En cette période d’incertitude, les dirigeants africains doivent accélérer la mise en place intégrale de la Zone de libre-échange continentale africaine

Par Claver Gatete

Il n’est pas exagéré de dire que l’Afrique se trouve à un tournant décisif de son parcours de développement – un moment à la fois porteur de nombreuses promesses et marqué par de redoutables défis, notamment en raison des récents revers économiques et des guerres tarifaires mondiales actuelles. Ces défis convergents ont freiné la croissance économique, qui reste inférieure aux niveaux d’avant la pandémie de COVID-19 et insuffisante pour réaliserles objectifs de développement durable d’ici à 2030. Face à ces puissants vents contraires, les dirigeants africains n’ont d’autre choix quesaisir l’occasion unique qui leur est donnée d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). En y parvenant, le continent pourrait bénéficier d’un nouvel élan, qui le fera avancer plus rapidement et plus vigoureusement.

Je viens d’un pays qui a su renaître de ses cendresaprès legénocide perpétré contre les Tutsis. Le peuple rwandais est exposé depuis longtemps aux défis de la mondialisation ainsi qu’à la réduction de l’aide publique au développement, laquelle a fortement diminué depuis la période ayant suivi la pandémie de COVID-19. Ce que mon pays m’a appris, c’est que pour renaître de ses cendres, justement, il faut savoir réécrire son histoire. Notre continent, malgré les vents contraires actuels, a ce qu’il faut pour bâtir sarésilience. Et grâce à notre détermination inébranlable, nous pourrons relever les défis les plus pressants de notre époque.

L’édition 2025 du Rapport économique sur l’Afrique, intitulé « Faire progresser la mise en œuvre de l’Accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine : proposition d’actions stratégiques transformatrices », s’attarde particulièrement sur les répercussions d’une marge de manœuvre budgétaire restreinte, des tensions géopolitiques, des perturbations des chaînes d’approvisionnement, ainsi que de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, sur les perspectives de croissance du continent. Ce rapport propose une feuille de routevers une croissance durable et une intégration stratégique de l’Afrique dans l’économie mondiale.

En tant qu’analystes, nos attentes se focalisentsur la capacité à long terme du continent d’augmenter son PIB de 1 400 milliards de dollars et d’accroître les échanges commerciaux intra-africains de 3 000 milliards de dollars (soit une hausse de 40 %) au total entre 2021 et 2045, mais les guerres tarifaires mondiales actuelles nous rappellent, à court terme, qu’il est temps d’accélérer la mise en place de la Zone de libre-échange. Dans cette perspective, une action concertée peut contribuer à prévenir la menace que la hausse des droits de douane internationauxfait peser sur les entreprises africaines, notamment dans les secteurs de l’automobile et des engrais, et àfavoriser la réorientation de ces entreprises vers d’autres marchés régionaux.

Nous devons agir avec détermination et discernement

Tout d’abord, il est indispensable de se mobiliser pleinement pour la mise en place intégrale de la Zone de libre-échange, afin de renforcer la résilience économique et de stimuler la croissance. En réduisant les droits de douane, en supprimant les obstacles non tarifaires et en harmonisant les politiques commerciales, nous pouvons créer un environnement plus favorable au commerce intra-africain. La ratification rapide des protocoles relatifs à la libre circulation des personnes, des biens et des services, etdes protocoles relatifs aux droits de propriété intellectuelle, à la concurrence et aux investissements contribuerait certainement à accélérer la réalisation de cet objectif.

Nous devons également investir dans des chaînes de valeur régionales solides, en ciblant tout particulièrement des secteurs clés tels que l’agroalimentaire, l’automobile, les produits pharmaceutiques, la santé, le tourisme et les énergies renouvelables. Des politiques industrielles adaptées, ainsi qu’un soutien accru aux petites et moyennes entreprises, seront essentiels pour renforcer les capacités productives et stimuler l’innovation. Le « Made in Africa » contribuera à réduire notre dépendance vis-à-vis du reste du monde. Par ailleurs, la délocalisation de services ou d’activités vers les pays africains, ou « afroshoring », représente un atout majeur pour le développement du commerce intra-africain.

En outre, il est essentiel d’intégrer les politiques climatiques dans le cadre de la Zone de libre-échange. La transition vers les énergies renouvelables pourrait nécessiter des investissements importants, estimés à 22,4 milliards de dollars des États-Unis entre 2025 et 2040, directement liés à la mise en place de la Zone de libre-échange. En mettant l’accent sur l’énergie solaire et éolienne, parmi d’autres sources renouvelables, nous pouvons non seulement répondre à nos besoins énergétiques, mais aussi positionner l’Afrique comme un acteur majeur de l’économie verte.

On ne saurait trop insister sur l’importance de l’efficience. La rationalisation des régimes douaniers, grâce à l’adoption de technologies numériques telles que la chaîne de blocs et le traitement électronique de l’information, permettra de réduire les coûts commerciaux et d’améliorer l’efficience sur l’ensemble du continent. Cela contribuera également à réduire les asymétries desinformations sur les marchés, ce qui favorisera une plus grande inclusion commerciale. Par ailleurs, la mise en œuvre de politiques tenant compte des questions de genre dans le cadre de la Zone de libre-échangeencouragera l’autonomisation des femmes en facilitant leur accès au financement, à l’éducation et aux compétences numériques, qui sont autant d’éléments essentiels à une croissance véritablement inclusive.

Enfin, face aux défis de l’urbanisation rapide, il est crucial d’investir dans un développement urbain durable. Des logements à un coût abordable, l’accès à l’eau propre et des installations d’assainissementadéquates sont indispensables pour gérer la croissance des villes et tirer pleinement parti du dividende démographique. En stimulant la création d’emplois, notamment dans le secteur des services et dans le secteur informel, nous pouvons réduire considérablement le chômage des jeunes et ouvrir la voie à un avenir plus prospère.

La voie que nous choisissons aujourd’hui, en cette période de grande incertitude, déterminera les conditions de vie des générations futures. Nous pouvons transformer la crise mondiale actuelle liée aux droits de douane en un levierpermettant de renforcer le commerce entre les pays africains et d’intégrer le continent dans l’économie mondiale dans des conditions avantageuses.

*Claver Gatete est le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, une commission régionale de l’ONU dont le siège se trouve à Addis-Abeba.

Vous pouvez le suivre sur X @claverGatete.

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