Par Mohamed Ould Abdi
En 2003, la Mauritanie organisait une campagne nationale du livre. Cette campagne qui avait pour but de sensibiliser les citoyens sur la valeur de la lecture et la portée culturelle du livre devait être déployée à Nouakchott et dans les autres wilayas du pays . Dans le Brakna, c’est à Aleg que l’événement devait se tenirau mois de mars. Une réunion préparatoire eut lieu à Nouakchott le 19 mars. Mais l’invasion de l’Irak par les États-Unis vint tout bouleverser, forçant le report de la campagne à début juin.
Une campagne du livre avortée
Le 7 juin 2003, une réunion fut organisée à Aleg par le wali afin d’informer les acteurs politiques de la tenue prochaine de l’événement. Cependant, une tentative de coup d’État éclata quelques heures plus tard, interrompant une fois encore les préparatifs. La campagne du Kitab dans le Brakna devint dès lors un projet redouté, et elle ne vit finalement le jour que bien après les événements du 8 juin.
Présage d’une crise
Le soir du 7 juin, alors que je rentrais à Nouakchott après la réunion d’Aleg, mes compagnons de voyage et moi évoquâmes la situation du pays. Je leur exprimai ma conviction qu’un coup d’État était encore possible, et qu’un groupe déterminé pouvait facilement renverser un régime affaibli. Ils jugèrent mon analyse excessive, à l’image d’un ami haut fonctionnaire qui, quelques jours auparavant, s’était montré surpris par mon diagnostic sur l’agonie du régime.
Malgré leurs doutes, mes arguments suscitèrent réflexion. La discussion fut interrompue par la prière du Maghrib. Après l’avoir accomplie, nous reprîmes la route vers Nouakchott.
Fatigué par la chaleur d’Aleg et la poussière de l’harmattan, je m’endormis plus tôt que d’habitude. Mon sommeil fut brusquement interrompu par des tirs nourris. Très vite, la rumeur du coup d’État circula. Je me mis à suivre la situation à la télévision.
Le matin du 8 juin 2003
Le lendemain matin, deux impératifs me poussèrent à sortir : rendre visite à mon frère, habitant à proximité de la télévision, cible des tirs, et acheter un médicament urgent pour un membre de la famille. Je suis passé d’abord à la boutique du quartier. Là un militaire m’annonça la mort du chef d’État-major, le Colonel Mohamed Lemine Ould Ndeyane.
Je laissai ma voiture et montai dans un taxi en direction du palais des congrès. Le chauffeur et ses passagers confirmaient la nouvelle. Après être descendu, je rejoignis à pied la maison de mon frère avec qui j’avais discuté par téléphone fixe. Il me rassura sur leur sécurité. Selon lui, le coup d’État ne pouvait réussir.
Je poursuivis mon trajet vers l’hôpital national. Un autre taxi accepta de m’y conduire, puis de me ramener. J’y achetai le médicament, mais le chauffeur me déposa finalement à la cité SMAR. Je dus marcher environ deux kilomètres pour regagner la maison.
Une ville figée dans l’incertitude
Durant mon trajet, je croisai de nombreuses personnes, notamment des responsables en quête d’informations, dehors ou devant leurs maisons. J’échangeai discrètement avec ceux que je connaissais et écoutai les autres. Le nom de Saleh Ould Hanena fut fréquemment cité comme meneur du putsch.
Ma tournée dans la ville me révéla l’impopularité du régime et la peur ambiante. Les responsables que je rencontrai adoptaient un discours prudent : saluant le courage des putschistes tout en affirmant que la situation restait sous contrôle.
Seul Khatry Ould Die, homme d’affaires et journaliste, afficha une certitude inébranlable : « Maaouiya est en bonne santé, les putschistes sont arrêtés ou en fuite, et le Président annoncera lui-même l’échec de la tentative. »
Une atmosphère paradoxale
À l’hôpital, je fus surpris de voir un groupe de policiers assis à l’entrée, buvant du thé, visiblement détendus. Ignoraient-ils la gravité de la situation ? Attendaient-ils de connaître l’issue ? Ces questions restèrent sans réponse.
Dans notre quartier, F Nord, un exode commença dès l’après-midi. Seuls restèrent quelques gardiens, le boutiquier, de rares responsables et moi-même. La nuit fut calme. Le lendemain, le Président Maaouiya annonça, dans un discours solennel, l’échec du coup d’État.
Une mémoire urbaine chargée de sens
Ces événements me rappelèrent une discussion survenue quelques mois plus tôt lors de la présentation du Schéma Directeur d’Aménagement Urbain (SDAU) de Nouakchott, réalisé par un bureau suisse. Parmi les recommandations figurait le transfert du bataillon des blindés hors de la ville. En 2002, ce bureau suisse avait établi un Schéma Directeur d’Aménagement Urbain (SDAU) pour la ville de Nouakchott, sur financement du PDU. Le coordonnateur Mohamed Babetta (Rahimehou Allah), avec qui je travaillais en qualité d’expert, me chargea de faire une lecture du document avant sa validation en atelier. Mon ami Diagana Issagha, actuel Président de la zone franche de Nouadhibou, qui représentait le bureau en Mauritanie, et le Président du cabinet suisse étaient avec moi dans mon bureau pour une présentation du SDAU.
Face à la recommandation relative au transfert des blindés d’Arafat à l’extérieur de la ville, ma réaction fut immédiate : cette proposition était inacceptable et ne devait pas figurer dans le document. Pour moi, il était anormal qu’un bureau d’études, de surcroît étranger, s’immisce dans des questions relatives à l’armée. Le Directeur du bureau, François Laurent, m’expliqua que la sécurité fait partie intégrante de la gestion urbaine et qu’il ne pouvait que faire une telle recommandation ; il ajouta que nous avions toute la latitude de ne pas en tenir compte et même de la rayer de la version finale.
Je transmis au coordonnateur une note sur mes premières impressions du document et, en raison de la sensibilité de la question du transfert des blindés, je lui en parlai verbalement. Sa réponse ne tarda guère, et il fut furieux. Il me rétorqua en disant : « Ça ne les concerne pas, et cette recommandation sera tout simplement supprimée du document. » La recommandation fut ainsi élaguée et, après quelques semaines, le SDAU de Nouakchott fut adopté lors d’un atelier regroupant toutes les parties, notamment l’ADU, qui s’occupait de la planification urbaine.
Le 8 juin 2003, les blindés d’Arafat, stationnés dans la zone concernée, furent précisément ceux qui se dirigèrent vers la présidence pour tenter un coup d’État. Seize personnes, dont des habitants du quartier, y perdirent la vie. Le 10 juin 2003, le directeur du bureau suisse arriva à Nouakchott pour une visite programmée d’avance. Il passa me voir dans mon bureau et me taquina en disant : « Eywa ! Vous avez vu que les blindés d’Arafat se trouvent dans un endroit inapproprié ? »
L’après-coup et le tournant politique
Le 8 juin 2003 révéla la fragilité du régime de Maaouiya et annonça sa fin prochaine. Ce sentiment général fut magnifiquement exprimé par le regretté journaliste Abdallahi Cire Ba dans son article paru dans L’Unité, intitulé : « Le 08 juin, c’est demain ».
Dès lors, l’affrontement politique s’intensifia. Les « cavaliers du changement », auteurs de la tentative, accélérèrent leurs manœuvres contre le régime.
Le 3 août 2005, un coup d’État fut finalement mené par les proches collaborateurs militaires de Maaouiya. En déplacement à l’étranger, il fut renversé après plus de vingt ans de règne. La Mauritanie entra alors dans une nouvelle ère.