Par Bakary Tandia*
Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas en termes de surprises. Le gouvernement du Sénégal vient en effet de convoquer, contre toute attente, l’honorable Biram Dah Abeid, président de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), à la demande du gouvernement mauritanien, le mercredi 19 juillet 2025.
Lors de cette rencontre, les autorités sénégalaises, par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur, ont sommé le député de cesser toute activité dirigée contre la Mauritanie depuis le territoire sénégalais. En réponse, M. Biram Dah Abeid a rappelé qu’il est un militant engagé dans une lutte non violente et qu’il n’a jamais, ni directement ni indirectement, incité à la violence. Il a ainsi rejeté comme infondées les accusations du gouvernement mauritanien, qui selon lui, ne recule devant aucun stratagème pour faire taire les voix dissidentes. Il n’a d’ailleurs pas été surpris par cette démarche, la Mauritanie étant coutumière de telles pratiques.
Le véritable choc vient cependant du Sénégal, un pays réputé pour son hospitalité légendaire et sa tradition démocratique, qui en ont fait une référence mondiale. Cette nouvelle orientation des autorités sénégalaises risque de ternir sérieusement une image qui faisait naguère sa fierté. Il est permis de douter que le peuple sénégalais ou sa société civile cautionnent une telle dérive.
Comble de l’inacceptable, les appels téléphoniques insistants des services de renseignements sénégalais, exigeant que le président Samba Thiam, citoyen mauritanien, se présente devant les autorités sécuritaires, constituent une violation flagrante des règles diplomatiques élémentaires entre États, ainsi qu’une atteinte aux droits fondamentaux de M. Thiam. Ce harcèlement téléphonique s’apparente à une tentative d’intimidation, voire d’enlèvement. Quelle pression la Mauritanie a-t-elle donc exercée sur le gouvernement sénégalais pour qu’il agisse de la sorte ? Une question qui mérite d’être investiguée par toute personne éprise de justice.
Dans ce contexte troublant, comment peut-on accorder du crédit à un gouvernement mauritanien qui prétend vouloir organiser un dialogue national pour renforcer la cohésion sociale, alors qu’il adopte, au même moment, des comportements contraires aux objectifs proclamés ? Ces actes sapent la crédibilité du processus et jettent un doute sérieux sur la sincérité des autorités mauritaniennes.
Organiser un dialogue véritable suppose, en amont, la mise en œuvre de gestes concrets : apaisement des tensions, réduction des divergences, et surtout rétablissement de la confiance, aujourd’hui largement érodée. La responsabilité en incombe au gouvernement, qui souffre d’un déficit de crédibilité manifeste. Après tant de déceptions, il lui revient de fournir la preuve de sa bonne foi, pour espérer rallier l’opposition et la société civile à cette initiative.
Compte tenu des échecs répétés des dialogues passés, la vigilance est de mise face aux simples déclarations d’intention. Un dialogue n’a de sens que s’il débouche sur des résultats concrets, susceptibles d’initier un véritable changement de paradigme au service des populations, meurtries par des années de marginalisation et d’injustices.
Si le président Mohamed Ould Ghazouani tient réellement à la réussite de ce dialogue, comme il le proclame, il a les moyens de le démontrer. Il doit commencer par normaliser l’espace politique, en reconnaissant les partis jusqu’ici exclus de manière injustifiée. Cette reconnaissance n’est pas une faveur, mais un droit constitutionnel. De même, les militants arbitrairement arrêtés doivent être libérés sans condition.
Quant aux démarches du gouvernement mauritanien auprès des autorités sénégalaises visant à harceler et intimider MM. Biram Dah Abeid et Samba Thiam, elles sont vouées à l’échec. Car la peur leur est étrangère. Ce type de manœuvre ne fait que révéler le cynisme de deux États alliés dans l’oppression.
Cela appelle à une vigilance accrue de la part des leaders politiques et de la société civile. Il est profondément regrettable que le gouvernement mauritanien commette un tel faux pas, précisément au moment où se préparent les assises d’un dialogue national censé ouvrir une nouvelle ère.
*Défenseur des droits humains – New York, le 14 juillet 2025