La Mauritanie, une  destination attirante depuis des lustres

Terre d’émigration, la Mauritanie est également une terre d’immigration qui accueille des communautés étrangères depuis la période coloniale essentiellement pour les migrants ouest africains. A l’indépendance, le

pays avait besoin de main d’œuvre qualifiée pour construire la capitale et faire fonctionner les institutions de l’Etat.

Une immigration de longue date

Ainsi, la Mauritanie a été historiquement un pôle d’attraction pour l’espace sous-régional pour des diverses formes de mobilité qui incluent les migrants de travail, saisonniers ou de long terme, transfrontaliers, régionaux ou intercontinentaux.

Ces mouvements migratoires vers le pays ont été favorisés par un accès facile au territoire pour les populations des pays environnants, un cadre légal non contraignant, une acceptation générale de la population envers les étrangers ainsi qu’une stabilité politique et sécuritaire du pays au niveau de l’espace sahélien.

La mobilité vers la Mauritanie est profondément ancrée dans les comportements et les habitudes socio-économiques propres à la région de l’Afrique de l’Ouest.

Historiquement attirés par les opportunités économiques en Mauritanie. En même temps le déficit en main d’œuvre, non, peu hautement qualifiée, dans certains secteurs et professions, a encouragé l’arrivée des étrangers de la sous-région et de la région en quête d’emploi.

Suite à l’indépendance du pays, la Mauritanie enregistrait une pénurie de travailleurs qualifiés et de cadres: la majorité des mauritaniens qui étaient encore principalement des nomades, avaient une formation limitée. Depuis l’indépendance en 1960, la Mauritanie a commencé à constituer une destination intéressante pour la main-d’œuvre de la sous-région dans les secteurs de la pêche, du minerai de fer et du commerce.

La construction de la capitale Nouakchott a partir de 1957 a créé de nombreux emplois. Des Sénégalais, Maliens, Guinéens et Béninois ont rapidement occupé les postes administratifs et intégré les secteurs du bâtiment, de l’électricité, de la plomberie et de la blanchisserie.

Dans le Nord du pays, l’exploitation du minerai de fer qui a débuté en 1952 avec la création de la Société des Mines de Fer de Mauritanie (MIFERMA), ainsi que l’industrie de la pêche, ont également fait de Nouadhibou un pôle attractif.

A cette époque les mauritaniens ne portaient que peu d’intérêt à la mer et aux ressources halieutiques, laissant aux pêcheurs sénégalais la possibilité de s’installer dans la région.

Dans les années 1980, les Ghanéens se sont également lancés dans le commerce du poisson séché-salé entre Nouadhibou et le Golfe de Guinée.

Ainsi les vagues successives de migrants ont contribué à combler un déficit manifeste de main d’œuvre qualifiée dans certains secteurs et professions, notamment dans l’administration, la pèche, la construction, les services, l’enseignement….L’on se rappelle que jusqu’au début des années 1980, le secteur de l’enseignement secondaire était majoritairement dominé par un corps professoral étranger, toutes nationalités confondues.

La directrice de l’Ecole Normale Supérieure qui a formé les premiers et les meilleurs professeurs du pays, est d’origine étrangère. Il s’agit de la très populaire Mme Bâ.

Beaucoup de migrants de la première vague au moment de l’indépendance se sont parfaitement intégrés à la société mauritanienne et ont grandement contribué à l’édification de l’Etat.

Dans le cadre de la mise en place de sa législation, la Mauritanie s’est dotée d’un arsenal juridique et réglementaire sur les travailleurs étrangers dès les années 1960. Vers la fin des années 80 et au début des années 90, la Mauritanie devient une destination de choix de migrants ouest africains et dans une moindre mesure maghrébins en raison d’une croissance économique exceptionnelle, de la découverte du pétrole, de l’ouverture démocratique… et de nombreux conflits secouant certains pays de la sous région ouest africaine (Mali, Libéria, Côte d’ivoire, Sierra Léone…).

A partir de 2004, la médiatisation des cas de noyades de migrants subsahariens tentant de rejoindre les côtes européennes amène les autorités mauritaniennes à prendre conscience d’un nouvel état de fait : la Mauritanie est aussi devenue, un pays de transit, puisque c’est à partir de ses côtes et de la frontière terrestre avec le Maroc nouvellement ouverte que les candidats subsahariens à la migration irrégulière partent vers l’Europe.

Les pays du Maghreb ont fermé leurs frontières aux migrants subsahariens, laissant à la Mauritanie la charge d’expulser ces « indésirables» en Europe, prenant ainsi le risque de créer des tensions avec les pays d’origine des migrants.

Paysage institutionnel de la migration

Les questions de gestion de la migration n’étaient pas prises en charge dans les politiques publiques mises en œuvre en Mauritanie, ni au sujet des émigrés, ni au niveau de la gestion de l’immigration.

Bien que le pays soit doté d’un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (2006-2010) et d’un Plan triennal de développement (2008-2010) ; la migration n’y est pas considérée en tant que question stratégique ni en termes opérationnels. En fait, ce n’est que depuis les routes de l’immigration clandestine avec leur lot macabre de victimes, ont traversé la Mauritanie et mis le pays au devant de la problématique migratoire, que la vulnérabilité des frontières et son utilisation par des réseaux assez organisés que les pouvoirs publics sous la pression des partenaires européens surtout, ont mis cette question au centre de leurs préoccupations.

Il convient de souligner que le phénomène migratoire en Afrique de l’Ouest est très ancien, les populations y étant très mobiles depuis des millénaires et des cycles migratoires ont façonné les différentes populations vivant dans ces régions. Dans la région, 7,5 millions de personnes vivraient dans un pays où elles ne sont pas nées. Seule une minorité des migrants de cet espace ont l’Europe comme objectif, et si depuis les années 1990 les comportements, les buts et les routes migratoires ont changé, dans la mesure.

A la suite de cette prise de conscience, un premier plan de gestion de ces migrations a rapidement été préparé et est resté centré sur la protection des frontières. De même, ont été mis en place un Comité Interministériel et un Groupe d’Etude sur la gestion des Flux Migratoires (GEFM).

Pour faire face à ces risques et gérer la situation humanitaire résultant de ces tentatives d’atteindre les côtes espagnoles, une coopération a été mise en place au niveau bilatéral et multilatéral entre la Mauritanie et l’Europe (Frontex, Centre de Réadmission)

Dans le cadre de cette coopération, un camp d’accueil provisoire a été ouvert à Nouadhibou afin de procurer une première assistance à ces migrants bloqués sur le territoire mauritanien après avoir échoué à accéder aux îles Canaries en Espagne et afin de préparer leur rapatriement vers les pays d’origine. Ce centre de rétention accueille également les migrants expulsés d’Espagne et qui sont censés avoir transité par le territoire mauritanien. Environ 6000 personnes ont transité par ce centre d’accueil en 2006.

Ces reconduites ont faiblement concerné les migrants de nationalité mauritanienne (15 à 20 par an) comparativement aux maliens (400 par an). Le flux des départs par pirogue a connu une hausse en 2007 (environ 36000 migrants ont accosté aux îles Canaries, et en 2009 seulement 2200 ont pu arriver et cette tendance s’est confirmée en 2010 durant laquelle il n’a pas été noté de tentatives

Cette situation avait démontré la fonctionnalité du système e surveillance mis en œuvre au niveau de la zone de surveillance aérienne et maritime par l’Europe. Dans le dispositif de cette forteresse, la Mauritanie avait reçu des appuis de partenaires institutionnels comme l’Organisation Internationale pour les Migrations, l’Union Européenne, et certaines missions diplomatiques européennes afin d’améliorer les possibilités de la Mauritanie pour contenir ce flux migratoire. C’est ainsi que plus de 40 postes d’entrée et de sortie sur le territoire mauritanien, ont été érigés et sont mis sous le contrôle des forces armées de défense et de sécurité afin de maîtriser la gestion de cette migration transfrontalière.

Seulement la situation s’est beaucoup aggravée ces dernières années.

40 326 arrivées par la mer depuis la Mauritanie vers les Canaries ont été enregistrées en 2020 (8 000 de plus qu’en 2006- alors que la tendance globale était à la baisse), un record qui a été dépassé l’année suivante, avec 41 979 arrivées par mer en 2021 puis en 2023, avec 57 071 arrivées. Début 2024, la route atlantique vers les îles Canaries était le passage le plus fréquenté vers l’Europe, avec 12 092 traversées enregistrées en janvier et février, contre 9 150 sur la Méditerranée orientale, la deuxième route la plus fréquentée de cette période.

Ainsi, sur les plus de 22 000 personnes arrivées dans l’archipel espagnol au cours du premier semestre 2024, 13 000 sont parties des côtes mauritaniennes

Dans le but de contrôler cette migration, en mars 2024, l’Union européenne, en soutien à l’Espagne, a signé un partenariat avec la Mauritanie.

Cet accord continue à susciter un tollé en Mauritanie où, face à l’ampleur de la crise migratoire plusieurs milieux au sein de l’opinion et la Société Civile s’insurgent contre ce pacte.

Il ya lieu de souligner que le gouvernement avait adopté en 2007 une stratégie nationale de gestion de la main d’œuvre étrangère, assortie d’un plan d’action de mise en œuvre, dont les orientations prévoient un double ancrage au niveau de la politique nationale de l’emploi, d’une part, et au niveau de la politique de gestion de l’accès, du séjour et de l’installation des étrangers en Mauritanie d’autre part.

Dans cette stratégie il est question de réguler l’utilisation de la main d’œuvre étrangère en Mauritanie surtout en rapport avec l’arrivée de grosses sociétés internationales qui font un grand recours à l’expertise des expatriés mais qui ne sont pas encore détenteurs de permis de travail.

C’est ainsi que tout employeur peut engager les services d’un travailleur étranger si celui-ci a obtenu au préalable un permis de travail l’autorisant à occuper l’emploi visé.

Le permis de travail autorise un travailleur étranger à occuper un emploi salarié sur le territoire de la

République Islamique de Mauritanie. Il peut être délivré selon l’un des trois types ci-après :

– Le permis A autorise son titulaire à occuper un emploi déterminé au service d’un employeur déterminé pendant une durée maximale de deux ans ;

– Que l’emploi pour lequel le permis est demandé ne puisse être pourvu par un travailleur Mauritanien ;

– Que le travailleur étranger justifie les qualifications requises pour l’acquisition de l’emploi demandé :

Que l’employeur ou le travailleur étranger n’ait pas fait l’objet de mesure de rétorsion par rapport à des infractions au dispositif réglementant la main d’œuvre étrangère au cours des cinq dernières années.

– Le permis B autorise son titulaire à occuper tout emploi salarié au service de tout employeur établi sur le territoire de la République Islamique de Mauritanie pendant une durée maximale de quatre ans.

– Le permis C qui peut être délivré à tout travailleur étranger résidant en Mauritanie de façon ininterrompue depuis dix ans au moins et y ayant travaillé pendant toute cette durée en qualité soit de travailleur salarié, soit de travailleur indépendant et répondant à l’une des conditions fixées par la Loi.

Il est délivré, sur la base de la réciprocité, à tout travailleur ressortissant d’un Etat ayant signé avec la Mauritanie des accords, traités ou conventions en la matière. Le permis B peut également être accordé à tout travailleur salarié ou indépendant résidant sans interruption en Mauritanie depuis au moins huit (8) ans et y ayant travaillé conformément aux lois et règlements.

Au niveau législatif, de nouveaux textes visant à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Mauritanie sont d’actualité. Les nouveaux textes visent à aider les autorités à restructurer les conditions de séjour en Mauritanie, à émettre des cartes de séjour, à disposer d’un répertoire des immigrés, à reconduire à la frontière les indésirables et mieux lutter contre les réseaux de trafic des êtres humains

Ce dispositif législatif va renforcer celui déjà existant et composé des textes suivants:

-Loi 17/2004 du 06/07/04 portant Code de Travail

– Loi 25/2003 du 17/07/03 relative à la répression de la traite des personnes ;

– Loi 2001/052 du 19/07/01 portant Code de Statut Personnel ;

– Loi 95/009 du 31/01/95 portant Code de la Marine Marchande ;

– Ordonnance 91.022 du 20/07/91 portant Constitution de la République Islamique de Mauritanie ;

– Décret 74.092 du 19/04/74 relatif aux conditions d’emploi de la main d’œuvre étrangère et instituant le permis de travail (abrogé) ;

– Loi 67.039 du 03/02/67 portant régime de sécurité sociale ;

– Décret 65.110 de la 08/07/65 portant modification du décret 64.169 portant régime de l’immigration ;

– Loi 65.053 du 26/02/65 relative aux tarifs de la taxe de délivrance des cartes de résidents et des visas d’entrée et de séjour ;

– Loi 65.046 du 23/02/65 portant dispositions pénales au régime de l’immigration ;

– Décret 64.169 du 15/12/64 portant régime de l’immigration ;

– Décret 62.169 du 26/07/62 portant règlementation du visa et des titres de voyage ;

– Décret 62.160 du 12/07/62 portant règlementation des titres de voyage ;

Convention d’établissement et de circulation de personnes entre le Mali et la RIM du 25/07/63 ;

– Accord consulaire entre la RIM et la Tunisie du 25/09/64 ;

– Notes verbales n° 1057/MAE/DN/SP du 09/09/65 et n° 1859 du cabinet du Premier Ministre de Gambie du 11/10/65 facilitant la circulation des personnes entre la Mauritanie et la Gambie ;

– Accord du 22/04/92 entre le Sénégal et la Mauritanie sur la circulation des personnes et des biens ;

– Accord du 08/10/72 entre le Sénégal et la Mauritanie relatif à l’emploi et au séjour au Sénégal des travailleurs mauritaniens et des travailleurs sénégalais en Mauritanie ;

– Convention du 20/11/92 relative à la circulation et au séjour des personnes entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie (n’a pas été renouvelée) ;

Convention du 10/03/76 relative au tracé de la frontière d’Etat établie entre le Royaume du Maroc et la République Islamique de Mauritanie ;

– Convention du 06/07/96 entre le gouvernement de la République Algérienne Démocratique et Populaire et le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie relative au séjour et la circulation des personnes.

Aujourd’hui, la question des circulations migratoires se pose avec acuité à l’échelle de la Mauritanie. L’État mauritanien entend s’aligner sur les pays du Maghreb qui, suite aux pressions européennes, tentent d’enrayer ces flux par des politiques de plus en plus drastiques. Il se montre plus ferme envers les réseaux clandestins, à l’instar du Maroc voisin, que les migrants ont désormais du mal à atteindre ; aussi ces derniers se retrouvent-ils bloqués dans les « régions sahariennes, nouvel espace d’immigration par défaut».

La Mauritanie s’inscrit pleinement dans le système migratoire ouest-africain par l’intermédiaire de trois pôles, des villes de rebond qui structurent cet axe de transit et sont interdépendants les uns des autres : Rosso, à l’embouchure du fleuve Sénégal, Nouakchott au centre-capitale politique-, et Nouadhibou, capitale économique située à la frontière du Sahara Occidental.

Bakari Gueye

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