Faut-il attendre la maturité complète du tissu économique avant de lancer la Bourse de Nouakchott, ou, au contraire, créer la bourse pour structurer cet écosystème ?
Mohamed Yeslem Filali
Plusieurs critiques sont formulées à l’encontre du projet de création d’une bourse de valeurs en Mauritanie, souvent par des observateurs considérés comme informés. Ces critiques s’appuient généralement sur le constat que le pays ne disposerait pas encore des conditions suffisantes, notamment en termes de fiabilité des données financières, de tissu d’entreprises structurées, ou de professionnalisation des acteurs de la chaîne financière.
Cependant, plutôt que de rejeter cette initiative sous prétexte que tous les prérequis ne seraient pas encore réunis, il convient d’adopter une approche fondée sur l’anticipation et l’accompagnement progressif de l’écosystème financier national. L’expérience de pays comme le Maroc, le Ghana, la Côte d’Ivoire ou le Kenya montre que la construction d’un marché des capitaux solide n’a pas nécessairement attendu la maturité complète du tissu économique ou l’existence de régulateurs pleinement opérationnels. Bien au contraire, le processus de mise en place d’une bourse a souvent agi comme un levier de structuration, favorisant la formalisation des entreprises, l’adoption de normes comptables plus rigoureuses, ainsi que l’émergence d’intermédiaires spécialisés (sociétés de bourse, cabinets d’audit, analystes financiers, etc.).
En réalité, les réflexions engagées au sein du gouvernement vont déjà dans le sens de la construction progressive d’un écosystème financier propice au développement d’un marché de capitaux. La professionnalisation des entreprises publiques, en vue d’identifier celles pouvant faire l’objet d’une privatisation partielle ou totale, est déjà en cours. Par ailleurs, une réforme de la profession comptable est engagée, tout comme une réflexion sur l’assouplissement des conditions d’accès au marché pour les cabinets internationaux d’audit. L’ensemble de ces dynamiques contribue à poser les fondations d’un environnement institutionnel et technique apte à soutenir le fonctionnement d’une bourse de valeurs et, plus largement, le développement d’un marché financier inclusif et crédible.
Il est fondamental, dans ce débat, de ne pas confondre la bourse elle-même avec l’ensemble du marché financier. La bourse de valeurs constitue avant tout une infrastructure technique, une plateforme de cotation et de transaction, au service de
la mise en relation entre offreurs et demandeurs de capitaux. Elle est distincte des autres composantes de l’écosystème financier que sont les émetteurs, les investisseurs, les autorités de régulation, les professionnels du chiffre et les institutions financières intermédiaires.
Dans un contexte où la Mauritanie cherche à diversifier ses sources de financement, en particulier au bénéfice du secteur privé, la création d’une bourse de valeurs revêt un caractère stratégique. Elle envoie un signal fort en matière de transparence, de confiance institutionnelle et d’ouverture aux investissements de long terme. Par ailleurs, elle peut permettre de structurer un compartiment dédié aux PME, avec des exigences adaptées, facilitant leur accès au capital et soutenant ainsi leur montée en gamme.
La bourse n’est pas une fin en soi, mais un instrument structurant dans une vision d’ensemble. Sa mise en place doit s’inscrire dans une logique progressive, appuyée par des réformes complémentaires visant à renforcer la qualité de l’information financière, la crédibilité des acteurs, et la culture boursière des opérateurs économiques.