Lorsque l’on parcourt les discours de Ould Ghazouani on ne saurait ne pas noter quelque chose d’inédit, qui tranche avec ce qui se faisait ou se disait, habituellement, jusques- là : il se déclare « président de tous les mauritaniens, ouvert à tous les acteurs politiques, animé d’une volonté de réforme, décidé à s’attaquer à tous les déséquilibres et à toutes les manifestations d’injustice, enclin à installer le pays sur le chemin de l’alternance démocratique, et à préserver, enfin, l’unité nationale » Même si ce terme reste de nos jours galvaudé, particulièrement avec Abdel Aziz…
Par Samba Thiam*
Avouons que ce sont là des propos réconfortants, qui font plaisir à entendre, même si deux ou trois actes forts auraient mieux parlé que tous les mots ; même si les mesures d’apaisement attendues demeurent insuffisantes –nos jeunes croupissent toujours arbitrairement en prison – ; même si le passé de nos régimes militaires incite à plus de circonspection …
Un chapelet de bonnes intentions, beaucoup de promesses que l’avenir confirmera ou infirmera….
Cela dit, à l’ examen de l’éventail des solutions préconisées des problèmes- évoqués à mi-voix -, on ne peut ne pas penser que ce Président , lui aussi, risque de faire fausse route, comme ses prédécesseurs qui se sont fourvoyés ; parceque l’approche est mauvaise tant pour les solutions, sectorielles, artificielles, préconisées , que pour l’attelage gouvernemental de technocrates, venu avant l’heure, malgré le frémissement, positif, consenti dans le partage du pouvoir en faveur de la composante haratine . Approche mauvaise globalement , disons-nous, qui prend l’effet pour la cause et aborde la question de ‘’l’Unité nationale ‘’ à l’envers, voire de travers …
‘’ Un pays, nous rappelait Yehdih , est d’abord fondé sur une volonté des diverses parties de coexister, de vivre ensemble dans la paix . Sans ce choix et cette volonté, c’est une partie perdue’’
En effet, on ne saurait résorber convenablement un mal, quel qu’il fut, si l’on ne pose correctement le diagnostic. Reconnaitre tout court que « l’Unité nationale est malmenée » sans se demander pourquoi ni comment cela est arrivé ne nous fait pas avancer !
Au lieu de partir de la clef de voûte qui sous-tend tous les maux -le Système-, on se dépêche de produire des solutions sectorielles, vagues, décousues … A titre d’exemple, le président se propose de consolider cette Unité nationale –j’entends telle qu’elle existe- ; comment consolider quelque chose de mal fait ?
Il parle de « faire jouer au secteur privé un rôle important »…
Mais, le faire sans réformer ce secteur-et même toute l’économie – aux mains d’une seule composante nationale n’est-ce pas reconduire l’iniquité actuelle, creuser davantage l’Unité ? « Accorder, par ailleurs, l’indépendance au secteur de Justice », à mi-chemin entre conservatisme et modernisme, que l’on sait monocolore et monolingue, n’est ce pas aller à rebours même de la consolidation de notre unité ?
Tout comme « développer l’agriculture » dans les conditions de spoliation actuelle des terres de la vallée du fleuve, sous le couvert d’une réforme foncière à deux vitesses, ne peut, en aucune manière, à mon sens, « renforcer notre cohésion sociale (ou nationale) », comme on le prétend, bien au contraire!
Que signifie, du reste, dans ce discours « œuvrer à la promotion et la valorisation de la culture et des Arts », dans un environnement où, jusque–là, une seule culture est restée, dominante, valorisée, assumée ?
Dans la même veine sont alignées en vrac des solutions vagues, artificielles, pour les secteurs de l’Education, de l’emploi des jeunes, des Forces armées, de l’agriculture, de l’économie, etc.
Non, il faudrait radicalement changer d’approche !
Le Tout est plus important que les parties, et de la solution du Tout découlera celle des parties. Partir donc de la cause première : un Système-clef de voûte- qui, partout, discrimine. Une discrimination –cause fondamentale- partout installée, qu’il faut débusquer dans sa nature et dans ses manifestations dans chaque secteur à ausculter. Mais également et surtout ne pas perdre de vue que ce qui fait le lit d’une coexistence pacifique, fraternelle, viable et durable , c’est l’Unité dans la diversité à travers l’égalité des langues et cultures , l’Unité dans l’équité et l’égalité des chances devant les opportunités, l’Unité dans l’égale dignité , c’est -à -dire dans la reconnaissance de chacun dans son altérité…
« la montée dangereuse de l’intégrisme religieux, intolérant que le Président Aziz instrumentalisa sans scrupules , la lutte affirmée contre la corruption »
‘’ Un pays, nous rappelait Yehdih , est d’abord fondé sur une volonté des diverses parties de coexister, de vivre ensemble dans la paix . Sans ce choix et cette volonté, c’est une partie perdue’’. Cette volonté de vivre ensemble devra justement , nécessairement, reposer sur ces paramètres là …
Veillons à ce que ce fil – désormais ténu – qui nous retient ne soit pas rompu .Ce serait une erreur de croire que la répression , rien que la répression suffit à étouffer les aspirations légitimes des peuples .
D’autres défis , non moins importants , m’ont semblé avoir été occultés ou absents dans ce discours d’investiture : la montée dangereuse de l’intégrisme religieux, intolérant que le Président Aziz instrumentalisa sans scrupules , la lutte affirmée contre la corruption -vecteur essentielle de la bonne gouvernance-, le problème d’ordre pour ne pas dire cette pagaille générale qui règne dans tous les secteurs de la vie publique , puis secondairement –secondairement ?- les montagnes d’ordures qui empestent notre capitale et ces meutes de chiens errant qui ne semblent plus gêner personne…
*Samba Thiam
Président des FPC
Source : Kaaw Elimane Bilbassi Touré (Facebook)