«Après le décès de ma mère (Aicha Mint El Maaloum) en 2002, j’habitais chez ma grand-mère maternelle (M’barkalina Mint Moctar) avec mes petits frères, dans un quartier populaire de Nouakchott, dans une Gazra (habitat précaire). Ma grand-mère s’occupait de la famille, toujours gentille, toujours joyeuse.
Un matin, le sourire avait disparu de son visage. Sans poser de question, j’ai demandé à un de mes frères d’aller chercher un bidon en plastique. Et j’ai commencé à chanter un Medh. C’est un genre de musique spécifique pratiqué par les esclaves et les anciens esclaves. Des louanges au prophète pour conduire vers un état de paix intérieur.
Je savais qu’elle aimait ces chants traditionnels. Plus le rythme accélérait, plus son regard s’illuminait. Elle m’a dit : Mon petit, tu as une vilaine voix. J’ai répondu : Peu importe. L’important, c’est que le Medh t’ait rendu le sourire.» Signé Mohamed Ali Bilal.
J’aime les arts, j’aime chanter…
Mohamed Ali Bilal est né à Nouakchott en 1978. Il est marié et père de deux filles. Il est vice président de SOS Pairs éducateurs. Une association mauritanienne dont il est membre depuis presque 20 ans. Il y est passé de simple adhérent à superviseur, coordinateur, chef de projet…Actuellement, il coordonne un projet sur la santé de la reproduction à El Mina, quartier périphérique de Nouakchott. Il est aussi formateur en technique de communication interpersonnelle. Mohamed Ali Bilal, activiste culturel, est membre de la Maison des Cinéastes de Nouakchott et directeur du festival Karama sur les films des droits de l’Homme. « Depuis mon enfance, j’aime les arts, j’aime chanter, danser, j’ai été comédien pendant 08 ans… » dit Mohamed.
En 2002, Mohamed était élève en cinquième scientifique, a une année du bac, au Lycée arabe de Nouakchott. Ainé de sa famille, il n’a pu continuer ses études. Il fallait travailler pour soutenir sa grand mère et ses frères et sœurs après le décès de sa mère.
Mohamed fait partie de ces haratines (descendants d’esclaves) qui n’ont jamais été victime directe de la servitude. « Je suis né à Nouakchott. Je n’ai pas eu beaucoup de relations avec mes grands parents qui sont resté à l’intérieur du pays car mon père fait partie des Djembri, c’est-à-dire ceux qui se sont libérés de leurs maitres. Il (le père) a fui ses maitres qui étaient dans le Trarza (Mederdra) pour s’établir au Sénégal ou il a fait le commerce. De retour en Mauritanie, il s’est engagé pour lutter contre l’esclavage » témoigne Mohamed.
Discriminés au départ et à l’arrivée
Il pense que la discrimination positive peut être une solution pour réduire l’écart entre les haratines et les autres composantes nationales. Selon lui, « si l’on maintient le principe de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, les haratines n’auront pas beaucoup de chance. » Pourquoi ? Réponse de Mohamed Ali : « le petit haratani va à l’école sans petit déjeuner, sans moyens de transport, en dehors de la classe, il travaille pendant que les autres révisent seuls ou avec des répétiteurs… »
Plus grave ajoute-t-il, « même les haratines qui ont des diplômes, ne sont généralement pas bien placés car ils n’ont pas de soutien dans la haute administration pour les aider à percer, comme ça se fait pour les autres » Donc « la discrimination positive, c’est important à l’école et à la fin des études, elle doit donc être appliqué provisoirement pour réduire les écarts. »
Pour Mohamed Ali, il faut agir pour prévenir les tensions et changer positivement l’image de la Mauritanie. «Si on tape le nom de ce pays sur les moteurs de recherche, nous ne voyons que des choses négatives, il faut agir dans la solidarité, le respect, la tolérance pour rapprocher les citoyens et modifier cette image» conseille-t-il.
La culture pour promouvoir les libertés
Pour la défense des droits humains, il a choisi le canal de la culture. « En tant qu’artiste, pour la promotion des libertés, des droits, je ne fais pas de séminaire. C’est à travers le théâtre, le cinéma que j’essaie de sensibiliser les citoyens sur leurs droits et devoirs» ajoute Mohamed Ali. C’est pourquoi, il a choisi un quartier périphérique de Nouakchott, Kebba Leghrej, pour la deuxième édition du festival du film Karama pour les droits de l’Homme. Il explique « dans les familles de ces quartiers précaires, il y a des téléviseurs, des paraboles, des téléphones portables avec toutes les applications, il y a une culture de l’image…La majorité des habitants de cette Kebba sont haratine descendants d’esclave. Ils sont démunis, analphabètes et confrontés à la délinquance urbaine, c’est eux ma vraie cible. »
Mohamed Ali Bilal, par le canal du centre Teranim pour les arts populaires, est aussi l’initiateur du festival El Medh (chants, louanges du prophète Mohamed, PSL). Le Medh est traditionnellement chanté par les haratine descendants d’esclaves. « Les esclaves qui n’entrevoient pas leur liberté à travers leur maitre, s’adonnent au Medh pour mettre en avant le message du prophète, un message de liberté, de paix, d’égalité. C’est une façon pour ces esclaves de montrer au maitre la différence entre le traitement qui leur ait imposé (imposé au esclaves) et le contenu du message du prophète.»
C’est dit-il, grâce au Medh, que les esclaves ont appris l’histoire du prophète, la manière de prier, les devoirs religieux…, explique-t-il. Le festival, selon lui, vise à « préserver, développer le Medh qui est un élément important de l’identité haratine.» Il s’agit donc de « revaloriser un patrimoine pour décomplexer les haratines par rapport a leur héritage culturel car beaucoup de jeunes de cette communauté ne sont pas fiers de cette musique que leurs parents maitrisent. »
Mohamed Ali ajoute : « je connais de haut responsables haratines dans l’Administration ou autres secteurs dont les parents chantent le Medh, mais quand on les invite au festival dédié a ces chants, ils disent : je peux vous soutenir matériellement mais je ne peux pas assister à ce festival. Pourquoi ne peuvent-ils pas assister. C’est un complexe. Nous, nous travaillons justement pour décomplexer ces haratines par rapport au Medh, au Leebé Debbouss (danse avec les bâtons), au Bondje (danse de femmes haratines)…il s’agit de notre part du patrimoine national, nous devons en être fier. »
Khalilou Diagana
Le Quotidien de Nouakchott
Article produit pour le programme : « Liberté, droits et justice pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie promu par le département d’Etat des Etas Unis»