Malgré les avancées indéniables sur plusieurs plans, certaines de nos grandes villes de l’intérieur du pays n’évoluent pas aussi rapidement, qu’on le souhaite. L’image que l’on en garde reste parfois la même, un quart de siècle après, avec le même problème d’eau, le même centre ville, le même marché central, le même marché de bétail, les mêmes maisons, murs, rues, restaurants populaires, garages mécaniques et une population adorable et pacifique, luttant stoïquement pour vivre ou survivre.
C’est plutôt sur les personnes que l’on perçoit l’effet du temps avec la venue d’une nouvelle génération mêlant sa vivacité et sa joie de vivre, aux inquietudes justifiées.Une génération que vous ne reconnaissez pas, si elle ne vous rappelle pas des anciens que vous aviez connus, qui ne sont plus là , ou des anciens encore là, avec leurs cheveux devenus bancs, les rides au visage rappelant des affluents d’un fleuve, la dentition, la démarche et le regard,le tout, affecté par l’implacable temps.
Des sentiments pareils vous viennent quand vous revenez sur des lieux que vous aviez connu depuis longtemps, comme ce fut le cas avec moi, récemment, à Kiffa, ville où j’ai habité 6 ans au milieu des années 90.
En fait, plusieurs de nos capitales régionales sont restées longtemps à la traîne. Sans veritable tradition citadine, elles n’ont pas non plus eu d’infrastructures héritées de la colonisation et les efforts de l’Etat national furent submergés par la catastrophe écologique que fut la sécheresse des années 70, l’exode rural et l’urbanisation anarchique qui ont suivis, en plus d’un bouquet d’autres considérations.
Nos grandes cités ont longtemps été maintenues dans le noir et s’alimentaient en eau à partir de puits traditionnels. L’électrification de nos grandes villes et leur raccordement au réseau téléphonique analogique datent des années 90 et à internet à partir des années 2000. Des adductions d’eau potable ont été réalisées par la suite, sur toute l’étendue du territoire, mais ne sont pas parvenues à couvrir les besoins croissants pour des raisons parfois objectives. Mon propos ici ne vise pas à chercher des circonstances atténuantes. Davantage de travail aurait pu changer la face de nos villes et de notre pays malgré les contraintes, les anachronismes et nos éternelles chicanes et complaintes.
Kiffa avait deja soif quand je m’y suis installé en 1996. Bâtie sur les bords d’un oued dont le lit s’étale au nord en direction de l’est sur plus d’une dizaine de kilomètres et belle ville à l’époque, avec ses disparités et l’absence de toutes voiries, Kiffa connaissait un été caniculaire, que vous fera heureusement oublier son fabuleux hivernage et son sympathique hiver.
Ceux que le hasard ou les circonstances ont amenés pendant l’hivernage à la plaine de Boujbeybaya au Sud Est de Kiffa s’en souviendront pour longtemps. Au sud de celle-ci, les pintades, les perdrix, les outardes et parfois des gazelles dorcas meublaient les collines de Teguelweze, desquelles, surgissaient parfois des hyènes poltronnes et des chacals malicieux.
Kiffa grouillait de vie le jour et se vidait d’une partie de sa population l’après-midi pour des dizaines localités avoisinantes établies de tous les cotés et non moins célèbres que chef lieu de la wilaya.
Son marché de bétail était une grande bourse des valeurs du cheptel et son marché central énorme et regorgeant de produits manufacturés ou locaux, était(et reste) la plus grande expression de la pagaille sur terre : automobilistes, charretiers et parfois les piétons peinent à s’y frayer un passage. Cette ville avait grandement besoin du projet de mise en place d’un schema urbain présentement en cours de mise en oeuvre. La circulation par automobile dans la majorité de ses quartiers constitue une véritable épreuve.
Les programmes de développement financés par les partenaires et les ongs internationales étaient assez présents à la fin des années 90 où il était question de construction de barrages, d’évacuation des eaux de pluies, d’aménagements ruraux, de mises en défense, d’appuis aux collectivités, aux communes et aux cooperatives. Mais l’essentiel était ailleurs.
Kiffa deuxième ville du pays en terme de superficie et de population, établie sur un biseau sec nous dit-on, se faisait approvisionner en eau par les citernes et les charrettes. C’est au début des années 2000 qu’un projet de renforcement de l’approvisionnement de la ville en eau à partir de l’oued de rowdha avait été réalisé. Il fut d’un apport non négligeable mais ne pouvait accompagner les besoins d’une ville en croissance.
Au cours des dix dernières années le manque d’eau surgissait de manière récurrente. Il y eut un renforcement de la production d’eau à partir de « Negt » en 2019 et il était question de raccorder la ville au réseau de la nappe du Dhar du Hodh Charghi ou de l’approvisionner à partir du fleuve Sénégal à partir de Gouraye.
C’est cette dernière option qui a été retenue. Son financement de l’ordre de 317 millions de dollars a été obtenu et sa mise en œuvre prevue dans les prochains mois. Ce projet bénéficiera à 92 villes et villages situés sur le passage des conduites d’eau. Il constituera la solution définitive au déficit d’eau à Kiffa et l’un des plus grands projets d’eau en Mauritanie après l’Aftout Sahli,le Dhar, l’Aftout chergui et le grand projet lancé récemment au profit des régions du centre. Ce sera alors la plus importante réalisation au profit des populations de Kiffa après la route de l’espoir, l’électrification et le Domsat .
Et en attendant une solution intermédiaire a été mise en place avec le renforcement de l’approvisionnement de Kiffa à partir de Bougadoum (40 km à l’est), inauguré le 11 mai 2024 par le Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et garantissant un nouveau apport de 2000 mètres cubes par jour, équivalant à l’offre en eau, préexistante.
Ce qui est considérable en attendant la solution definitive qui va subvenir aux besoins de la plus grande ville de l’est mauritanien jusqu’à l’horizon 2050.
Isselmou Salihi