Il est des êtres dont la disparition marque à jamais la mémoire collective. Une semaine après avoir été rappelé à son Seigneur, les hommages continuent d’affluer de toutes parts pour évoquer le souvenir d’un homme aux multiples vertus. Égrener tous les attributs qui siéent à ce dévot n’est pas chose aisée, tant ses qualités morales et humaines étaient immenses.
Nonagénaire jouissant de toutes ses facultés, Elhadj Mouhamadou Henda Wagué (Nka Banna pour les intimes) vient de tirer sa révérence laissant à la postérité un lourd héritage à porter.
Grand connaisseur de la « charia » devant l’Eternel, il faisait partie du cercle très restreint de ces savants rompus aux arcanes du « miraath » (science de l’héritage).
Homme de Dieu, il avait toujours la tête plongée dans les livres, et pas n’importe lesquels, faisant de l’acquisition perpétuelle du savoir un véritable sacerdoce. Très attaché aux liens du sang doublé d’un grand virtuose de la généalogie (à l’instar de son cousin germain Elhadj Youba Mama Sira), il savait être, en vrai sunpuran sire, à la fois rigoureux, courtois et taquin. Je me rappelle cet été pas si lointain, lors d’un de mes séjours au bled, lorsque je partis lui rendre visite, il m’interpella par cette phrase pleine de bonhomie: « maxa daga keta angama hoko » (ne retourne pas cette fois-ci sans avoir dit quelque chose), une allusion évidente à mon long… célibat.
Hamalliste jusque dans la substantifique moelle, il fut l’imam de la Zawiya de Kaédi, mission qu’il remplit avec dévouement deux décennies durant. Adolescents et même devenus adultes, nous buvions à la source intarissable de ses conseils et enseignements féconds qui continueront plus tard à guider nos pas frêles et hésitants.
Chose curieuse, la khassida « Burda » était toujours associée dans mon subconscient à Nka Banna. J’ignore ce qui a pu créer cette sensation, celle qui associe une psalmodie, une mélodie ou un moment de notre vie à une personne. Toujours est-il que c’est cette sensation que j’ai quand j’écoute, même aujourd’hui, « Bourda ». Cette célèbre ode de Boussayri au Prophète Mohamed (Pssl) était devenue pour lui une sorte de chasse-gardée dont il avait le don d’entonner avec sa voix à la tessiture si particulière.
Il y a une vingtaine d’années, lors de l’enterrement de mon père, qui fut son grand ami et compagnon d’infortune, Nka Banna s’était engagé personnellement, pelle à la main, à lui « confectionner » un… « lahd ». Le genre de tombe réservée en général aux saints et qui consiste à creuser, dans la paroi de la tranchée, un caveau du côté de la qibla où le défunt sera inhumé.
Avec la disparition de ce grand érudit, dont l’humilité (cette subtile harmonie entre la science et la modestie) le dispute à la délicatesse, la ville de Kaédi perd l’un de ses dignes fils, la jurisprudence islamique un de ses socles, et la communauté soninké une de ses lumières ! Un monument vient de tomber, une page de Kaédi vient de se tourner !
A n’en point douter, l’homme fait partie de la trempe de ces fidèles décrits dans la Sourate Ahzaab où Allah dit 🙁 مِنَ الْمُؤْمِنِينَ رِجَالٌ صَدَقُوا مَا عَاهَدُوا اللَّهَ عَلَيْهِ فَمِنْهُمْ مَنْ قَضَى نَحْبَهُ وَمِنْهُمْ مَنْ يَنْتَظِرُ وَمَا بَدَّلُوا تَبْدِيلًا ) [Il est parmi les croyants des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu. Certains d’entre eux ont déjà accompli leur destin, d’autres attendent leur tour. Mais ils n’ont jamais rien changé à leur comportement].
Ta vie n’a pas été vaine ! Tu es « mort » d’une « belle mort » ! Repose en paix cher grand-père ! Que Dieu te couvre de Sa miséricorde et t’élève au plus haut degré du Paradis ! Amine !
Oumar Bocar Diagana
Tunis ce 17 juin 2020