Chronique carcérale d’un militant nassériste mauritanien : entre souffrances, solidarité et mémoire

Quand les nationalistes arabes sont les hôtes des négromauritaniens. Témoignage extrait des notes sur les arrestations de militants nasséristes en Mauritanie en 1984. Par Sheikh Bekaye,

Nouakchott, avril 1984. Sur les pages d’un agenda coréen blanc, récupéré le lendemain de mon arrestation, j’inscrivais en lettres sobres une phrase glaçante : « Torture reached its peak » (la torture est à son comble). Ces mots allaient devenir le fil conducteur de ma résistance intime.

Mémoire d’une incarcération : entre clandestinité et survie

L’agenda, d’abord dissimulé parmi les ordures de ma cellule, puis glissé sous un matelas autorisé, devint le refuge de mes notes. Plus tard, avec l’accès aux livres, j’utilisai les marges pour consigner les faits, en anglais, langue peu parlée parmi mes codétenus – une stratégie pour protéger ma pensée. J’y retraçais les grèves, les tracts, les graffitis… tout ce qui avait précédé mon arrestation le 26 mars 1984.

Les premières arrestations remontaient au 3 mars, lorsque de jeunes militants nasséristes ont été appréhendés. Puis ce fut le tour de lycéens de Teyaret, de Cheibani, et enfin, la vague massive du 25 mars. Dans le secret de mes annotations cryptées, j’ai poursuivi ce journal jusqu’au coup d’État du 12 décembre, et au-delà.

La machine de torture en marche

Les cris, les pertes de connaissance, la privation d’eau et de nourriture faisaient partie du quotidien. Les policiers venaient ensuite se vanter de leurs actes. Des noms circulaient : Mohamed El Hafez, Hamoud, Khalil Ould Tayeb, et tant d’autres. Mohamed Ould Jiddou, torturé, affaibli mais intraitable, était devenu un symbole de résistance.

Parmi les bourreaux, un certain officier Baba, connu pour frapper les parties intimes, répétait : « Si tu veux avoir des enfants, il faut avouer ! » L’argent, devenu outil de survie, me permettait d’obtenir lait et thé grâce à un policier noir-mauritanien, Diop, complice discret.

Complicités humaines au sein de la brutalité

Diop ne se contentait pas d’introduire du lait. Il me faisait écouter les bulletins de Radio Mauritanie ou m’en offrait des résumés. Il évitait les policiers arabes, craignant pour sa propre sécurité. Ces derniers étaient souvent les plus brutaux, mus par un mépris profond.

Pourtant, au sein de cette machine répressive, des éclats d’humanité subsistaient. Des policiers negro-mauritaniens feignaient la violence en l’absence de leurs supérieurs, soignaient les blessés, transmettaient nos courriers, et nous informaient de l’état de nos familles. C’est dans ces gestes que nous avons perçu la fracture ethnique, choisie ou exploitée par le régime, mais aussi la possibilité d’une fraternité résiliente.

Solidarits inattendues et enseignements de fortune

Rassemblés au Génie militaire, nous avions improvisé une vie de détenus érudits. Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lamine, surnommé « le Juge », donnait des cours d’arabe et de grammaire. Le Dr Mohamed Lamine Ould Naty, quant à lui, était notre professeur de sport, nous initiant au vocabulaire des arts martiaux.

Trois sergents nous ont marqué : feu Guissé, Lam Abdoulaye et Diop Cheikh. Le premier était surnommé « Qaïs Al Kunty » par Mohamed Ould Jiddou. Le second me portait sur son dos pour aller aux toilettes. Le troisième, Diop Cheikh, était mon professeur de pulaar. Tous trois nous ont offert des instants d’humanité au sein de l’inhumain.

Un devoir moral envers l’histoire

Des années plus tard, j’ai été surpris de lire dans les colonnes du journal (Chaab) que le sergent Lam Abdoulaye est jugé devant un tribunal militaire pour avoir été accusé de participer à une tentative de coup d’État pour laquelle 50 militaires négro-mauritaniens étaient inculpés… Mon cœur fut brisé de peine quand je l’ai vu les menottes aux poignets …

Heureusement, le président de ladite cour, le colonel feu Cheikh Ould Boïdda (qu’Allah l’accueille en Son saint paradis), m’a autorisé à rencontrer ce frère, à le serrer dans mes bras et à lui proposer mon aide…

Je ne saurais décrire mon intense sentiment de bonheur, lorsque, suite à cette rencontre, j’étais resté longtemps debout dans un coin sombre du cinquième arrondissement de Nouakchott, dans l’attente de l’arrivée de quelqu’un à qui je devais remettre une pile de lettres que j’avais apportées de Oualata, après que les autorités m’aient autorisé, en tant que correspondant de presse, à rendre visite aux prisonniers accusés de fomenter ladite tentative de coup d’État et à ceux du mouvement FLAM, incarcérés dans cet exil intenable. J’avais pris le risque de cette « aventure » pour apaiser ma conscience en m’acquittant d’un devoir moral envers mes chers frères : Lam, Diop, Moussa, Abdoul G, Guissé et bien d’autres. Aussi, ai-je agi ainsi pour être loyal envers la communauté nationale et servir une Mauritanie réconciliée avec elle-même et dont les citoyens tiennent à panser les plaies au lieu d’y « penser » avec rancœur.

Pourquoi les négro-mauritaniens ont-ils sympathisé avec nous à l’époque ?

C’est un tout autre sujet très vaste sur lequel je ne m’étendrai pas ici. Je dirai seulement que c’est une preuve évidente que le nationaliste nassériste de souche mauritanienne et le négro-mauritanien qu’il soit nationaliste ou citoyen tout court, sont, contrairement à ce que l’on veut faire croire, affectivement soudés par des liens solides d’appartenance à une même communauté historique d’intérêts et de respect mutuel et constituent à travers la reconnaissance et le respect de la différence, mais surtout l’exclusion ou l’élimination de tout préjugé, la soupape de sécurité qui protège et renforce l’unité de notre patrie pluriethnique et multiculturelle, mais qui doit nécessairement rester cohésive dans sa diversité, forte et fière de sa richesse socioculturelle.

Derniers mots d’une nuit interminable

A la fin de cette journée d’intenses épreuves, j’ai conclu mes notes en mentionnant ce qui suit:

« Affaibli par la torture, la soif et la faim, je me sens maintenant très déshydraté, écrasé de fatigue et souffrant d’une terrible céphalée. C’est la cinquième nuit que j’ai passée sur la corde à linge des inquisiteurs, sans boire ni manger, enveloppé dans un tissu d’horreurs que fouette le tourbillon de mes souffrances s’intensifiant au rythme sadique du tambour à percussion de mes tortionnaires. »

Source: Sheikh Bekaye sur Face Book,

Texte traduit de l’Arabe par Mohamed Abdellahi Bousseiry

Révision et réécriture par Initiatives News (Avec IA)

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