Nouakchott, 31 Juillet 2025 – Dans une salle sobre mais attentive, deux générations se sont assises face à face pour un dialogue rare, nécessaire et profondément symbolique. Le débat intitulé “Le pont des générations” a réuni des figures politiques et intellectuelles historiques comme Chbih Cheikh Melainine, Beidjel Houmeid et Mohamed Maouloud, et une jeunesse engagée représentée par Khaled Mouhameda, président du parti Génération Républicaine, ainsi que par Cheikh Melainine Ould Chbih Cheikh Melainine, Mohamed Lemine Tawiya, Aly Koita et Hamoud Abdel Weddoud, tous membres du bureau exécutif de ce même parti.
Une confrontation d’idées, pas de personnes
Dès les premières minutes, le ton était donné : il ne s’agissait pas d’une joute politique, mais d’un exercice de transmission, de vérité et de vision.
« Nous ne sommes pas là pour vous critiquer, mais pour apprendre de vous, pour que nous ne retombions pas dans les mêmes erreurs », a affirmé Khaled Mouhameda, incarnant la posture d’une jeunesse à la fois respectueuse et lucide.
Le débat s’est ouvert sur les franchises des jeunes dans les technologies de l’information, la crise des partis politiques et le vide idéologique constaté. Pour plusieurs intervenants, la jeunesse ne peut se séparer de l’ancienne garde sans perdre le lien historique nécessaire à toute construction durable.
« L’interaction générationnelle pourrait rehausser le niveau du débat national », a plaidé un participant.
Une phrase est revenue comme un mantra : “la formation des jeunes en politique et sur la réflexion politique” – l’union des jeunes et des anciens pour une société en équilibre.
Qu’est-ce qu’un parti qui réussit ? Qu’est-ce qu’un parti qui échoue ?
Une question-clé a traversé les échanges : qu’est-ce qu’un parti qui réussit, et qu’est-ce qu’un parti qui échoue ?
Pour Beidjel Houmeid, la réponse réside dans la capacité à défendre une démocratie réelle, à permettre l’expression de tous, y compris à travers la reconnaissance des langues nationales, souvent marginalisées.
Chbih Cheikh Melainine a plaidé pour une fédération linguistique et culturelle fondée sur l’obligation d’enseigner à chaque élève une deuxième langue nationale qui ne soit pas sa langue maternelle, afin de bâtir une nation véritablement unie dans sa diversité.
De son côté, Cheikh Melainine Ould Chbih, membre du bureau exécutif du parti Génération Républicaine, a souligné que les partis doivent créer des cellules de réflexion sur les idées politiques, afin de développer des visions claires pour le bien de la Nation.
Les défis structurels de l’État
Mohamed Maouloud a rappelé que le progrès ne se mesure ni à la longévité politique ni à la posture idéologique, mais à l’impact sur le bien public.
Un dirigeant ne peut se revendiquer du progrès que s’il améliore la condition du peuple, a-t-il souligné :
« Est-ce qu’on développe le bien commun ? C’est là l’indicateur. »
Mais il a également alerté sur le déficit éthique et structurel de l’État actuel :
« Il manque des écoles, des formateurs, une boussole éthique dans l’action publique. »
Langues, identité et fracture sociale
Les débats ont également abordé la question sensible des langues nationales.
Pour Mohamed Maouloud, la réforme de 1973 a marqué un tournant en officialisant l’arabe, mais sans reconnaissance réelle des autres langues nationales. En 1980, une avancée fut notée lorsque les intellectuels noirs ont reconnu la nécessité d’enseigner ces langues. Pourtant, aujourd’hui encore, la fracture persiste.
Beidjel Houmeid insiste :
« Il faut écrire les langues nationales en arabe. C’est par là qu’on s’unira. »
Aly Koita, membre du bureau exécutif du parti Génération Républicaine, a quant à lui soulevé une question récurrente :
« Pourquoi ne pas avoir su dépasser cette question depuis toutes ces décennies ? »
L’esclavage, une blessure toujours ouverte
C’est Hamoud Abdel Weddoud, également membre du bureau exécutif du parti Génération Républicaine, qui a remis au centre du débat l’un des sujets les plus sensibles de la société mauritanienne : l’esclavage.
« Je l’ai appris, mais je ne l’ai jamais vu », a-t-il déclaré.
Une phrase révélatrice du fossé entre la transmission historique et les réalités vécues par certains.
D’autres voix, dont celle de Chbih Cheikh Melainine, sont venues nuancer cette perception :
« L’esclavage est encore présent. »
Beidjel Houmeid a poursuivi en affirmant :
« Il reste des vestiges de l’esclavage. »
Et de rappeler que même aux États-Unis, aboli depuis plus de 150 ans, les séquelles sont encore perceptibles. En Mauritanie, l’abolition est toute récente – à peine quelques années – et les traces sont encore vives.
Mais au cœur du débat, une voix discordante s’est fait entendre : Mohamed Lemine Tawiya, lui aussi membre du bureau exécutif du parti Génération Républicaine, a affirmé que :
« Il n’y a jamais eu d’apartheid en Mauritanie. »
Une déclaration qui a suscité des réactions partagées dans l’assistance.
Un message fort a alors été adressé à la jeunesse :
« À vous de déconstruire l’esclavage et de développer une culture de l’abolition. »
Car comme l’a souligné Beidjel Houmeid :
« L’esclavage, c’est du vol ; c’est interdit, mais certains volent quand même. »
Un appel au vivre-ensemble
Enfin, Chbih Cheikh Melainine a appelé à la vérité sans fard :
« Il y a deux ethnies populaires qui ne veulent pas s’entendre. »
Et il faut, selon lui, avoir le courage d’en parler, tout en défendant un projet de société fondé sur le vivre-ensemble.
« Les élites cherchent parfois à diviser. C’est à nous de résister. »
Conclusion : bâtir un pont solide
Le débat s’est clos sur une note d’espoir : les générations ne sont pas en guerre, elles se cherchent et peuvent se compléter.
Si les jeunes ont la volonté de changement, ils doivent aussi avoir la patience de l’écoute et l’humilité de la transmission.
Et si les anciens tiennent à leur expérience, ils doivent reconnaître que le progrès naît du dialogue, pas de la domination.
Ce pont des générations, dressé le temps d’un débat, pourrait bien devenir la fondation d’un nouvel élan pour la Mauritanie.
Yamina BENDAIDA