Depuis le coup d’Etat de 1978, qui marqua leur entrée par effraction dans la vie politique du pays, les militaires ont jusqu’ici réussi, contre vents et marées à se maintenir au pouvoir.
On doit reconnaître que les officiers mauritaniens ont bien assimilé les chapitres de leurs cours dans les académies militaires relatifs à la stratégie de conservation du terrain conquis en alliant la force (répression physique de toute velléité de contestation) et manipulation psychologique et idéologique des masses allant dans le sens de l’acceptation de la situation.
Dans ce qui suit, nous essayons de réfléchir sur les mécanismes mis en place par le putschiste multirécidiviste Général Mohamed Ould Abdel Aziz pour assurer la pérennité de la mainmise de l’armée sur le pouvoir en Mauritanie.
Avant de continuer, une petite précision: nous appellerons le président Ould Abdel Aziz par son titre de Général, car contrairement à ce que l’on pense « Général » est grade et titre. De ce fait on ne peut même pas parler d’ex Général, voir l’exemple du Général de Gaulle. Les putschistes mauritaniens ont tendance à vouloir gommer leur passé militaire dès qu’ils tronquent leurs treillis par des habits civils et se font appeler Mr…
Nous utiliserons le terme beydane pour désigner les arabo-berbères, appelé maures car c’est une auto appellation.
Revenons donc au Général Mohamed Ould Abdel Aziz
Par son cynisme, sa fourberie, son opportunisme, en un mot son machiavélisme, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz est parvenu à se maintenir 10 ans au pouvoir et réussit le 22 Juin 2019, par un coup de maître (de force) à faire accepter l’élection frauduleuse de son dauphin, le Général Ould Ghazouani. Nous reviendrons plus bas là-dessus.
Revenons aussi très rapidement sur la manière dont il a « roulé l’opposition » et la contestation de la société civile pour faire valider son coup d’Etat contre le président « démocratiquement élu » Sidi Ould Cheikh Abdallahi lors des accords de Dakar sous la médiation du président Abdoulaye Wade et de son brillant ministres des affaires étrangères d’alors, Dr. Cheich Tidiane Gadio.
A Dakar, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz réussit un coup de maître : l’opposition renonce à sa revendication du rétablissement du président déchu, donc accepte le fait accompli. La Général Aziz démissionne de son poste de président en laissant le président du sénat Feu Ba Mbaré assurer l’intérim, le temps qu’il se fasse élire par les urnes et reprendre ainsi la direction du pays.
Pour se maintenir au pouvoir et assurer la mainmise de l’élite militaro-tribale issue d’une petite frange de la communauté beydane sur les affaires du pays, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz a déployé sa stratégie sur le modèle suivant.
S’assurer le soutien des corps militaires
Il améliore sensiblement l’équipement de l’armée par l’acquisition continue de matériel militaires très performant, améliore la professionnalisation des armées et augmente sensiblement les soldes à tous les niveaux. Il permet aussi le recasement des militaires dans le « civil » en leur donnant le monopole des services de sécurités privés exigeant le port d’armes. Conclusion le corps militaire mauritanien devient une caste soudée et prêt à tout pour conserver les privilèges acquis, comme en Algérie ou en Egypte.
La promotion systématique d’officiers issus de la communauté beydane (96% des officiers supérieurs et Généraux, 70 % des officiers au sein des armés et corps paramilitaires lui permet aussi de créer une « solidarité tribale » autour de sa personne et pouvoir perpétuer, après son éventuel départ de la présidence, la domination de l’élite militaire beydane sur les affaires du pays.
Contenir la remise en question de l’hégémonie politique et économique d’une petite élite issue de la communauté beydane par les « autres »
L’un des actes forts posés par Général Mohamed Ould Abdel Aziz.a sans doute été « la prière des morts » à Kaedi, où il s’est engagé à trouver une solution au « passif humanitaire » (génocides, assassinats extra-judiciaires et autres crimes perpétrés conte la composante peule de la population mauritanienne) hérité de son Mentor le colonel Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya. L’obectif étant de gagner du répit en s’assurant le soutien des noirs dans la phase de consolidation de son pouvoir.
L’Histoire donnera malheureusement raison aux FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie) qui écrivirent « En tournée de précampagne électorale dans la vallée, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz président du HCE vient, dans un discours à Kaédi que les flagorneurs saisonniers du régime ont qualifié « d´historique », de clore définitivement, selon ses dires, l´épineux dossier du « passif humanitaire » et de tourner la « page faite d´atrocité et de grandeur d’âme, une page où le pardon et la miséricorde l’ont emporté sur l’aveuglement et l’obstination »(sic).
Sitôt élu président le Général Mohamed Ould Abdel Aziz chercha par de nombreux subterfuges à enterrer le dossier brûlant du passif humanitaire : indemnités dérisoires à quelques veuves et orphelins, retour « organisé » de quelques refugies qui ne recouvriront pas leur droits et dont plusieurs continuent de vivre dans des abris de fortunes.
Hanté et obsédé par le poids démographique de la communauté négro africaine et haratine, il va même jusqu’à accuser cette dernière de faire trop d’enfants, qui inéluctablement conduirait à une redistribution de cartes politiques et économiques, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz met sur pied un recensement biométrique pour tenter d’endiguer ce qui dans son esprit est une « déferlante noire ».
Sa manœuvre visant à déposséder les noirs de leur citoyenneté mauritanienne par le biais du recensement biométrique (enrôlement)n’ayant pas totalement réussit, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz poursuit la dénégrification des institutions publique (Armée, police, gendarmerie, garde nationale, douane nationale, justice, banque, administration, corps diplomatique, télécommunications (Toutes les TV et Radio sont entre les mains de personnes issues de la communauté beydane), par le recrutement exclusif, au moins dans les postes à responsabilité, procédure du reste entamé par ses prédécesseurs.
Organisation du « départ » du Général Mohamed Ould Abdel Aziz du pouvoir
Après avoir âprement pesé le pour et le contre, consulté ceux qui comptent au sein de l’armée, mais aussi les puissances étrangères qui l’ont soutenu jusqu’ici et s’être rendu compte qu’une violation de son serment constitutionnel conduirait à une crise politique dont l’issue ne peut lui être favorable, le Général Mohamed Ould Abdel Aziz se résolut à ne pas briguer un troisième mandat. Il résista aussi aux sirènes l’appelant à violer son serment, ce qui du reste est à saluer.
Le Général Mohamed Ould Abdel Aziz mis alors en place une stratégie machiavélique pour s’assurer une certaine impunité par rapport à sa gestion gabégiste du pays, le népotisme, son enrichissement illicite et celle de ses proches après son retrait du pouvoir. Il s’investit pour ce faire massivement pour que le pouvoir n’échappe pas à l’élite militaro-tribale issue d’une très petite frange de l’élite de la communauté beydane. Sa stratégie se déroulera comme suit
Acte 1 : Avant les élections
– Nomination des membres de la CENI issus presque exclusivement de son parti et des partis politiques qui le soutiennent, ce qui évite des « surprises » lors du comptage des voix et de la diffusion des résultats du scrutin
– Nomination des 2/3 des membres du Conseil constitutionnel qui appartiennent à son parti pour assurer la validité juridique des résultats « sortis des urnes »et proclamés par la CENI. Il mit M. Diallo Mamadou Bathia, son ancien « ministre de la défense », ancien chargé de redynamisation du Parti UPR, qui par sa grande fidélité aux régimes qui se sont succédés jusqu’ici et dont il a même plus confiance que son entourage, à la tête du Conseil Constitutionnel. Le Général Mohamed Ould Abdel Aziz ne veut prendre ici aucun risque.
– Choix du Général Ghazouani comme successeur.
Vu les impératifs sécuritaires (combat contre le terrorisme, G5 Sahel etc., le Général Mohamed Ould Abdel Aziz était sûr que l’occident et la France en particulier fermerait plus facilement les yeux, s’il l‘impose comme président, vu qu’il a en plus le soutien de ceux qu’on appelle « Forces de défenses et de sécurité »
Acte 2 : La campagne électorale
– Mise à la disposition de massifs moyens humains (ministres, fonctionnaires, gouverneurs, préfet, hiérarchie des « Forces de défenses et de sécurité », matériels et financiers de l’Etat en faveur du Général Ould Ghazouani
– Implication personnelle du Général Mohamed Ould Abdel Aziz dans la campagne électorale (en violation de la constitution). „Il n’y aura pas de second tour“ va-t-il clamer partout ou que ce serait le chaos qui suivra si son candidat n’est pas élu.
– Traitement inégal des temps de parole et de passage des candidats dans les médias nationaux en faveur d’Ould Ghazouani
Acte 3 Mise en place du hold up électoral ou nouveau coup d’Etat
– La campagne électorale ayant montré que le candidat Ghazouani est peu populaire dans les plus 65 % du corps électoral (il fut hué dans beaucoup de grandes villes du pays) et ne peut dépasser les 50% dans ces zones, le régime entreprit avec l’aide des représentants de la CEN, un bourrage systématique des urnes (nombre de votants plus élevés que le nombre d’inscrits dans les autres zones) où il se devait de gagner à plus de 90% pour avoir le pourcentage fatidique de 50% +…
– Ayant vu les tendances des votes qui n’allaient pas en sa faveur, le candidat Ould Ghazouani prend le contre-pied de la CENI et annonce, alors que 20% des votes n’ont pas encore été comptabilisé, sa victoire au premier tour. Le Général Mohamed Ould Abdel Aziz déploie tout de suite les forces armées pour intimider la population de Nouakchott et Nouadhibou (les deux grandes villes du pays.
– Vu l’ampleur du rejet des résultats proclamés par la CENI confirmant les chiffres déjà avancés par Ould Ghazouani par la jeunesse mauritanienne, et la situation quasi insurrectionnelle qui s’en est suivie dans les quartiers populaires de NKTT, Nouadhibou et plusieurs villes du pays, le régime du Général Mohamed Ould Abdel Aziz utilise à nouveau les vielles méthodes du putschiste récidiviste et aguerri qu’il est, pour imposer « ses résultats » avant leur validation formelle par le conseil constitutionnel et qui se caractérisent par:
– Usage disproportionné de la force par les « Forces de défenses et de sécurité » contre les manifestants
– Les réseaux internet sont bloqués
– Arrestations arbitraires et ciblés des partisans de Kane Hamidou Baba, particulièrement ceux issus de la communauté peule.
– Et pour couronner le tout, le ministre de l’intérieur sort la thèse du complot ourdi par l’étranger et soutenu par des éléments appartenant à la composante peule de la population mauritanienne et arrête le Président des Forces Progressistes pour le Changement(FPC), Mr Samba Thiam.
– Comme si la thèse du complot peul ne passait pas très bien, vu la dynamique unitaire des candidats de l’opposition, qu’il faut saluer en passant, et la maturités des jeunes mauritaniens de toutes les couches de la population, le régime utilise maintenant une nouvelle «arme de destruction massive », je dirais plutôt sa dernière cartouche : il essaie de dresser les harratines contre les peuls et briser la jonction entre ces deux communautés victimes de toutes les formes de discrimination et qui désormais combattent ensemble le système raciste et escalvagiste que soutiennent Abdel Aziz-Ghazouani. Samba Thiam et ses militants auraient voulu planifier l’assassinat de Biram Dah Abeid . Quelle grossièreté ?
Veut-on préparer l’opinion à l’assassinat de Biram Dah Abeid pour le mettre sur le dos des éléments de la communauté peule ? Faut-il croire Ciré Ba qui affirme que le régime de Ould Abdel Aziz-Ghazouani est en train de préparer un nouveau génocide contre les peules ?
Conclusion
En brandissant le spectre d’une possible confrontation interethniques et en montrant qu’il est prêt par différents moyens d’intoxication à attiser le feu dans ce sens pour rester au pouvoir coûte que coûte, le régime a pris de court les leaders de l’opposition et tout le peuple mauritanien.
Même dans leurs scénarios les plus cauchemardesques, les leaders de l’opposition n’avaient pas prévu que le régime userait de cette corde très sensible : transformer une crise politique post électorale en une crise ou conflits interethniques, comme le Candidat Ould Maouloud l’a si bien thématisé.
La peur de se faire prendre par le jeu du pouvoir et être coresponsables d’un bain de sang à cause d’une lutte pour le pouvoir, que le régime de Ould Abdel Aziz-Ghazouani par son cynisme n’épargnerait certainement pas aux mauritaniens, l’opposition fut ainsi obligée de baisser les armes.
Même le fougueux militant antiesclavagiste, le président du mouvement IRA, Biram Dah Abeid, candidat arrivé 2eme aux élections présidentielles, d’après les résultats de la CENI et du Conseil Constitutionnel, connu pour son courage et son opposition farouche au régime, privilégie une solution pacifique (le dialogue) avant d’envisager autre chose. Ce qu’il résume ainsi « nous prônons le dialogue (…) nous sommes tous d’accord à entamer les manifestations dans toutes les villes de Mauritanie, le moment opportun et si le pouvoir continue à faire des manœuvres dilatoires, sans souci de solutions sincères pour cette crise ».
De même que le régime du Colonel Ould Taya a été sérieusement ébranlé par la tentative de coup de d‘Etat du Commandant Saleh Ould Hannana qui mit à jour le manque d’unanimité au sein de l’armée le concernant, les contestations violentes du hold-up électoral perpétré par les généraux Aziz et Ghazouani par la jeunesse mauritanienne et qui fit leur perdre leur sang froid, montre que les jours du régime militaire en tenue civile est désormais comptée.
Le général Ould Ghazouani sera certainement investi Président de la République Islamique de Mauritanie le 1er Août 2019, mais s‘il n‘engage pas un changement profond de la mode de gouvernance du pays, il devra faire face à beaucoup de contestations, vu que les jeunes ont montré qu’ils n‘ont plus rien à perdre et sont désormais prêt à affronter les militaires s‘il le faut.
MBK