Si l’on veut délimiter dans le temps la confrontation ouverte entre l’État mauritanien et les groupes liés à Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI), nous devons aller de l’attaque du poste militaire de Lemghayti (juin 2005) à l’enlèvement du gendarme à Adel Bagrou (fin 2011).
La première attaque est du fait du Groupe salafiste de combat et pour la prédication – le fameux GSPC algérien qui deviendra plus tard AQMI après avoir prêté allégeance à Al Qaeda et à son chef Oussama Ben Laden.
Cette période a été marquée par des batailles sanglantes entre l’armée mauritanienne et les groupes qui ont fait du Nord du Mali un sanctuaire à partir duquel ils opéraient tranquillement. AQMI a, dans un premier temps, alterné les attaques directes sous forme d’incursions et les enlèvements d’étrangers, avant d’inaugurer une série de tentatives sous forme d’opérations kamikazes mettant en scène parfois des individus, parfois des voitures piégées.
La Mauritanie a subi pendant un moment avant de décider de réagir. Prenant conscience très vite de la nécessité d’adapter ses forces militaires et de défense à la nouvelle situation et surtout de l’urgence pour elle de frapper l’ennemi là où il se trouve. La peur devait changer de camp avant de déployer une stratégie globale. Quitte à poursuivre l’ennemi embusqué dans les plateaux, montagnes et collines de l’Azawad, s’il ne se pavane dans les campements, villages et villes de ce Nord malien déjà perdu pour l’autorité de l’État central.
Après les attaques de Ghallawiya, de Tourine, après l’assassinat de ressortissants français à Aleg, américain à Nouakchott, après les enlèvements d’humanitaires espagnols et de touristes italiens, deux fronts sont ouverts par la Mauritanie.
Le premier est celui qui mène vers les enquêtes policières et qui finit par les procès. Il aboutit au démantèlement de plusieurs cellules dormantes et/ou actives et à l’emprisonnement de dizaines de combattants aguerris.
Le second front est celui qui ouvre sur les combats parfois violents entre l’Armée et les groupes terroristes
Parallèlement, les autorités mauritaniennes choisissent d’ouvrir le dialogue avec ceux des criminels qui acceptent le repentir après avoir fait les relectures nécessaires à la renonciation au Jihad. Le dialogue intellectuel et jurisprudentiel avec des dizaines de pensionnaires des prisons mauritaniennes, accusés d’appartenance à AQMI, complète la démarche purement sécuritaire.
Conduit par des ulémas et exégètes de notoriété avec la bénédiction de l’Etat, ce dialogue abouti à la publication d’une déclaration de l’intérieur de la prison, signée par des dizaines de détenus dans laquelle ils déclarent le rejet de la violence et le refus de l’affrontement avec l’État. Permettant finalement la libération de la plupart d’entre eux et d’accorder à ceux qui le désirent des financements et des prêts pour monter des projets commerciaux et se réinsérer dans la société.
Mais, pour la Mauritanie, la réponse sécuritaire devait prévaloir dans un premier temps. Il faut que le dialogue découle d’une position de force sur le terrain pour ne pas être perçu comme un signal de faiblesse.
Renforcer la préparation de l’armée et lui donner les moyens et les capacités de faire face à une menace asymétrique, tel fut le point de départ de la remise à niveau de l’Armée nationale et des forces de défense en général. Pour engager la reprise de contrôle sur l’ensemble du territoire national, un dispositif particulier fut déployé : installation de points de passages obligatoires pour entrer sur le territoire mauritanien, et établissement d’une zone militaire frontalière fermée, en plus d’autres mesures que les experts militaires et sécuritaires connaissent et dont ils peuvent évaluer les effets.
Les « jihadistes» armés n’avaient aucune concentration ni présence sur le territoire mauritanien. Ils partaient de l’Azawad pour exécuter leurs attaques contre la Mauritanie et revenaient à leurs bases sans grande difficulté.
Il faut rappeler que cette zone constitue un prolongement «démographique» de la Mauritanie, dans la mesure où des tribus Bidhanes (Maures, Arabes) habitent de part et d’autre de la frontière. Avec ce peuplement – Bidhanes, Peulhs et Touarègues -, le comportement de la Mauritanie est délicat parce que toute dérive ou incompréhension peut se répercuter immédiatement sur la situation intérieure du pays. D’autant plus que personne en Mauritanie ne peut confondre les mouvements armés ayant des revendications politiques vis-à-vis du Mali et les Jihadistes terroristes qui s’implantaient dans la zone depuis 2001 et contre lesquels personne ne semble prêt à se frotter. Surtout pas les Maliens, encore moins les Algériens ou les Français pourtant concernés.
Depuis toujours donc, la Mauritanie a adopté une attitude basée sur la nécessité d’aider à régler les contentieux réels, parfois justifiables, sans remettre en cause ni l’intégrité du Mali, ni son autorité sur cette partie de son territoire.
Quant aux «jihadistes», ils ont effectivement réussi à s’insérer dans le milieu social en apportant quelques réponses aux défaillances de l’Etat dans une région abandonnée à la sédition qui y couve depuis toujours. Ce qui va profiter aux organisations jihadistes qui vont proliférer ici. Les activités illicites voire criminelles vont servir d’économie de guerre permettant aux plus armés et aux mieux aguerris de dicter leurs lois.
Les groupes qui se forment – katibas et sarayas – deviennent des boucliers pour les tribus dont les chefs n’ont d’autre souci que de se faire protéger et, éventuellement, de protéger leurs trafics de tous genres.
Dans l’immédiat, la Mauritanie devra marcher sur des œufs pour pouvoir frapper l’ennemi sans dommages collatéraux. Même si dans un premier temps, une partie de la population préfère s’allier avec AQMI, les Mauritaniens réussissent à aller loin de leur frontière et même à installer une base avancée à Toumbouctou (avec une présence de l’aviation).
Après 2012
En 2012, une alliance contre-nature permet à tous les groupes armés – ceux qui revendiquent l’indépendance de l’Azawad et ceux qui combattent dans le cadre du Jihad – de déferler vers le Sud menaçant le Mali «utile», celui qui a été jusque-là épargné par la violence politique.
L’Armée malienne ne peut défendre son territoire. Les groupes armés se renforcent après de grosses prises d’armes et de moyens logistiques. La France réussit à ameuter l’opinion internationale pour légitimer son intervention directe. Elle entraine avec elle la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), puis ses alliés d’Europe, d’Amérique et même d’Asie. Une force multinationale en nait. Elle a pour vocation de stabiliser le Mali après sa libération par les Français et ceux des Africains qui acceptent d’y aller.
Les français ont naturellement espéré l’entrée en scène de la Mauritanie et l’implication de son armée dans la libération du Nord du Mali. C’était méconnaitre la stratégie qu’elle a déployée et dont elle avait déjà payé le prix militaire et politique.
Militaire, parce qu’elle a perdu des hommes et du matériel, de l’énergie et des moyens dont elle pouvait profiter ailleurs. Politique parce le gouvernement avait été accusé à l’intérieur de mener «une guerre par procuration» et à l’extérieur «d’attenter à la souveraineté d’un pays frère, en l’occurrence le Mali».
Mais les raisons invoquées pour justifier le refus de participer à cette guerre, ce fut d’abord le caractère «précipité» des événements alors que la menace était là et personne à part la Mauritanie n’a daigné la contenir ; ce fut ensuite l’entêtement des autorités transitoires maliennes à vouloir obliger l’armée mauritanienne à s’occuper de la région de Douenza, loin de ses bases arrières.
C’est finalement «la précipitation» de la guerre qui a conduit à l’enlisement qu’on connait aujourd’hui et dont les forces françaises cherchent à sortir par tous les moyens, y compris celui de monter, «au plus vite et à n’importe quel prix», la force conjointe du G5 Sahel.
De leur côté, les organisations terroristes ont tout de suite une attitude visant à éviter de donner aux Mauritaniens le prétexte d’entrer sur le théâtre des opérations. Elles se sont abstenues de s’approcher des frontières avec la Mauritanie, même au pire des moments pour eux. Il ne fallait pas donner l’impression d’une menace directe sur le territoire mauritanien. Dans l’espoir de voir le gouvernement mauritanien continuer à refuser de participer qui n’est forcément pas la sienne ou qui ne l’est pas encore. D’autant plus qu’au regard des attaques et des affrontements subis par la Mauritanie entre 2009 et 2011, l’assistance des pays aujourd’hui en guerre était nulle voire hostile au pays et à son armée.
Abandonnée par les alliés «lointains» comme la France, la Mauritanie a quelques fois été trahie par les plus proches. Non content de se suffire à regarder les combats se dérouler sur son territoire, le gouvernement malien de l’époque est parfois allé plus loin dans l’hostilité vis-à-vis de la Mauritanie. La bataille de Wagadu en fut l’illustration.
Les deux armées ont convenu d’encercler dans la forêt de Wagadu où il installait l’une de ses plus grandes bases à partir de laquelle il entendait rayonner sur le théâtre des opérations en Mauritanie et même jusqu’à Bamako au sud. Non seulement, les Jihadistes se sont ouvert une porte de repli vers le sud, mais ils ont eu les plans de bataille de la partie mauritanienne. Même si les pertes étaient fortes dans les rangs mauritaniens à cause des embuscades et du minage du parcours prévu et visiblement connu à l’avance par l’ennemi, l’armée mauritanienne avait pu déloger les combattants et détruire la base. Les terroristes reviendront à Wagadu mais seulement à la faveur de la chute du Nord.
S’engager de nouveau dans une guerre où les rôles sont prédéfinis et où l’on ne peut compter sur le soutien des populations locales plutôt «malmenées» par les comportements des armées régulières, équivalait à détruire tout le dispositif qui a permis de stabiliser le pays et de le sécuriser.
La moisson de la guerre
Un bilan rapide de la situation aujourd’hui donne raison aux Mauritaniens. Certes le Nord du Mali a été libéré… théoriquement parce que les forces en présence – la MINUSMA, l’Armée malienne et la force Barkhane – tiennent à peine les villes où elles sont cantonnées. Le reste du territoire est abandonné à la merci des bandes organisées terroristes et autres.
En cinq ans, les choses se sont compliquées avec l’embrasement du centre du Mali et la mise à mal de l’ethnie Peule qui a fini par rallier les mouvements jihadistes étendant le champ d’action vers le Burkina Faso, le Niger et même la Côte d’Ivoire où certaines opérations ont été menées par des ressortissants de cette ethnie disséminée dans toutes l’Afrique de l’Ouest.
Le «Groupe des Ansaru al Islam» (les soutiens de l’Islam) est né au Burkina Faso comme une excroissance du Mouvement dit des Peulhs du Macina. Il est le pendant de Ansar Eddine du dirigeant malien Iyad Ag Ghali, un avatar du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et finalement une filiale de la nébuleuse AQMI.
La situation sécuritaire empire de jour en jour avec notamment l’entrée en scène, il y’a deux ans, d’un élément nouveau, en l’occurrence l’Etat Islamique qui a désormais des partisans qui font la pluie et le beau temps dans le triangle liant le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Ils ont réussi à faire la jonction idéologique et organisationnelle actif avec le sud de la Lybie, le nord du Nigeria et le sud du Niger.
Pendant que se développent les mouvements jihadistes dans cette partie du monde, aucune avancée n’est perçue sur le plan du règlement des contentieux politiques et sociaux qui traversent la région. Pas d’avancée significative dans l’application du plan de paix signé il y a déjà quelques années par les factions maliennes et par le gouvernement central. Pas non plus d’accalmie sur le front offensives et contre-offensives.
La même «précipitation» qui a marqué l’engagement français et qui a causé à terme son échec, caractérise la démarche visant à monter «au plus vite» une Force conjointe composée des armées des cinq pays du Sahel. Le même manque de discernement qui a faussé l’engagement militaire de départ est là. Tout comme les mêmes réserves qui dictent aux et aux autres de faire attention à là où il faut mettre les pieds.
Surtout que l’implication d’autres Etats et d’autres armées dans le bourbier malien signifie seulement ajouter davantage de bois à des feux ardents dont les pyromanes (qui les ont allumés) ne peuvent plus éviter les flammes.
Mohamed Mahmoud Abou Almaali
Traduit de l’Arabe par MFO
Source : La Tribune (Nouakchott)