Depuis le début du 21e siècle, 19 conflits majeurs africains ont été localisés dans 17 pays, dont un seul « classique » : celui opposant deux États (Éthiopie-Érythrée). Les guerres civiles continuent de ravager la République démocratique du Congo (RDC), la Côte d’Ivoire, la Somalie, l’Érythrée et l’Éthiopie ainsi que le Darfour, avec une extension au Tchad voisin. Ces guerres civiles ont tous sans exception un trait commun : la mauvaise gestion des ressources des états par des gouvernants non respectueux des lois. La Mauritanie ne fait plus malheureusement exception. Son nom est de plus en plus cité dans le pays à haut risque. En plus, l’injustice est devenue le mode de gouvernement chez nous. Je prends à titre d’illustration l’affaire récente de l’ATTM vs Mohamed Lemine Abidine.
Je reviens sur les événements qui ont caractérisé cette affaire non pour me situer du côté d’un des belligérants avec lesquels je n’ai aucune affinité et que je ne connais nullement, mais pour exposer l’attitude de nos autorités.
Chronique d’une dispute entre une entreprise de Travaux publics et un fournisseur de gravier
Dans la seconde partie du mois de mars 2018, l’entreprise de travaux publics ATTM (membre du groupe SNIM) est entrée en dispute avec son fournisseur de graviers calcaires.
Ce dernier, Mr. Mohamed Lemine Abidine, qui dispose de manière parfaitement légale et pour une période de plusieurs années d’une large carrière, a demandé certains termes de paiement que ATTM a refusés.
Il faut noter que ces termes de paiements sont habituels et qu’ATTM en général s’arrange en espèce si ces traites avalisées ou autres garanties de paiements ne peuvent être fournies à Mr. Abidine ou tout autre fournisseur.
Il s’avère que cette fois ci les négociations ont échoués. ATTM s’obstina à demander des termes non raisonnables (livraison à crédit sans garantie). Mr. Abidine étant le seul fournisseur de gravier calcaire dans la région s’obstine lui aussi et a refusé la commande de ATTM.
Le monopole de Mr. Abidine sur cette matière a été assuré par un gouvernement précèdent à travers le tracé avantageux des permis miniers et ce malgré les protestations des concurrents. Changer de matière et se tourner vers un autre fournisseurs pendant l’exécution d’une route serait couteux et risqué pour ATTM.
Jusque-là, cette dispute fut bien malheureuse mais parfaitement régulière. Tout change quand ATTM, en violation du code minier et de toute pratique déontologique vient installer ses propres équipements de production de gravier sur le permis attribué à M. Abidine.
Cela a été fait sous l’œil complice des autorités et, pour rajouter de l’huile sur le feu, les équipements de Mr. Abidine ont été mis en arrêt et ses employés se sentirent menacées. Mr. Abidine, je tiens à le signaler, n’est pas en enfant de cœur et est connu sur la place pour son sérieux en affaires. Il a obtenu sa fortune en bousculant ses concourants et en travaillant ardument. Avec l’aide de la justice et de la gendarmerie national, Mr. Abdine est parvenu à arrêter cet abus flagrant contre sa propriété.
ATTM ne put parvenir à le forcer à céder car malgré le support politique dont elle dispose, M. Abidine a un permis et est en règle dans un domaine régi par des lois claires. Aucun tribunal ne peut lui retirer son permis.
A la suite de ces évènements, une rumeur circulait à Nouakchott faisant allusion à une dispute entre les deux parties et la possibilité de voir un changement de fournisseur pour ATTM.
Chaque concurrent soupçonnait l’autre de magouille et a tenté d’activer ses contacts pour être le premier en rang. Ces concurrents dont Mr. Ould Didi qui a investi récemment en équipement pour répondre à la demande, la famille Ehl Deh, en alliance avec des investisseurs du moyen orient (dit Eshwam) étaient prêts.
Confusions chez les titulaires de permis
Mais, en conséquence à cette dispute et à la surprise de tous, les titulaires de permis pour l’exploitation de gravier ont reçu des notices les informant de l’annulation immédiate de leurs permis – tout simplement… Cette annulation est non seulement illégale (oui – un décret peut être illégale) mais arbitraire et ne donne aucun droit de recours aux concernés. En principe elle s’applique de la même manière a celui dont le permis a été octroyé il y a un an et qui a investis des millions de dollars empruntés à une banque de la place et celui dont les équipements sont amortis et produit depuis 15 ans.
En préparation à cet article, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec un juriste spécialiste du domaine mais anonyme. Il confirme que cette annulation est sans précédent dans notre histoire. Les annulations antérieures ont toutes fait l’objet de négociations, de recours et même de compensations financières sur le manque à gagner par des crédits d’impôts. Cette fois ci, rien. Juste une lettre.
La confusion s’installe parmi les titulaires de permis en productions. Doivent-ils envoyer leur matériel à Nouakchott ? Doivent-ils licencier les employés ? Est-ce une force majeure en termes de contrats avec leurs clients ?
Aucune clarification ne viendra du ministère des mines. De manière informelle, certains cadres affirment que cette décision est venue du premier ministre lui-même avec le support du Président de la république. Qu’importe… Personne ne se plaint.
En préparation, j’ai tenté de comprendre pourquoi ces hommes, dont la fortune est liée à une activité menacée et qui ont investi des millions de dollars, restent silencieux. La seule réponse « se plaindre garantirait le rejet de toute nouvelle demande et une visite de Mr. Ould Jay et ses collègues ». Oui – la peur est la motivation.
En quoi cette histoire est-elle d’une importance majeure pour notre pays ?
Ces faits vérifiables montrent que le gouvernement n’a plus de vergogne en ce qui concerne les personnes qui osent dire non – même en business. Il fut un temps ou une affaire comme celle-ci serait traitée par diplomatie en menaçant Mr. Abidine avec les impôts, en le convoquant à la primature lui offrant le mot du PM comme garantie de paiement ou même en impliquant le tribus … Il n’y a plus le temps pour tout ça. A tort ou a raison, celui qui s’oppose se fait écraser et la marche continue.
D’autre part, les disputes foncières sont nombreuses en Mauritanie. Mais certains documents étaient sacrés. Le titre foncier, le permis d’exploitation étaient sans doute « good as gold ».
Dans cette nouvelle Mauritanie, rien n’est plus sacré. Cette remise en cause d’un permis octroyé par l’état lui-même prouve que la fonction de Ministre ou de Président est supérieure à celle de l’état. Ce raisonnement peut avoir de lourdes conséquences sur notre économie.
Il faut savoir que le même type de convention minière qui s’applique aux carrières de graviers s’applique aux permis d’exploitation d’autres groupes tel que l’or ou le fer. Une compagnie comme Algold, qui en ce moment lève les fonds pour exploiter une mine d’or en Mauritanie, devra expliquer à ces investisseurs potentiels en quoi sa situation diffère de celle de M. Abidine. Avant de mettre des centaines de millions de dollars dans un projet sur des décennies, les fonds internationaux prendront en compte cette éventualité et certainement demanderont un meilleur retour sur investissement ou se retireront tout simplement de la table.
Encourager la concurrence et éviter le monopole
Enfin, il faut savoir qu’ATTM n’a aucune intention de devenir un producteur de gravier commercial. Ce fait est extrêmement important dans cette affaire. Les rumeurs qui circulent disent que les nouveaux permis seront limités à une surface maximale de 2 km carrés.
Une mesure qui vise sans doute à encourager la concurrence et éviter le monopole d’un seul fournisseur sur un type de roche – situation o l’origine de cette crise. En apparence et malgré la violation inacceptable des droits à la propriété, il semble que cette conséquence est positive. Cependant, un fournisseur me rappelle que la plupart de ces permis à large surface ont 4 à 5 zones viables de production. Les titulaires du permis investi énormément en termes de recherches de ces zones par des forages en surfaces, des consultations de cabinets géologiques…
Chaque titulaire de permis devra sous la nouvelle formulation se limiter à l’une de ces zones et sa recherche sur des décennies profitera à quelqu’un de nouveau dans le domaine. Ni le nouveau titulaire de permis, ni le gouvernement n’offriront de compensation pour ce travail déjà fait et dont les résultats profiteront au nouveau titulaire.
La demande en gravier est en train de connaitre une croissance extraordinaire dont le top sera atteint en 2019. Cette croissance est supportée par les projets de deux ports (gourmand en gravier), la construction de routes telles que celle de Rosso (attribué à SATOM), et le projet de liquéfaction de gaz (dont une portion sera réservée à la Mauritanie).
Vue cette perspective, les producteurs soupçonnent que de nouveau joueurs veulent entrer sur le terrain en investissant très peux en terme d’exploration.
Par exemple une zone quelques kilomètres de M. Abidine a fait l’objet d’exploration et même d’un plan minier par ce dernier. Un nouveau preneur peut tout simplement choisir ce lieu, acheter les équipements et imiter la méthode d’exploitation sans aucune exploration. Il est aussi probables que certains petits producteurs dont les permis ont été annulés vendront leur équipements a prix très bas ou même se feront saisir leurs biens pour vente aux enchères (s’ils ne peuvent pas dédouaner les équipements importés sous convention minière – donc hors taxe).
Malheureusement, ce type d’histoire n’est pas sensationnel et ne contient pas d’insultes ou d’opinion engagées. Je n’ai vu aucun article à ce sujet alors que les cadres du ministère et ceux d’ATTM sont au courant et possèdent de belles plumes parmi eux. M. Ould Deh, M. Didi et M Abidine ne se plaindront probablement pas. Les faits décrits ci-dessus touchent pourtant à notre stabilité économique et à notre futur. Un pays sans justice et sans droit de propriété protégé par la loi est une jungle sauvage ou le plus fort gagne.
Nous demandons à nos concitoyens dans les ministères des mines, des transports et autre de se comporter en citoyens et a faute de bloquer ce genre de DHOULM, de le reporter et le crier sur tous les toits.
Mohamed Fall Sidatt