« Allô Almamiyou, ça va. Dit, Sweiviya est rentrée comme prévu cet après-midi. Elle est rappelée à la miséricorde d’Allah il y a quelques instants ». C’est par ces mots qu’Ahmed m’a appris le rappel à Allah de celle qui fut pour moi une nièce adorée, une amie sincère, une confidente et une complice. Ces mots sont pourtant sans équivoque. Mais mon esprit refusait d’admettre la cruelle évidence.
« Allô Ahmed, je n’ai pas compris. Sweiya est rentrée. Et après quoi ? ». Mon esprit cherchait fébrilement à ranger dans le tiroir de l’incompréhension la terrible nouvelle. Hélas ! Il faut se rendre à l’évidence. Mon amie vient de nous quitter. Après quelques secondes de silence, je lâchais résigné, « inna lillahi wa inna ileyhi raji’oun. » Puis j’entamais une longue série de vœux pour le repos de son âme, pendant que mon épouse, au volant et juste à côté de moi me pressait : « Qu’est-ce qu’il y a ? Sweiya quoi ? Qui est décédé ? ».
Qu’est-ce qu’elle est fragile cette vie !
J’étais à mille lieues de penser que je ne reverrai plus celle qui était avec moi dans mon bureau, deux heures seulement avant son départ pour la « oumra » coïncidant avec les dix derniers jours du ramadan. Pourtant, je savais bien que la faucheuse n’était pas plus proche de l’admis en soins palliatifs que du bien portant. Quand l’heure sonne, rien n’y fait. Allah nous gratifie constamment de ce rappel, car l’Homme, par nature, est un être oublieux.
Sweifiya est partie exactement comme elle le souhaitait. Cette femme pieuse et vertueuse n’avait que deux dou’a à la bouche : « housn el khatmé et ivarahni vil khavini ». Toutes ses phrases au futur se terminaient immanquablement par un « bi ithni Allah ». J’avais de l’ascendant sur elle. Ou plutôt elle m’avait gratifié d’une très haute estime qui m’autorisait à influencer ses décisions et parfois son jugement. Je ne me souviens pas qu’elle soit passée outre d’un conseil que je lui donnais. Sauf une seule fois.
« . Cela fait une année que j’ai programmé cette oumra. C’est un tournant décisif dans ma vie »
Je lui ai demandé de renoncer à sa oumra et de se préparer pour un hajj, compte tenu de l’urgence et de la délicatesse des dossiers dans lesquels son rôle est déterminant, voire indispensable. Visiblement peinée de ne pouvoir accéder à ma demande, elle me parlât d’une voix presque enrouée : « je suis vraiment désolée, mais je ne peux pas. Cela fait une année que j’ai programmé cette oumra. C’est un tournant décisif dans ma vie. Je ne peux y renoncer. Mais rassure toi, bi thni Allah, tout ira bien. J’aurai le temps de boucler toutes urgences et priorités et le reste attendra mon retour sans dommages. » J’étais rassuré, parce que je ne savais pas que c’était une « oumratoul wida’e ». Dans nos échanges personnels, je lui avais donné le nom de code de « Tahra ». Je ne sais plus pourquoi, mais je sais aujourd’hui que c’était prémonitoire.
Difficile d’imaginer le MHUAT sans Sweiviya. Cheville ouvrière de ce Département, elle avait le secret, avec une rare compétence, de faire travailler tout le monde dans une atmosphère conviviale et très professionnelle. Elle occupait certes une direction transversale, mais allait au-delà de l’assistance sur les questions de budget et d’ordonnancement budgétaire. Mémoire institutionnelle du Département, elle était au cœur de tous les dossiers. Elle pouvait et surtout savait se substituer à tous, au bon moment et toujours pour la bonne cause. Indéniablement, sa grande force était sa transparence.
« mère-courage », âme charitable, elle fut
Sweiviya n’était pas qu’une professionnelle chevronnée. C’est aussi et surtout un gros cœur, une âme charitable, une modestie qui ne s’est jamais démentie, une proximité affective dénuée de toute condescendance avec le petit personnel, les pauvres et plus généralement avec les usagers désorientés du service public.
Mokhtar Fall qui fut son professeur a vu juste en l’appelant « mère-courage ». Imaginez une jeune veuve, juste la trentaine portée, née une cuillère en or à la bouche, se faire un point d’honneur d’honorer la mémoire de son défunt mari par le sacrifice de soi et en se consacrant corps et âme à l’éducation de ses enfants, pour qu’ils ne manquent rien, pour qu’ils ne se disent pas un jour, si notre père vivait !. Allah l’a gratifiée d’un retentissant « tewfigh ».
Tout le MHUAT est aujourd’hui orphelin, mais rassuré par la beauté de sa fin de vie. A sa famille et à ses proches, nous souhaitons suffisamment de force et de courage pour honorer sa mémoire et lui rendre ce qu’elle nous a donné : le dou’a pour que le plus haut firdowse soit sa demeure éternelle.
Dors du sommeil des justes mon amie.
Qu’Allah t’accorde sa Grace, sa Miséricorde et la félicité de son paradis, au voisinage de Notre Prophète Muhammed, Paix et Salut sur Lui.
Adieu Sweiviya
Wane Birane