Un des principaux engagements du candidat Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en 2019 était « une réforme de l’éducation centrée sur l’élève, dont la réussite constituera l’ultime objectif, et aura comme premier allié l’enseignant, dont le rôle sera reconnu socialement, valorisé et renforcé.»
Sidi Ould salem, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, porte-parole du gouvernement, a déclaré lors du point de presse d’après conseil des ministres que les actions de la réforme de l’éducation seront conduites de façon participative. Cette réforme, a aussi annoncé le ministre, sera effectivement lancée à partir de la prochaine rentrée scolaire.
Horizon continue sa série de recueil d’avis de professionnels du secteur Idoumou Mohamed Lemine Abass, professeur de littérature à l’Université Al Asriya de Nouakchott. Monsier Lemine Abass, ecrivain, a aussi enseigné pendant, pendant quelques années, à l’Ecole normale Supérieure (ENS).
Propositions pour la future réforme de l’école mauritanienne
Mes propositions à ce sujet sont contenues, notamment, dans une étude que j’ai présentée en septembre 2015 au Colloque sur la Construction du citoyen mauritanien du XXIème siècle, organisé par l’Institut Mauritanien des Etudes Stratégiques (IMES) à Nouakchott. Elle a été publiée dans les actes de ce colloque en 2016. Ces propositions s’appuient sur un diagnostic du système éducatif mauritanien ; ses forces, ses faiblesses et les principaux dysfonctionnements qui empêchent l’école chez nous de remplir sa mission de transmission aux jeunes générations des valeurs et des connaissances fondatrices de l’identité nationale et de la citoyenneté, de préparation de ces mêmes générations à la vie active en diffusant des savoirs et des savoir-faire pratiques et d’ouverture sur le progrès et la modernité.
Ces dysfonctionnements sont de trois types : des dysfonctionnements liés à l’origine coloniale de l’école publique, des dysfonctionnements liés aux différentes réformes du système éducatif et des dysfonctionnements liés aux politiques éducatives inspirées, pour la plupart, des programmes d’ajustement structurels (PAS).
Aujourd’hui, toute réforme de notre école qui se veut efficace doit auditer le système éducatif dans son ensemble pour déceler ces dysfonctionnements et leur trouver les réponses idoines. C’est, en réalité, une véritable refondation de l’école mauritanienne qu’il nous faut ; une reconstruction de l’enseignement sur des bases nouvelles, avec des objectifs et des finalités nouveaux et pour des perspectives de développement nouvelles. Avec cet axe de réforme majeur, deux autres axes sont proposés dans l’étude :
L’unification du système éducatif
Aujourd’hui dispersé, morcelé sur plus d’un plan : institutionnel (diversité de tutelles ministérielles), référentiel (enseignement moderne/enseignement traditionnel), linguistique (école arabophone/école francophone/question récurrente des langues nationales) et même générationnel (enseignement pour adultes/enseignement pour enfants), etc.
L’optimisation des politiques éducatives
Afin que les résultats quantitatifs réalisés (TBS élevé, scolarisation des filles importante, infrastructures en augmentation permanente, etc.) puissent se traduire par une qualité de l’enseignement et de ses out put.
La réforme de 1999
La réforme de 1999 a été d’autant plus opportune, qu’elle a mis fin à un système éducatif pernicieux, qui divisait l’élite mauritanienne et portait, à termes, les germes d’une division du peuple lui-même, voire du pays. Elle a unifié notre enseignement en instaurant un bilinguisme arabe/français qui, objectivement, était de nature à permettre de dépasser le clivage linguistique et identitaire né de la première réforme, qui revalorisait la place de l’arabe dans l’enseignement de la Mauritanie indépendante. Si la réforme de 1999 avait été bien menée, bien des insuffisances de l’école mauritaniennes auraient été maintenant du domaine du passé. Qu’elle soit maintenue dans sa lettre et son esprit ou réaménagée, je pense personnellement que l’idée qui en sous-tendait la promulgation doit être conservée. Notre école se relèvera très difficilement d’un nouveau réaménagement des options linguistiques au niveau de l’enseignement qui perpétue la guerre larvée entre l’arabe, principale langue nationale et langue officielle du pays et le français, langue étrangère avec laquelle nous avons le plus de liens historiques, culturels et géostratégiques et langue d’ouverture, notamment sur notre environnement ouest-africain. Il est franchement temps pour la Mauritanie d’inscrire la problématique des langues dans son enseignement dans une perspective de bilinguisme arabe/français à l’école de base et de plurilinguisme, qui inclura les autres langues nationales suivant une formule à trouver, dans le reste du cursus scolaire.
Insuffisances des programmes et des manuels scolaires actuels
Les manuels scolaires pour une génération renferment, normalement, l’ensemble des connaissances et des valeurs socioculturelles que cette génération est censée recevoir de ses ainées et que l’école se charge de transmettre. Ce sont, aussi, des outils de formation qui reflètent les grandes orientations des programmes scolaires. Répondre à votre question demande une analyse approfondie des programmes et manuels scolaires dans leur ensemble, travail qui ne me semble pas avoir été déjà fait comme il se doit. Ou en tout cas pas en ma connaissance. Ce que je sais, par contre, c’est que ni les programmes, ni les manuels scolaires mauritaniens n’ont connu une révision dans les règles de l’art après la réforme de 1999. Le rapport des Etats généraux de l’éducation et de la formation de 2013 constate qu’en lieu et place de cette révision, l’IPN se contente, pour accompagner la réforme, de produire des manuels « sous le sceau de l’urgence », inspirés de l’Approche par compétences (APC), qui est d’ailleurs très peu maitrisée ici. Ces manuels ne sont pas toujours conformes aux programmes, présentent des incohérences et manquent de professionnalisme. Vous pouvez revenir à ce rapport pour en savoir plus.
Révision des programmes et manuels
Ils doivent être révisés dans le sens de les conformer à l’esprit et à la lettre de la réforme, de les adapter à la réalité contextuelle et de les rendre efficaces. Ils doivent être révisés par des professionnels de l’éducation ayant la formation, la compétence et l’expérience requises.
Propos recueillis par Khalilou Diagana
Le Quotidien national Horizons
Je salue mon professeur Idoumou Abass, mais, je tiens à dire que le système éducatif mauritanien ne gagnera plus une véritable réforme qui prend en considération le niveau des futurs chefs, avant qu’il soit un espace d’enseignement efficace recevant tous les enfants,particulièrement ceux de riches sans exception.
En fait, seuls les fils de pauvres et une minorité des enfants issus de classe moyenne qui s’instruisent dans les établissements scolaires publiques, cela veut dire beaucoup de choses.