Penda Soghé, Kadji Touré, Zeinab Mint Abdelahi, Rokaya Mint Ahmed et Kadiatou Sow. Une liste loin d’être exhaustive. Toutes ont été violées et tuées. Des crimes dont les auteurs sont souvent légèrement condamnés en Mauritanie faute d’arsenal juridique solide qui protège les femmes et les filles dans cette république islamique. Mais il y a espoir. Début mai 2020, un projet de loi relatif à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes et des filles a été approuvé en conseil des ministres.
Une lueur d’espoir pour des milliers de femmes et filles victimes de viol, d’inceste, de harcèlement sexuel, de chantage, de mutilations génitales, séquestrations, mariage précoce, refus d’enregistrement a l’état civil, privation d’héritage… C’est aussi un espoir pour les militants des droits humains et particulièrement ceux des femmes. Fatimetou Mint Mohamed El Moustapha, coordinatrice du (GI3F) groupe initiative pour le plaidoyer et participation politique des femmes, réagit : «je compte beaucoup sur cette loi et je pense qu’elle aura un impact positif pour la protection des femmes et des filles contre les différentes formes de violences qu’elles subissent dans le silence. L’essentiel maintenant est de maintenir la pression jusqu’au vote de la loi par l’assemblée nationale.»
Hapsatou Bocoum, Présidente de l’Ong « un monde sans guerre et sans violence » pense également que «cette loi arrive à point nommé et comble un vide juridique qui a trop duré. » Pour elle, «Le combat qui s’impose est fondamentalement celui de la sensibilisation mais faudrait-il que les probables bénéficiaires en prennent bonne conscience. » Elle souhaite que «cette loi soit un élément de dissuasion. »
Des agressions en hausse
L’AMSME (association Mauritanienne pour la santé de la mère et de l’enfant), a enregistré 47 cas de d’agressions seulement dans le premier trimestre de l’année en cours. Ces agressions se répartissent entre tentative de viol, viol individuel et collectif parfois suivi de grossesse.
Le centre El Wafa a enregistré et pris en charge 27 cas de filles victimes âgées de 15 et 18 ans, entre janvier et avril de l’année en cours.
Les religieux
Certains religieux accueillent aussi favorablement ce projet de loi. Moussa Saar, membre du bureau exécutif de l’association des oulémas, prêcheurs et imams des pays du sahel «est satisfait de de cette loi qui vient en appui aux dispositions juridiques mises en place pour la protection de nos mères, sœurs et filles conformément aux prescriptions et recommandations de notre sainte religion l’islam qui condamne fermement les violences de toutes sortes dont elles sont victimes.» Monsieur Sarr «attire l’attention de tous ceux qui se soucient de la cohésion sociale, de l’enracinement de nos valeurs, du respect de la personne dans sa dignité et son honneur consacré par l’islam et l’Etat de droit à agir pour réaliser ces nobles objectifs pour toutes les sociétés humaines.»
Les lycéennes
Les jeunes filles mauritaniennes attendent avec espoir l’approbation de ce projet de loi par l’assemblée nationale. Djéfuldé Ba, jeune lycéenne, espère que «cette loi sera votée et appliquée avec rigueur car la vie des femmes et des jeunes filles mauritaniennes est de plus en plus menacée. » Pour elle, «ce projet de loi doit voir le jour pour une prise de conscience collective des droits des femmes mauritaniennes qui doivent être protégées ou qu’elles se trouvent dans le pays.»
Les parlementaires mauritaniens entendront-ils la jeune lycéenne Djefulbé Ba? En 2016, les députés mauritaniens avaient renvoyé au ministère de la justice un projet de loi portant violences basées sur le genre. La Raison : ce projet de loi, sur certains aspects, a été jugé contraire aux principes Islamiques. Le nouveau projet de loi qui a été amputé du terme « genre », passera-t-il sans difficultés à l’assemblée nationale? Quel camp vont choisir les élus du peule ? Celui des jeunes filles qui demandent protection ou celui des prédateurs sexuels et autres machistes? Djefulbé Ba et des milliers de jeunes filles et femmes espèrent que les députés, représentants du peuple, voteront dans le sens de l’émancipation des femmes et de la répression des prédateurs sexuels.
Les parlementaires se mettront-ils à la place de ces milliers de victimes de violences ainsi que de leurs familles qui réclament justice et réparation?
Les parlementaires
Il y a espoir. Maitre El Id Ely Mbareck député et avocat a la cour, pense «qu’il est urgent de voter une telle loi car tout le monde est unanime sur la situation catastrophique que vivent les femmes et les filles, notamment pour ce qui est des violences qu’elles subissent. ».
Me El Id, estime que «ce projet de loi dans sa nouvelle version, malgré ses lacunes, est quand même un minimum pour garantir une meilleure protection des femmes et des filles et représente un point de départ qui remplit un vide juridique qui existe depuis très longtemps et complétera certainement les dispositions de la loi pénale et des dispositions portant sur la protection pénale des enfants. » Il cite la disposition du projet de loi qui oblige «les institutions de l’Etat à prendre en charge les femmes et filles victimes de violences par un traitement urgent au niveau des structures sociales et médicales appropriées et par des juridictions spécialisées et bien formées pour traiter les questions de violences.»
Néna Ly
Extraits du Projet de loi
Article premier : Objet
La présente loi a pour objet de prévenir les violences contre les femmes et les filles, d’établir les procédures légales susceptibles de protéger les victimes, de réparer leur préjudice et de réprimer les auteurs.
Article 2 : Définitions
Au sens de la présente loi, les termes suivants signifient : :
Violence contre les femmes et les filles : tous actes de violence dirigés contre les personnes de sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes et aux filles un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles, psychologiques, morales, économiques et culturelles y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de la liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ;
Viol : tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit ; en dehors du mariage, commis sur une femme ou une fille, par violence, contrainte, menace ou surprise ;
Harcèlement sexuel : le fait d’imposer à une femme ou à une fille, des propos ou agissements répétés ou attouchement, à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
Chapitre III : de la protection des victimes
Article 11 : traitement médical
L’Etat prend en charge les soins médicaux inhérents au traitement des victimes des violences contre les femmes et les filles.
Article 12 : diligence
Dans le cadre de l’information, le juge compétent veille à la célérité de la procédure et cherche à éviter le recours à tout acte de nature à causer un traumatisme psychologique à la victime.
Article 13 : accompagnement des victimes
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Outre son avocat, la femme ou fille victime des infractions à la présente loi, bénéficie tout au long de la procédure judiciaire de l’accompagnement d’une personne de son choix.
Article 14 : protection des données personnelles
Dans le cadre des poursuites et procédures liées aux violences faites aux femmes et aux filles, la vie privée des victimes, de leurs descendants et de toute personne placée sous leur responsabilité doit être protégée, conformément à la réglementation en vigueur.
Article 15 : protection des témoins
L’Etat assure aux témoins des infractions à la présente loi, une protection qui leur permet de témoigner en toute confiance. Ils continueront également à être protégés après leur témoignage s’ils craignent des représailles.