Mauritanie : une plaque tournante de l’immigration clandestine au cœur des enjeux géopolitiques euro-africains

Face à la montée continue des flux migratoires irréguliers vers l’Europe, la Mauritanie s’impose désormais comme l’un des principaux foyers de ce phénomène. En 2024, le pays est devenu le premier point de départ des embarcations en direction des îles Canaries, dépassant le Maroc et l’Algérie. Ce rôle stratégique place Nouakchott sous les projecteurs… et au centre des critiques.

Une présence migrante massive mais invisible

À Nouakchott, on estime à plus de 500 000 le nombre de migrants en situation irrégulière. Originaires principalement d’Afrique de l’Ouest, ces personnes exercent des métiers modestes, mais essentiels à l’économie locale : coiffeurs, vendeurs ambulants, maçons, aides à domicile… La capitale devient ainsi un point d’ancrage, provisoire ou durable, pour ces populations en quête d’un avenir meilleur.

Parmi elles, Salif Diallo, un migrant guinéen, se souviendra toujours de ce jour de mars 2025. Il tenait un petit salon de coiffure près du marché Cinquième :

« Ils m’ont trouvé dans mon salon, j’étais en train de coiffer un jeune homme. Ils m’ont demandé de fermer… J’ai demandé à appeler ma famille pour qu’on m’apporte mes affaires, ils ont refusé. Ils m’ont embarqué sans me laisser prévenir qui que ce soit. »

Salif affirme avoir passé plusieurs jours dans un centre de détention à Nouakchott, avant d’être expulsé vers le Mali — un pays qu’il ne connaît même pas. Comme lui, des centaines de migrants ont été arrêtés sans ménagement, parfois en pleine journée, dans la rue, souvent sans vérification approfondie.

Sécurité ou chasse à l’homme ?

Entre janvier et avril 2025, les autorités mauritaniennes déclarent avoir intercepté près de 30 000 migrants, démantelé 80 réseaux de passeurs et procédé à 119 arrestations, y compris au sein des forces de l’ordre. La militarisation croissante de cette lutte se traduit par des contrôles systématiques, parfois excessifs, notamment sur les axes Nouakchott–Magta Lahjar et Rosso.

Un partenariat coûteux avec l’Union européenne

Cette politique répressive s’inscrit dans le cadre d’un accord de coopération renforcée avec l’Union européenne, signé en mars 2024. L’UE a ainsi alloué plus de 210 millions d’euros, auxquels se sont ajoutés 100 millions supplémentaires en décembre, pour renforcer les dispositifs anti-migratoires. Ces fonds ont permis la mise en place de centres de contrôle, de patrouilles terrestres et maritimes — au détriment, selon certains observateurs, de la dimension humanitaire.

Des conséquences dramatiques

Les expulsions sont souvent menées sans procédure judiciaire claire, ni évaluation des risques encourus par les migrants dans leurs pays d’origine. Plusieurs ONG dénoncent des traitements dégradants, des conditions de détention inhumaines et des renvois forcés vers le Mali ou le Sénégal, en violation des droits fondamentaux.

Le drame atteint son paroxysme en mer : en juillet 2024, une embarcation partie de la côte nord a chaviré, provoquant la mort d’au moins 15 personnes, avec 195 disparus.

Une stratégie aux résultats en trompe-l’œil

Certes, les départs vers les Canaries ont chuté de 33,8 % début 2025. Mais cette baisse s’accompagne d’une intensification des souffrances humaines, du développement de filières clandestines plus violentes, et d’une perte de confiance généralisée entre migrants, population locale et autorités.

Perspective : à quel prix ?

Aujourd’hui, la Mauritanie est en première ligne de la stratégie migratoire européenne. Mais à quel prix ? Pour des milliers de migrants, cette terre d’espoir devient une zone de transit incertaine, voire un piège sans issue.

Le témoignage de Salif Diallo nous rappelle une vérité essentielle : derrière les statistiques et les accords diplomatiques, ce sont des vies humaines qui sont en jeu. Et leur dignité ne devrait jamais être sacrifiée sur l’autel de la sécurité ou de la géopolitique.

Vers une réponse plus humaine

Pour que la lutte contre la migration irrégulière soit à la fois durable et éthique, il est impératif de :

Protéger les migrants contre les abus ;

Créer des voies de migration légale et encadrée ;

Développer les économies locales pour offrir des alternatives viables ;

Et garantir que la coopération internationale respecte les droits humains fondamentaux.

Car une société ne se mesure pas à sa capacité de répression, mais à sa volonté de défendre la justice — y compris pour les plus vulnérables.

Ousmane Hamed Doukouré

Loading

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *