Tribune: Quand je fais sécession, Une élégie

Que se passerait-il si tu te séparais de cette entité aux gens injustes? J’ai bien réfléchi, depuis des années, à persuader mes proches de partir sans rallier un camp de substitution. Ils me suspectaient de quelque folie.

Mohamed Lemine Ould Mahmoudi*

La folie est distribuée, ici, aux citoyens, en toute « transparente », un peu comme ces officiers devenus, par condescendante flagrante, distributeurs de poisson au peuple, après l’échec de leurs projet d’empire putschiste. Ils ont fini par rejoindre la cohorte des vaincus, pourvoyeurs de sardinelle. Alors, instruit d’une telle déconvenue, je renonçais au dessein d’attirer les idiots, parmi les miens.

Certes, je perdais d’autant la bonté de certains et l’ingratitude des autres. Parce qu’ils s’accrochent, ensemble, aux illusions de l’état d’injustice, je décidais de les quitter, sans trop attendre… Mon embarcation fendra les vagues, peu importe leur hauteur… J’ai pensé, consulté et interrogé, à la recherche de la plus infime portion d’humanité en mesure de réaliser sa scission. La réponse que je souhaitais me vint: Un seul individu possède le droit de déclarer sa séparation d’un modèle d’organisation à lui imposé et pour l’établissement duquel il ne fut consulté ; le propos suffisait à l’homme de témérité que je suis.

Me voici sorti de ma maison le matin, complètement détaché de la Mauritanie. De passage à proximité d’un attroupement de patients devant l’hôpital national, je ressentais de la tristesse envers ces étrangers courbant l’échine d’infortune mais me souvenais, cependant, de mon statut d’étranger, tenu de se taire pour éviter l’expulsion, avant d’avoir achevé la procédure du divorce et obtenu un Etat de rechange. Je n’exagère, néanmoins, la complication des formalités. Je ne suis qu’une personne. Même si je convaincs ma famille de me suivre, nous ne dépasserions, tout au plus, deux dizaines d’âmes. Nous ne prendrions assez à ce pays, au point de l’affecter ou de nuire à son « développement ».

Où serai-je, alors? Sans souci, j’irais en enfer. La priorité du moment, consiste à m’attribuer un lopin de terre à l’est, au sud ou au nord. En Occident, il n’y a de place pour moi car je ne me vois réfugié près de cette Amérique, si prompte à embraser la guerre dans mon périmètre si j’y découvrais une promesse de pétrole ou de gaz. Je différais donc le choix du lieu, le temps de recevoir ma part de Mauritanie, à emporter. Je veillais surtout à l’autosuffisance, afin de construire une barrière géante de lutte contre l’immigration clandestine. Je serai « Mayotte » – à la lisère des gueuses Comores – un paradis de paix et de justice, y rendrai hommage à mon Seigneur, dans une mosquée où aucun froc n’est jeté ni les souverains objets de révérence.

Maintenant, les experts calculent ma part, dans l’inventaire de l’ancienne patrie.

– Le fer…

– Non… non… te moques-tu ? Le fer é été vendu à des particuliers et tu consommais, avec les Mauritaniens, ton quota du revenu !

– Et Comment en ai-je joui ?

– Voyons, des Mauritaniens ne périrent-ils, afin que tu survives?

-Je crois que oui, en effet….

– Voilà, en ceux-ci nous avons dépensé les revenus du fer

– Oh, que non, il a été dilapidé au service de la minorité pour la continuité de laquelle eux et moi mourons!

– Le poisson…

– Prélèves-en ton dû mais tu iras l’extraire des profondeurs ; veille, néanmoins à te procurer des congélateurs, sinon le fruit de ta pêche s’abîmerait !

– Fort bien et mon pourcentage d’électricité ?

– Rends-toi dans la localité de Podor. Tu y croiseras un quidam à l’allure de disetteux revêche. Réclame-lui le montant mensuel de la facture de courant ! Elle te revient, si tu as de la chance car le susdit règle sa créance en retard.

– Je tiens à utiliser ma quotepart de kilowatt, pour congeler mon poisson.

– Impossible !

-Je réclame un toit.

– Les maisons appartiennent à ceux qui le bâtissent.

– Et les édifices du domaine de l’État?

– Il n’en subsiste plus de trace, nous les avons revendus pour scolariser nos enfants….Le 137ème rang mondial confirme le résultat.

– Soit, et l’or?

– A peine en tirons-nous quelques milliers et nous t’en concédons vingt grammes, au prorata parte du nombre d’habitants.

– La richesse animale est une propriété privée à quoi tu ne saurais prétendre… Epluche la surface de n’importe quelle route pavée ,prélèves-y un fragment et, pour l’éclairer, sers-toi du quart d’énergie d’une lampe solaire ! Maintenant, tu peux t’en aller et choisir un terrain dans le désert mais n’exagère au delà de cent mètres carrés du territoire de la « République ». Nous proclamerons un nouvel État et le traiterons selon les standards du bon voisinage tant qu’il sacrifierait à la politesse et n’abriterait les contestataires des hôtels et les l’exilés, est-ce limpide?

– Oui, clair Monsieur, je vous quitte avec vingt grammes d’or seulement !!!! Le tarif à acquitter pour me sentir libre ne me paraît onéreux tant que cessent de me tourmenter les crimes commis par les pouvoirs de l’environ. La tâche s’avère ardue, presque hors de portée, mais se détacher de la Mauritanie vaut le défi.

…jusqu’à l’élection d’un vrai

Il fallait que j’écoulasse mes grammes d’or avant le départ et je pus les céder à l’une des commerçantes du cru ; je partais vers mon pays neuf, riche de deux cent mille, en devise forte de la Mauritanie. Je passais ma première nuit sans cauchemars ni délestage de courant parce qu’ici l’électricité faisait défaut. Au matin, des bergers, de passage, savourèrent le thé en ma compagnie. Ils me laissèrent des provisions et repartirent sans moi. Ils ne s’en rendaient compte, si je les traitais selon le régime des visas qui reste la marque de leur pays inique, ils en détesteraient le monde. Je décidai de promulguer des lois, avant d’emprunter le parcours de Mokhtar Ould Daddah, pendant son périple fameux en quête de reconnaissance, de respect et de financement pour son pays à inventer.

Premier commandement: Le Président de la République assure l’expédition des affaires courantes, jusqu’à l’élection d’un vrai. Second commandement: il n’est permis pas d’armes en circulation, point de soldats ni de police, guère de Mesgharou, encore moins de gardes préposés au piratage de la correspondance personnelle

D’autres normes interdisent, durant un siècle, l’union conjugale de deux personnes d’une couleur et d’une race similaires. L’enseignant s’élève au rang de ministre, le mégissier et l’éboueur perçoivent un salaire supérieur à celui d’un membre du gouvernement, l’intellectuel détient la faculté de pratiquer ces œuvres s’il consent à les apprendre. De même, l’assurance santé précède la construction et l’urbanisation, dans l’ordre des politiques publiques.

Au terme de décennies de séparatisme, de fréquentation assidue des organisations internationales et des bienfaiteurs d’ici-bas, je découvre que le danger létal pour mon pays et son Président, Joub Abdellah Al Ateeq, demeure l’immigration en provenance de la Mauritanie voisine.

Mon nouveau-né de pays est minuscule mais paradisiaque. Quand le voleur y fraie à ses dépens, aucune tribu n’accoure à sa rescousse ; d’ailleurs nous n’en avons, pas plus que de races. Les destin de l’aigrefin le mène en prison et ainsi nous avançons. Mieux encore, le calendrier de notre bilan ne compte d’année 1978. Suite à mes voyages où je récoltais l’aide étrangère, traçait des autoroutes et érigeais des écoles, je convoquai une compétition où purent s’exprimer 20 électeurs. Nous élûmes un dirigeant jeune. A la faveur de la suivante, un millier de citoyen participaient. La majorité choisira une femme, prédécesseur de l’actuel Chef de l’Etat Joub Abdellah. Nous avons suivi le processus vertueux et moissonné les fruits. Hélas, j’entends dire, qu’au Parlement, les édiles discutent de la levée de l’interdiction d’immigration venue de Mauritanie. Aux yeux de mes compatriotes d’hier, ma décision pionnière passait pour un choix gratuit, sans discernement.

A l’instant, je ressens du chagrin car l’entrée d’un seul mauritanien nous vaudrait une série de tribulations, dont le deuil d’une cohésion tissée à force d’endurance ; l’immigrant viendra apprendre à nos enfants le système de castes, leur dira combien leurs ancêtres se combattaient et pourquoi quelques-uns en asservissaient d’autres. Il les acclimatera à l’idée de la tribu insigne, de la naissance souillée et du racisme haineux.

…l’impuissance tragique des exclus devant la soldatesque en armes

Ce réfugié plantera, chez nous, le pommier de la discorde dont nous avalerons la semence maudite, au point de corrompre notre éden. Je ne veux de ces intrus. Mauritaniens, naguère, j’aspirais à une patrie et ne la trouvais, avant d’annoncer ma dissidence et la rupture d’avec les objets de votre adoration.

Parlementaires, cet enjeu notoire requiert, de nous, la décision, en ultime ressort, de trancher le lien au passé et à ses symboles. Dans ce pays, jusqu’à ce jour, ils ignorent l’assurance-maladie d’où leur drame. Ils méconnaissent le sens de l’éducation, sauf pour les plus nantis de leurs enfants ainsi préparés à mieux apprendre quand ils grandiront. L’inscription des fils de privilégiés dans les universités occidentales leur permet de perpétuer la hiérarchie indigne, par la reproduction des clivages de race, de tribu et de région.

Leur médecine aide à renforcer la santé corporelle des méchants et prolonger leur existence, ainsi honorée et recueillie dans une voiture climatisée qui roule sur du sable fin d’un affluent aux confins duquel s’étendent les sépultures non radioactives, des nécessiteux. Les riches ne trépassent chez eux, sauf le temps d’une exception puis ils se prolongent, outre-tombe. la perpétuelle inclination au privilège leur garantit la distinction post-mortem.

Dans la plus célèbre de leur mosquées, les opposants et les démunis s’exposent à la censure tandis que les nantis recueillent des oraisons à la mesure de leur affliction. Ceux-là se ne rendent au cimetière que par une vaste arène à cet effet conçue ; cet espace VIP approfondit le fossé entre les défunts ; bref, la vie dans ce pays est une épreuve qui résulte d’un assemblage intelligent d’expédients, aux fins d’assister les puissants à le rester ; ainsi imaginée, elle leur confère la sensation vivifiante, le confort de l’assurance en l’éternité, s’il le faut sous d’autres cieux.

Telle contrée représente, pour moi, l’impuissance tragique des exclus devant la soldatesque en armes, que les sicaires agitent ou non la poudre des fusils, les salves de l’interprétation religieuse ou des deux pathologies, à la fois. Ne déchiquetez notre pays, vous les embusqués alentour ! La Mauritanie encercle mon paradis. Alors, n’ouvrez, dans la Grande Muraille, la niche d’où s’insinuerait son flux vénéneux !

*Journaliste 

 

 

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