Chers collègues, chers amis,
Demain, le monde entier célèbre la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Pour des raisons strictement personnelles, je ne participerai pas, comme je le fais habituellement, aux festivités organisées à cette occasion.
Cela ne m’empêche pas de penser à vous, ni de vous souhaiter, du fond du cœur, une très bonne fête. Je vous adresse tous mes vœux de réussite dans vos projets, vos combats, et votre engagement quotidien pour une presse meilleure.
Cette année, ma modeste contribution à notre journée sera un regard sincère sur l’état actuel de notre secteur en Mauritanie.
Il est vrai que notre pays peut se féliciter d’avoir, depuis plusieurs décennies, ouvert son espace médiatique. Mais cette liberté, proclamée haut et fort, reste en grande partie théorique. Elle est minée par des pratiques dévoyées, un amateurisme souvent généralisé, et la mainmise grandissante de certains intérêts financiers et politiques.
Soyons lucides : en l’absence de véritables mécanismes de régulation, une grande partie de notre presse est aujourd’hui fragilisée par un manque d’éthique et de déontologie.
L’information, qui devrait être un bien public sacré, se transforme trop souvent en simple marchandise, au service d’agendas obscurs.

Les journalistes, nombreux à être mal formés et précarisés, deviennent parfois, malgré eux, des instruments entre les mains des lobbys économiques ou politiques, contribuant, hélas, à ternir l’image de notre métier aux yeux de la société.
Ce constat est d’autant plus amer que le système, au lieu de soutenir une presse forte et indépendante, préfère souvent entretenir une presse fragile, dépendante d’aides publiques distribuées sans transparence.
En apparence, le pluralisme existe. Mais derrière cette façade, beaucoup de médias ne survivent que sur le papier ou sur internet, sans moyens pour enquêter, sans réelle autonomie éditoriale, et souvent sans lecteurs.
Quant à la presse publique — celle que je connais particulièrement bien —, son état est alarmant.
Quand on regarde de près, force est de constater qu’elle ne remplit plus son rôle de véritable service public de l’information.
Des années de gestion approximative, de sous-investissement chronique et d’absence de vision stratégique ont laissé des cicatrices profondes.
Le personnel, pléthorique mais mal rémunéré, travaille dans des conditions précaires, sans ressources adéquates, avec des équipements obsolètes, et sans encouragement réel à produire du contenu de qualité. Dans ces conditions, il est illusoire d’attendre rigueur, innovation et excellence dans un monde où le journalisme est de plus en plus exigeant et numérique.
Le peu de moyens financiers dont disposent nos médias publics est absorbé par des charges de fonctionnement, laissant presque rien pour l’essentiel : la production de contenus, la formation, la modernisation des outils ou l’amélioration des conditions de travail.
À cela s’ajoute une gouvernance défaillante : sans autonomie éditoriale véritable, sans management professionnel, sans éthique de service public, nos médias se retrouvent souvent réduits à être des porte-voix institutionnels, bien loin d’une presse libre et au service du citoyen.
En cette Journée mondiale de la liberté de la presse, il est urgent d’appeler, avec force et sans détour, à une réforme profonde.
Pour reconstruire une presse forte, indépendante, professionnelle et respectée, il faudra des actions concrètes :
• Auditer sérieusement les effectifs,
• Revaloriser les salaires,
• Lancer des programmes de formation continue,
• Investir massivement dans la création de contenus,
• Et surtout, instaurer une gouvernance responsable et transparente.
Cela demandera une véritable volonté politique.
Mais c’est à ce prix seulement que notre presse publique pourra jouer pleinement son rôle : informer, éduquer et divertir avec rigueur et indépendance.
La Mauritanie a besoin, aujourd’hui plus que jamais, d’une presse libre et professionnelle. Non seulement pour honorer les principes d’une démocratie authentique, mais aussi pour soutenir le développement économique et social du pays.
La naissance d’une presse responsable n’est pas un luxe : c’est une nécessité vitale.
Et elle ne dépend pas seulement des journalistes ou des institutions : elle est aussi l’affaire de chaque citoyen.
La liberté de la presse ne se décrète pas.
Elle se construit patiemment, courageusement, jour après jour, par des actes concrets et des choix ambitieux.
À nous tous, ensemble, d’en être les bâtisseurs.
Cheikh Zeine Lessem