale pour l’emploi décent.
S’agissant de l’’offre du travail en Afrique du Nord il y a l’aubaine démographique avec une sous utilisation quantitative et qualitative.
La transition démographique a induit une forte hausse de la population en âge de travail. Les personnes âgées de 15 à 64 ans représentent autour de 60% de la population dans tous les pays. L’explosion démographique, notamment des jeunes, persistera pendant au moins deux décennies. Les moins de15 ans représente entre un quart (Algérie, Maroc, et Tunisie) et deux cinquième de la population.
L’effet du dividende n’est pas mécanique, il reste subordonné à la capacité d’accélérer le processus des réformes en mesure d’améliorer le capital humain et partant la productivité du travail. Il s’agit de : l’éducation et les compétences; la santé et le bien être; la qualité des institutions; l’inclusion des jeunes; l’intégration économique des femmes, etc.
Le défi de la qualité de l’offre est là malgré une amélioration des qualifications. Outre l’amélioration de l’accès, le problème du décrochage reste à l’ordre du jour.
« Près de 59% des actifs occupés n’ont aucun diplôme et seuls 6,5% ont un diplôme d’enseignement supérieur (2017). »
L’offre du travail se caractérise par la faiblesse et la baisse des taux d’activité avec un faible niveau de qualification de la population active. Près de 59% des actifs occupés n’ont aucun diplôme et seuls 6,5% ont un diplôme d’enseignement supérieur (2017).
L’emploi informel représente une composante importante dans la demande, et est dominant en Mauritanie (91%) et au Soudan
(77%). La moitié des emplois sont à caractère vulnérables en Mauritanie, au Maroc et au Soudans; et les femmes sont les plus concernées. La couverture par les systèmes de protection sociale reste très limitée.
La structure de l’emploi est marquée par des mutations sectorielles lentes, mais en faveur de plus de productivité. La productivité a, en revanche, marqué une stagnation en Algérie, en Mauritanie et au Soudan depuis au moins 5 ans (approximativement depuis 2006 en Mauritanie et au Soudan).
Les marchés de la région sont caractérisés par une faible flexibilité.
L’intermédiation sur le marché du travail est caractérisée par une couverture incomplète de certaines catégories de la population active et de certains territoires.
Sauf en Mauritanie, les marchés du travail de la région s’avèrent rigides.
Les marchés du travail des pays de la région de l’Afrique du Nord sont pénalisés par la faible capacité à attirer et retenir les talents et le faible niveau de gestion professionnelle.
Parmi les principaux déséquilibres on note un chômage persistant et élevé conjugué à une croissance à faible contenu en emplois.
Une part élevée de jeunes ne sont ni en emploi, ni en étude ni en formation. Il y a donc un chômage persistant et élevé
Les principaux enjeux et défis du marché du travail sont une forte demande sociale pour l’emploi décent (transition démographique, urbanisation, accès à la scolarisation…) ; une faible création d’emplois (faible contenu de la croissance en emplois) ; l’inadéquation formation-emploi ; une sous utilisation de la force potentielle de travail (jeunes et femmes) ; la segmentation du système d’emploi (privé informel, privé formel, public) et une faible prévalence de l’emploi productif et décent, …
Marché du travail en Afrique du Nord : Impact de la Covid 19 :
Dans cette seconde présentation, le professeur Aomar a développé plusieurs points tels que la mise en quarantaine des facteurs de production, l’impact sur la demande: la croissance, la production et le fonctionnement des entreprises, l’impact sur l’offre avec l’hémorragie des emplois et les problèmes sociaux en perspective et les perspectives de la croissance et du marché du travail.
Pour les ménages il a noté la baisse des revenus, l’évaporation de l’épargne et une baisse de la consommation.
Pour les entreprises c’est le fonctionnement qui a été touché avec les fermetures et autres arrêts temporaires.
Il y a eu aussi l’interruption des chaines d’approvisionnement, la baisse de la production et la fragilisation de la situation financière.
Pour le secteur financier, on note l’évaporation de l’épargne, l’augmentation des crédits risqués, le report des investissements et l’augmentation de l’aversion au risque.
Pour les gouvernements ce sont les finances publiques qui sont touchées (baisses des recettes et augmentation des dépenses.)
A l’international ce sont les entrées et sorties des marchandises, des services et des capitaux (ex: les IDEs).
L’impact sur la croissance s’est manifesté par la contraction de la croissance dans toute la région, sauf en Egypte. Au Maroc la diminution est d’environ 7%, au Soudan et en Tunisie, la baisse relative devrait dépasser 7%.
L’impact de la pandémie sur la production sectorielle fut également important. Ainsi, les secteurs à risques élevés ou moyennement élevé participent au quart de la production en Algérie et en Mauritanie (28,3%), au tiers de la production en Egypte, au Maroc et en Tunisie, et à 41,6% au Soudan.
« Au Maroc (4400 entreprises touchées) et en Tunisie 2500. »
La quantification de l’impact reste limitée par la disponibilité et la qualité des données. Au Maroc (4400 entreprises) et en Tunisie 2500 entreprises).
En Egypte 61% des PME ont procédé à des fermetures ou des arrêts temporaires.
Au Maroc, 57% des entreprises (≈142 000 entreprises) en arrêt d’activité temporaire ou définitif.
Les entreprises impactées par la crise sont essentiellement de très petites entreprises (72%), des petites et moyennes entreprises (26%), et des grandes entreprises (2%).
Les secteurs à risque élevés et moyen-élevé constituent 51% de l’emploi en Tunisie, 39% en Algérie, 43% en Egypte, 43% en Mauritanie, 35% au Maroc, et 40% au Soudan.
Autre impact, celui sur l’offre avec une hémorragie des emplois et des problèmes sociaux en perspective.
« En Mauritanie, les travailleurs de l’agglomération de Nouakchott et de Nouadhibou étaient les plus concernés par les diminutions des revenus, avec un pourcentage d’environ 82%. »
Au Maroc, 59% des entreprises enquêtées par le Haut-commissariat au Plan (HCP) en juillet 2020 ont réduit leurs effectifs.
Il y a par ailleurs une proportion des emplois vulnérables relativement élevée parmi les jeunes. Ces parts sont relativement élevées au Maroc (+60%), au Soudan (60%) et en Mauritanie (53%) ; et se situent entre 20% et 30% dans le reste des pays de la région
Feuille de route pour faire face à l’après-COVID-19
Les recommandations à court terme avancées par le professeur Aomar se résument à ce qui suit : soutenir les entreprises et préserver les emplois ; soutenir les populations vulnérables et gérer les risques macroéconomiques.
Recommandations
Quant aux recommandations sur le moyen et le long terme elles consistent à l’accélération de la transformation des économies de la région. En effet, la structure des économies est peu favorable à la création d’emplois en volume suffisant ; deuxième recommandation, la réduction des différentes rigidités et imperfections des marchés ;
Ensuite l’amélioration du climat des affaires avec la réduction des restrictions à l’importation sur les biens intermédiaires ; le financement des dettes(Report de paiements, restructuration et rééchelonnement). Il y a également les subventions et le soutien aux entreprises qui doivent fermer ou qui ont réduit leurs activités; les taxes avec les réductions de taux d’impôt (crédits, dérogations
et reports) ; la personnalisation de l’aide et la coordination de son implémentation ; la multiplication des options et sources de financement ; faire de la formation un levier de résilience.
Les réponses des gouvernements devraient être personnalisées selon les secteurs, les tailles, l’âge et la structure des coûts des entreprises.
Il faut la promotion d’une plus grande formalisation de l’économie ainsi que l’élargissement de la base des adhérents aux régimes de couverture sociale et la promotion de l’indemnité pour perte d’emploi.
.Il faudrait également tenir compte des risques macro-économiques à surveiller. La pandémie a engendré un certain nombre de risques macro-économiques à surveiller, notamment en ce qui concerne les finances publiques et les marges de manœuvres fiscales avec notamment l’augmentation du déficit budgétaire et l’augmentation du ratio de la dette publique. Autres risques ; les baisses des investissements directs étrangers et des transferts des migrants et celles des recettes touristiques.
Les gouvernements doivent également s’employer à la réduction des différentes rigidités et imperfections des marchés.
Les experts présents à cette rencontre ont discuté à bâtons rompus des différentes questions soulevés par ce rapport.
Synthèse Bakari Guèye