Ce que les Nouakchottois appellent la « crise des légumes » se fait sentir, depuis plusieurs jours, dans la capitale. On donne une explication : la rupture de la principale chaîne d’approvisionnement, celle en provenance du Maroc. Mais la raison profonde est ignorée par tous : nous mangeons ce que nous ne produisons pas.
Nos potentialités agricoles sont pourtant énormes. A l’image de ce que nous avons réalisé dans le domaine de la pêche, en réussissant à faire de ce secteur l’un des piliers de notre économie, nous pouvons également transformer la Vallée en zone de production de légumes et de fruits et ne plus dépendre, pour 75% de nos importations de ces précieuses denrées en provenance du Maroc, du Sénégal, du Mali et de l’Europe.
Pour ce, quand ça ne va pas (pour une raison ou une autre), le prix du kilogramme de tomates peut atteindre, comme en ces jours, 150 MRU (3,5 euros) et celui de carottes 90 MRU (2,14 euros).
Selon la Note de conjoncture de l’ONS (Office national de Statistiques) publiée pour le second trimestre de 2019, les importations globales mauritaniennes se sont chiffrées à 41.883 millions MRU (environ 985 millions d’euros). Elles sont en hausse de plus de 50 % par rapport à celles enregistrées sur le premier trimestre 2019.
Les importations de produits alimentaires arrivent en troisième position (16 %), derrière les produits pétroliers (29,7 %), et les biens d’équipements (29,1%). Ce triptyque représente 83,7 % des importations globales du trimestre. Chiffrées à 6.713 millions MRU (159 millions d’euros), pour le deuxième trimestre de 2019, elles sont en hausse de 38,9% par rapport au trimestre précédent.
Les principaux produits alimentaires importés sur le trimestre sont les céréales (20,6 %), le lait et produits laitiers, et les œufs (22,7%), les graisses et huiles animales ou végétales (14,0 %), les sucres et sucreries (12,1 %). Par déduction, on pourrait estimer à 29,6% nos importations en légumes et fruits sur un volume global évalué à 606.820 tonnes, sur la période prise en compte par la Note de Conjoncture de l’ONS.
Avec 27%, (4.541 millions MRU et 10,8 % des importations globales) les produits alimentaires constituent le premier poste des exportations africaines vers la Mauritanie. Ces importations proviennent principalement de l’Algérie (28 %), du Royaume du Maroc (23,9 %), du Togo (14,6 %) et du Mali (9,5 %).
Pour le deuxième trimestre de 2019, l’importation de 49.664 tonnes de « Légumes, plantes, racines et tubercules alimentaires » nous a coûté environ 460.322.756 MRU (10.9 millions d’euros). Sur la même période, la Note de Conjoncture de l’ONS indique que nous avons importé 12.157 tonnes de « Fruits comestibles, écorces d’agrumes ou melons » pour la valeur de 175.171.807 MRU (4,1 millions d’euros). Pour l’année finissante, une simple projection nous donne une idée de ce que coûte notre « droit à la paresse » (la formule est de Paul Lafargue) : 60 millions d’euros (2,5 milliards MRU).
Selon un journal marocain réalisant un reportage sur « Souk Al Maghrib » (Marché marocain, marché Socogim), « au fil des années, « Marsa Maroc » est ainsi devenu une importante plateforme régionale pour l’exportation d’importantes quantités de marchandises marocaines vers les pays voisins » et l’on estime « qu’entre 300 à 400 tonnes de fruits et légumes sont importés du Maroc chaque semaine. Cet espace commercial reçoit chaque semaine au moins 30 camions-remorques en provenance du Royaume. »
La problématique pour nous est de se demander comment faire pour économiser une bonne partie de ces ressources, ou l’orienter vers des domaines où notre action productive est encore limitée, si nous parvenons à produire la totalité ou l’essentiel de ce que nous consommons, en sachant que les conditions y sont favorables (favorisées) par une politique de diversification agricole, largement assumée par le gouvernement, et l’abondance en terres et en eaux propices à ce genre de culture dans les régions de la Vallée (Trarza, Brakna, Gorgol, Guidimagha), en Assaba (Kankossa), en Adrar (Atar) et au Hodh Chargui (Aménagement de Nbeiket Lahwach).
Faire de la diversification une vraie filière agricole
Si la Mauritanie a réussi, en partie, son ambition d’arriver à une autosuffisance en riz, en tablant, lors de la campagne agricole 2018-2019, sur une production record de 340.400 tonnes de riz, elle peine encore à orienter ses agriculteurs vers cette diversification agricole qui lui permettrait d’économiser ces centaines de millions d’euros dépensés chaque année en achats de fruits et légumes. Pour cela, il faut bien que l’option de la diversification s’appuie sur un véritable programme de développement, et non pas sur ces « appuis » que l’on apporte à des coopératives de maraîchages dont l’objectif premier ne dépasse pas la production pour une consommation locale. Hors, le problème récurrent est celui de l’approvisionnement d’une ville de Nouakchott qui, selon les estimations, abrite le tiers de la population du pays.
L’espoir est pourtant permis quand on regarde la panoplie de projets destinés à la diversification : Projet de Développement Durable des Oasis (PDDO), Projet d’Appui Régional à l’Initiative pour l’Irrigation au Sahel (PARIIS-MAURITANIE), Projet de Développement de la Résilience à l’Insécurité Alimentaire dans les pays du Sahel en Mauritanie (PDRIANSM), etc.
Pour ce dernier projet, la Mauritanie a obtenu, sous forme de don, un financement de 25 millions de dollars US (900.000.000 MRU) de la Banque mondiale destiné à « appuyer les efforts du gouvernement en matière de renforcement du secteur agricole et d’augmentation de la production. »
Démarré en, le Projet d’Appui à la Transformation Agricole en Mauritanie (PATAM), « est parfaitement aligné à la Stratégie de Croissance Accélérée et de Prospérité Partagée (SCAPP) qui vise entre autre à consolider le rôle du secteur agropastoral et faire de ce secteur une source de diversification et de croissance économiques », souligne le bailleur.
Dans ce programme, un volet dédié spécifiquement à la promotion de l’Entreprenariat des jeunes et des femmes, en raison de l’importance économique et sociale de ces deux tranches de la population nationale, avec l’aménagement et l’équipement de 200 ha de périmètres irrigués maraîchers.
Sur le site du ministère du Développement rural, l’on apprend également que des projets de ce genre (plusieurs dizaines de sites pilote) bénéficient de l’aide de l’Etat dans le cadre de cette politique de diversification qui peine à prendre son envol malgré les efforts consentis.
Mais il reste évident que c’est dans la zone de la Vallée que les opportunités sont réelles, à l’image de ce qui se fait déjà sur la rive gauche du fleuve Sénégal. Une révolution agricole, si elle doit avoir lieu dans les cinq prochaines années, doit avoir comme priorité d’orienter les agriculteurs vers la production, à grande échelle, de légumes et de fruits.
Cela exaucerait le vœu de cette citoyenne qui, pour montrer son agacement face à cette « crise des légumes » devenue récurrente, écrit sur sa page facebook : « Pour montrer son agacement, une dame de demande sur sa page Facebook : « Dans tout ce que nous consommons, tout nous vient d’ailleurs.
Exemple faire du thiebouden (riz au poisson) : rien n’est produit ici dans ce qui se trouve dans la marmite. Bon ! L’eau potable peut-être, le poisson, certains diront le riz. Nous avons tout pour être autonomes mais nous ne le sommes pas. Si les camions étrangers ne viennent, il y a une crise. Alors que nous avons tout pour produire ce que nous ne consommons. »
Sneiba Mohamed
(Article paru dans le journal Horizons du 29/10/2019)