Face à une législation pénale très répressive, il ne peut y avoir de doute sur l’efficacité dissuasive des peines. Mais en réalité, la société ô mauritanienne est plus que jamais confrontée à des violences inouïes, caractérisées par la recrudescence de la criminalité et de l’intimidation des criminels dangereux.
Ce constat a donné lieu à de nombreuses interrogations et a permis de lancer des pistes de réflexion sur les comportements de certains individus atteints d’une insensibilité qui atrophient leurs sentiments de pitié et de compassion envers leurs semblables; causant ainsi ce phénomène criminel qui ronge notre tissu social.
Pourquoi y a t-il tant de crimes ?
Les spécialistes des sciences sociales tels que les anthropologues, les sociologues, les criminologues doivent apporter des réponses à cette tendance particulière de l’évolution de la criminalité, marquée par des violences graves et parfois mortelles. Certains nous diront que le rapport entre la pauvreté et la criminalité font bon ménage. Au fil des éditions successives des sociétés modernes, il a été toujours établi une liaison entre le développement commercial et industriel voire économique et celui de la criminalité.
De ce point de vue, Adolphe Quetelet pense que le crime est encouragé, non par la pauvreté ou la richesse, mais par le passage brusque d’un état à l’autre et surtout par l’inégalité : le pauvre qui vit dans une ville opulente est trop souvent tenté par le luxe qui s’étale sous ses yeux.
Cependant, beaucoup de crimes sont moins liés à la pauvreté, à la richesse qu’aux inégalités. Il s’agit de ceux relatifs aux violences sexuelles, tels que le viol, les agressions et les harcèlements.
A titre d’exemple, le viol est une infraction qui se situe au sommet de l’échelle de la classification des infractions après l’assassinat, le meurtre et le brigandage. C’est un crime. La particularité de la gravité de cette infraction est que les faits poursuivis portent hautement atteinte à l’intimité, à la dignité, à la sécurité de la personne humaine et génèrent toujours un trouble à l’ordre public.
On ne peut point supputer le chiffre réel des cas de viol commis dans le pays car beaucoup d’entre eux ne sont pas dénoncés à la police judiciaire et la plupart des victimes préfère garder le silence sur ce qui leur est arrivé.
Le viol ainsi que les autres infractions à caractères sexuels sont des sujets tabous dans notre société; leur évocation touche des interdits d’ordre religieux et culturel qui pèsent sur les mœurs, le langage et les comportements au sein de la communauté.
Même si aujourd’hui, certaines victimes assistées par des associations (ONG locales) commencent à briser l’omerta et ont tendance à entraîner une mobilisation et une prise de conscience du phénomène, les autres victimes d’agressions et de harcèlements à caractères sexuels ont une réticence d’en parler préférant garder le silence.
La victime de viol, le plus souvent sans aide psychologique, présente des traumatismes avec des troubles de la corporalité, des états dépressifs, des manifestations d’angoisse et parfois des conduites suicidaires. Ses difficultés pour relater les faits et surtout lorsqu’elle est mineure, ainsi que le problème pour le ministère public d’apporter des preuves pouvant entraîner la condamnation, sont autant d’aspects qui rendent les présumés auteurs de ces infractions insensibles à la menace de la peine.
Généralement, les condamnés des infractions précédemment citées sont marqués par l’impulsivité, l’imprévoyance, la perversité, la cruauté et l’absence de remords. Ils présentent une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’ils souffrent d’un trouble grave de personnalité.
Le profil de personnalité du délinquant ne peut être établi par un officier de la police judiciaire, encore moins par un magistrat. Seule une expertise psychologique ordonnée par un juge de son initiative ou sur réquisition du parquet peut déterminer le caractère dangereux du prévenu.
Mais l’absence d’un tel examen (pièce) au dossier, attestant cette « anomalie » est l’une des causes principales qui justifient les mises en liberté provisoires accordées par, on peut dire une certaine incompréhension, des juges de la dangerosité des présumés auteurs de ces infractions.
Tant que cette carence (absence d’une expertise psychologique) n’est pas corrigée par la désignation obligatoire d’expert pendant l’instruction des dossiers criminels d’une violence aussi grave, les criminels dangereux échapperont toujours aux longues détentions intimidantes leur empêchant de récidiver.
Les positivistes, sous l’influence d’Auguste Comte, considéraient que le délinquant ou le criminel est un « microbe social » qui menace la santé de la collectivité; aussi la société a le droit et le devoir de se défendre contre celui présentant un état dangereux ou une » témibilité ». C’est ainsi que beaucoup de législations ont prévu des mesures de sûreté telles que la rétention et la surveillance, justifiées par la dangerosité des criminels.
Notre société fait face à quelle dangerosité ?
A vrai dire la notion de dangerosité est difficile à définir, car les approches de cette question sont multiples et contradictoires.
Il y’a une décennie, des études ont indiqué que la dangerosité doit être entendue au sens criminologique et non au sens psychiatrique du terme. C’est qu’en effet, dans sa conception criminologique, la dangerosité constitue un phénomène psychosocial caractérisé par des indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens. En d’autres termes, la dangerosité criminologique vise le grand risque pour la personne condamnée de commettre une nouvelle infraction après sa libération. Or, cette notion ne doit pas se confondre avec la dangerosité psychiatrique qui est définie comme le risque de passer à l’acte à un moment donné en raison des troubles mentaux. Dans ces cas, il est possible de prévoir avec une plus grande exactitude une récidive, en tenant compte de certains éléments de personnalité du criminel.
En effet, notre société, avec une évaluation non exhaustive; qui n’est d’ailleurs pas celle d’un psychiatre, est plus ou moins confrontée à des individus présentant ces deux caractères de dangerosité.
Alors, nous nous trouvons aujourd’hui, plus que jamais dans une nécessité de se protéger contre les criminels redoutables dont la dangerosité est caractérisée par le risque de commettre une infraction identique, similaire ou assimilée à celle ayant justifié leurs condamnations précédentes, même si les autres criminels présentant une dangerosité psychiatrique doivent également eux aussi faire l’objet d’une attention particulière puisqu’ils sont considérés comme pénalement irresponsables.
Sur ce dernier point, il est alors évident que la société s’expose, de plus en plus, à la dangerosité psychiatrique des individus « fous criminels ». Ces personnes déclarées irresponsables pénalement du fait que l’infraction ne peut leur être imputée pour démence, demeurent néanmoins, civilement responsables selon la législation.
Les souffrances des victimes d’une personne pénalement irresponsable ne sont pas suffisamment tenues en compte par notre système judiciaire. Devant cette carence, le législateur mauritanien ne serait-il pas incité à s’interroger sur le cas de ceux qui auraient laissé divaguer les fous et les furieux étant sous leur garde lorsqu’ils ont commis des actes de violence sur d’autres personnes ? Nous pensons que la question est de mise en circonstances pareilles.
Par ailleurs, il est important de souligner qu’il n y’a pas absolument une corrélation entre l’état dangereux d’un individu et la gravité des faits qui lui sont reprochés.
Un individu sans antécédent judiciaire et même inconnu des services de la police judiciaire, peut commettre un acte d’une extrême gravité mais épuiser en même temps toute sa dangerosité.
Il s’agit notamment des crimes violents commis, le plus souvent, par un proche de la victime et qui, en général, plongent la société dans un profond émoi et une stupeur généralisée.
C’est la dangerosité par « surprise ». Elle ne manifeste aucun signe avant coureur, pas même une suspicion de réalisation afin de la prévenir ou de l’empêcher. D’ou la problématique, la difficulté, voire même l’impossibilité de la prévention ou de la prévision de la commission des infractions graves avec une telle dangerosité, dans ce cas précis.
Comment protéger la société des criminels dangereux ?
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de placer la lutte contre la récidive au centre de la politique pénale.
La récidive est aujourd’hui une question qui nous préoccupe tous, mais en s’inspirant des expériences voisines, nous parviendrons à trouver des mesures adéquates dont la finalité sera de protéger la société contre les criminels violents et les délinquants sexuels qui peuvent se révéler dangereux.
Il faut alors, d’une part nécessairement sanctionner plus sévèrement les récidivistes, les emprisonner durablement dans le but d’une réadaptation et réinsertion effectives et d’autre part les suivre efficacement à leur sortie de prison.
Le parquet général qui anime et coordonne l’action pénale du ministère public, qui veille à l’application de la loi et à la bonne administration des services judiciaires a une exigence de relayer les instructions du ministère de la justice auprès des différents parquets en matière de choix des priorités pénales.
Aujourd’hui la lutte contre la récidive est la priorité des priorités. Elle doit être placée au cœur de la politique pénale pour défendre la société de ses “prédateurs criminels “ afin de les mettre hors d’état de nuire.
Cette politique criminelle doit viser la défense de la société contre les criminels dangereux dans le respect de l’application de la loi. Pour ce faire, l’incarcération des récidivistes criminels dangereux doit être immédiate, sans possibilité de mise en liberté provisoire même avec retrait de plainte de la partie civile car la violation de cette règle de droit ne se limite pas aux préjudices subis par la victime; le mal est encore plus profond : Il s’agit d’un tort causé à la société dans son ensemble.
A ce titre, le ministère public, en tant que représentant de la société, doit veiller à la garantie d’un procès équitable à ces récidivistes dangereux, par le biais du respect des principes de la présomption d’innocence, du droit de la défense, de la non rétroactivité de la loi pénale et à ce que leurs causes soient entendues par une juridiction indépendante, impartiale et légalement constituée.
Il doit également veiller à ce que la victime soit dédommagée, de façon proportionnelle à l’importance du préjudice subi, sans aucune crainte ou violence et que la société de manière générale retrouve sa quiétude.
Pour éviter de laisser filer dans la nature les criminels dangereux, l’adoption d’une mesure de surveillance, s’ajoutant à leurs peines, contribuera sans doute à prévenir et à éliminer leurs pulsions criminelles.
La surveillance judiciaire des criminels dangereux condamnés pour crime violent ou sexuel nécessite une légère modification du code de procédure pénale. Cette révision va prévoir un mécanisme nouveau qui permettra de soumettre un condamné évalué comme dangereux, après sa libération, à des obligations déterminées, de façon à éviter la réalisation du risque de récidive.
A sa libération, le condamné doit être soumis à des obligations pendant une durée déterminée. Si pendant cette période d’épreuve, le condamné ne parvient pas à respecter ses obligations et que la violation de ces dernières fait apparaître la particulière dangerosité de sa personne, caractérisée par une probabilité élevée de commettre à nouveau des crimes, l’intéressé sera réincarcéré provisoirement sous le statut d’une procédure d’urgence exceptionnelle. Cette mesure apparaîtra complémentaire à la peine.
Une animation dynamique et interactive de l’action répressive sous la conduite du parquet général permettra d’harmoniser la politique pénale et le traitement procédural afin d’éviter des réponses pénales différentes d’un parquet à l’autre pour des faits identiques. A titre d’exemple, les faits poursuivis de viol devant un parquet ne peuvent aucunement, pour des faits identiques ou similaires, être poursuivis devant un autre parquet du délit d’atteinte aux mœurs ou de crime de Zina (adultère).
Aujourd’hui encore le sentiment de justice est présent dans tous les esprits et personne ne peut rester indifférent devant une injustice flagrante. Lequel d’entre nous ne se serait pas indigné si un innocent est condamné ? Lequel d’entre nous ne sera pas offensé quand un prévenu dangereux bénéficie d’une liberté provisoire après avoir passé un séjour éphémère en prison ? Lequel d’entre nous ne se sentira pas scandalisé et effrayé quand un accusé évidemment coupable est innocenté ?
Nous estimons que l’adaptation du système probatoire aux nouvelles technologies ainsi que la modernisation des systèmes d’investigation contribueront, sans doute, à améliorer l’image de notre justice afin d’asseoir une justice de qualité exposée moins aux risques d’erreurs judiciaires…
Saad Bouh SALECK