« En juin 2019, la Mauritanie élira un nouveau Président de la république et sortira normalement de l’ère Mohamed Ould Abdel Aziz qui aura duré presque 11 ans. Quel bilan économique peut-on dresser de cette époque et de ses réalisations au plan économique? »
C’est la question que nous avons posée à Dr. Mohamed Ould Mohamed El Hacen, Professeur d’économie et Consultant qui a bien voulu livrer à Initiatives News, de façon détaillée, sa lecture de ce qu’a vécu le pays durant les 10 années de pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz…
Chronique
En économie, contrairement à la politique, le bilan d’une ère qui s’achève, qu’on appelle en comptabilité « bilan de clôture », sera le « bilan d’ouverture » de l’ère qui pointe à l’horizon. Les actifs réels, non fictifs ou imaginaires, de l’ère de MOAAZ seront hérités par son successeur, les passifs aussi.
On dit que les « chiffres sont têtus et ne vieillissent pas » ; en économie ils ont souvent un fondement juridique contraignant et astreignant.
Les investissements réalisés au prix d’un endettement excessif, en devises et coûteux, par exemple, ne sont pas identiques à ceux financés avec des taux modérés grâce à une épargne locale suscitée ou encouragée par une politique économique et financière publique et nationale.
Normalement, le bilan économique du Président d’un pays, doit nous renseigner tant sur ce qui a été réalisé que sur les ressources mobilisées, pour ce faire, durant une période donnée, dans le cadre d’une stratégie économique globale bien définie et bien étudiée et servant la communauté et l’intérêt général, en mettant en évidence leurs valeurs quantitatives et qualitatives.
De plus, dans nos pays à ressources insuffisantes, il est nécessaire d’établir et de respecter une grille de priorités.
Le niveau et la nature des moyens et des ressources qui ont permis les réalisations à l’actif d’un gouvernement ou d’un président, ne sont pas neutres par rapport à leur appréciation et à leur évaluation. Ces ressources sont toujours prélevées, d’une manière ou d’une autre, sur les revenus présents ou futurs des citoyens, des contribuables.
L’absence de vulgarisation concernant les réalisations, et surtout les moyens qui les ont permis et les ressources qu’elles ont coûtées, rend tout travail d’analyse et d’évaluation, aussi bien pour le citoyen que pour l’expert, assez périlleux et aléatoire, quand il n’est pas impossible.
Aussi finit-il par en oublier l’origine et par croire que tout provient de la générosité d’un Président providentiel.
Une comptabilité à partie double, c’est-à-dire à deux colonnes, qui enregistre toutes ces données est indispensable pour faire le bilan d’un régime sur une année et, à fortiori, sur une décennie et plus.
Les équivoques sémantiques étant levées et les sens des mots définis, voulez vous que je vous parle d’inventaire ou de bilan?
Sans attendre votre réponse, je sais que l’inventaire des réalisations de MOAAZ » est disponible avec vos collègues de l’AMP et, peut être encore, avec l’UPR .Pour le nuancer ou en atténuer la luminosité et lui ôter ses enjoliveurs aveuglants, vous pouvez le soumettre à la lecture des experts du FNDU ou du RFD.
Mais je sais qu’en vous adressant à moi, vous parlez de bilan critique, et même plus, d’une évaluation économique et financière de ce bilan.
L’intérêt principal de cet exercice, pour qui connaît le contexte mauritanien actuel, est d’évaluer économiquement et financièrement, ce qu’il est convenu d’appeler les « les Réalisations économiques de Aziz» et d’éclairer, à travers vous, les lecteurs sur cette période.
Les « réalisations de MOAAZ » sont nombreuses. Elles sont généralement grandioses, visibles, parsèment, décorent et ‘’parcourent’’ le pays de long en large.
Comme je l’ai annoncé au départ, je ne ferai pas leur inventaire physique. Leur bilan économique et financier doit les situer dans le contexte, en déterminer la valeur quantitative et qualitative, examiner leur interaction avec les grands agrégats économiques et les secteurs de l’économie mauritanienne, leurs effets sur le fonctionnement de l’économie après avoir apprécié la qualité de leur gouvernance, leur coût, leur rendement, leur qualité et défauts intrinsèques.
Dans le vocabulaire des sciences économiques, « ces réalisations »qui sont, dans les bouches des hommes et des femmes politiques et des propagandistes des partis, s’appellent, en temps normal, les investissements publics. C’est par le biais de l’investissement public que toutes ces réalisations ont pu voir le jour.
Pour les évaluer au regard de la finance et de l’économie de notre pays, nous examinerons les points forts et les points faibles de l’économie mauritanienne qui ont une relation dialectique avec l’investissement public, qui sont étroitement imbriqués avec lui ainsi que les impacts positifs ou négatifs de ces réalisations sur les indicateurs économiques les plus significatifs: le taux de croissance, le niveau de l’endettement, les soldes des échanges commerciaux avec l’extérieur et le cours de change de la monnaie. Ces indicateurs ont le mérite et la particularité d’être établis à partir de statistiques fiables et le plus souvent fondées sur une comptabilité.
Croissance économique, mesurée par le Produit Intérieur Brut (PIB)
Je commencerai par exprimer mes réserves sur la pertinence, l’innocence, pour ne pas dire l’”honnêteté” de l’indice PIB qui masque volontairement ou involontairement nos réalités et qui est, aujourd’hui, incontournable dans toute analyse ou évaluation de la croissance d’une économie.
Le PIB, en plus de ces propres défauts et lacunes, n’est pas, de mon humble avis, l’indice le plus significatif pour un diagnostic véritable des économies de nos pays en développement, car il occulte l’évolution de l’enrichissement ou de l’appauvrissement des nationaux dont les revenus sont mis dans le même “panier” que ceux des résidents étrangers.
Le PIB comprend les bénéfices transférables des firmes étrangères et des multinationales, et il ignore les revenus des nationaux établis à l’étranger.
Je viens de faire part de ces réserves au Fonds monétaire international et à la Banque Mondiale qui l’utilisent systématiquement, à l’exclusion du PNB.
Il a néanmoins le mérite d’exister. Travaillons pour le moment avec cet indice, en faisant « contre mauvaise fortune bon cœur ».
PIB 2009 /2014
Négatif en 2009, pour la première fois dans l’histoire du pays, suite aux répercussions sur l’économie du coup d’état militaire, le taux de croissance du produit intérieur brut – PIB- s’est redressé à partir de 2012 sous l’effet de l’augmentation particulièrement forte des prix des matières premières: fer, or, cuivre, pour atteindre 5,8% en 2012, 6,4% en 2013 et 5,8% en 2014.
Cette augmentation des recettes des entreprises minières a eu l’effet d’un’’ tsunami’’ financier qui a inondé les caisses des entreprises minières et, par ricochet, celles de l’Etat et qui a tout emporté sur son passage, causant d’énormes dégâts à notre économie nationale, nous dirons, plus loin, pourquoi et comment.
Une gestion rationnelle et prudente aurait dû dicter aux Pouvoirs publics d’utiliser une partie de ces recettes exceptionnelles pour rembourser, par anticipation, une partie de la dette extérieure ou au moins de s’abstenir ou de ralentir le recours à l’endettement. Une autre partie aurait pu être gardée comme réserves ou provisions à caractères de réserves par la SNIM pour faire face à un retournement de conjoncture prévisible et récurrent dans le secteur.
Ne parlons pas des générations futures !.
La grande erreur stratégique, fatale pour la Mauritanie, dans « l’ère de MOAAZ», comme vous l’avez surnommée, et comme nous le démontrerons plus loin, a été d’avoir outrepassé ces règles de gestion rationnelle et de prudence qu’observent les Gouvernements responsables et que recommande l’orthodoxie financière.
Revenons à notre PIB!
Les Autorités mettent toujours en avant cet indice et considèrent que c’est un indicateur de la croissance économique et un point fort dans le bilan de l’économie mauritanienne des dix dernières années. Je le concède, sans rien contester dans l’absolu, pour la première moitié de la décennie..
Et le bilan ayant deux plateaux, plaçons le du côté positif.
Toutefois la Mauritanie, en terme de taux de croissance, ne figure pas parmi les premiers pays africains; elle tient le 24e rang, derrière des pays voisins et moins choyés par la nature: le Sénégal ,4ème, et le Mali, 10èm !
PIB, 2015/2016: Retour du bâton
Mais le soudain et brutal retournement de conjoncture, se traduisant par une baisse vertigineuse des prix des matières premières (fer, cuivre, or …), ne tarda pas à s’annoncer et provoqua une grave récession, une crise de liquidité sans précédent et un ébranlement des entreprises. Le taux de croissance est ainsi passé à 1,4% en 2015 puis à 2% en 2016 et ne reviendra pas à son niveau d’antan.
Quoi qu’il en soit, l’économie de notre pays reste vulnérable parce qu’elle est tributaire de l’évolution des cours des matières premières, des marchés mondiaux et de la pluviométrie, autant de facteurs sur lesquels nous n’avons pas d’emprise.
Tant que des changements structurels n’auront pas été opérés (industrialisation réussie, émergence et développement d’une économie de savoir, développement agricole assurant l’autosuffisance alimentaire … , par exemple) , elle restera particulièrement hypersensible aux chocs externes et impuissante devant les cycles de sécheresse. Les recettes provenant des matières premières représentent 30% des recettes de l’Etat et 50% des exportations.
(A suivre)