Par Initiatives News*
(Tektaaké, Guidimakha-Mauritanie,) Tektakake, commune enclavée dans la région du Guidimakha, sud-est mauritanien, a été longtemps marquée par le silence et les traditions patriarcales Une révolution douce y est en marche. Elle ne vient pas d’en haut, mais des profondeurs de la communauté elle-même. Un réseau de leaders engagés, de femmes courageuses, et de jeunes filles qui osent dire non.
À la croisée de ces forces se trouve un homme : Bilaly Bayyo Barry, maire adjoint, point focal du Peace Building Fund. Il est coordinateur des relais communautaires dans le cadre d’un projet lancé en 2023 par les Nations Unies et mis en oeuvre en partenariat avec la Mauritanie et les agences UNFPA, UNICEF ET HCDH.

« Ce projet est arrivé à un moment critique pour notre population. Nous étions confrontés à une recrudescence des mariages précoces et forcés, et il fallait agir », explique-t-il d’un ton calme mais déterminé.
Depuis le démarrage du projet, Bilaly Barry et les relais qu’il encadre ont multiplié les campagnes de sensibilisation. Des séances avec les imams, des discussions avec les parents, des espaces de parole pour les jeunes… Le but : faire tomber les tabous, informer sur la loi — aucun mariage avant 18 ans, et toujours avec consentement — et surtout, réhabiliter la parole des filles.
« Nous avons dit aux imams : vous ne devez plus bénir l’union de filles de 12 ou 13 ans. Et, à notre grande surprise, ils nous ont écoutés. »
Mais ce combat ne se limite pas à des mots. Il s’ancre dans des actes, dans des visages. Comme celui de Mariem Mint Kassem.
Une enfance confisquée, une voix retrouvée
À 14 ans, Mariem était une collégienne pleine d’ambitions. Jusqu’au jour où sa mère lui annonce, les yeux baissés : « Ton père a décidé. Tu vas te marier. »
« Je ne connaissais même pas son nom. J’ai protesté, pleuré. Mais c’était la tradition, je n’avais pas le choix. »
Forcée de quitter l’école, mariée sans amour ni préparation à la vie adulte, Mariem se retrouve piégée. Deux divorces plus tard, mère trop tôt, elle endure l’isolement, la pauvreté, la perte de ses rêves.
« J’ai rangé mes livres, suspendu mes rêves. On m’a volé mes années d’apprentissage. »
Mais elle refuse de rester une victime silencieuse. Aujourd’hui, à 23 ans, elle vend du couscous, cultive le jardin familial, et surtout, elle témoigne.
« Ce n’est pas la vie que j’avais choisie. J’ai essayé de continuer l’école. Je me battais. Mais mon mari disait que c’était inutile, que la place d’une femme était à la maison. Nous nous disputions sans cesse. Deux divorces, des réconciliations sous tension. Puis un semblant d’accord : je pouvais retourner en classe. Trop tard. Les grossesses, le manque d’argent, la fatigue… tout m’a freinée. Mais autour de moi, les choses changent. Les filles parlent. Les parents écoutent. Il y a de l’espoir. »
Un leadership communautaire en action

La transformation à Tektaaké ne repose pas sur un seul projet, mais sur une dynamique nouvelle : celle d’un leadership local formé, crédible et actif. Le réseau des relais communautaires, coordonné par M. Barry, va bien au-delà de la lutte contre les mariages précoces. Il s’attaque aussi à d’autres leviers : enregistrement à l’état civil, droits fonciers des femmes, cohésion sociale.
« Ce projet (PBF) m’a permis d’acquérir des compétences. Aujourd’hui, je forme d’autres relais pour renforcer notre impact. »
Ce modèle de changement par le bas montre ses premiers fruits : recul des mariages précoces, filles qui osent refuser, familles qui écoutent, imams qui coopèrent.
Une étincelle devenue flamme
À Tektaaké, le silence s’effrite. Des voix s’élèvent. Comme celle de Mariem, qui, malgré une jeunesse volée, choisit de parler.

« Même dans l’ombre, une étincelle peut rallumer la flamme. »
Et cette étincelle, nourrie par l’engagement communautaire, pourrait bien illuminer l’avenir de toute une génération.
*Cet article est publié suite à une mission de documentation de l’impact du projet PBF mis en Œuvre par l’UNFPA, l’UNICEF et le HCDH dans la région du Guidimakha